La filière « chair à canon » du faisan et de la perdrix pour la chasse dans le viseur d’une association
Vous êtes probablement les perdrix de l’année comme nous et vous ne saviez pas ce qui allait suivre. Chaque année, entre 400 à 500 éleveurs produisent 10 à 20 millions d’animaux destinés à la chasse en France. Des chiffres qui en font le leader européen de la production de jeux. L’association Nos Viventia (Nous les Vivants) vient de rendre publique une enquête d’un an sur la filière de l’élevage de perdrix et de faisans pour sensibiliser à ces pratiques méconnues. Selon elle, les oiseaux sont destinés à devenir de la « chair à canon » pour les chasseurs en manque de cibles depuis le déclin de la biodiversité dans les années 1970.
Pour l’interprofession de la chasse, l’association présente une « réalité déguisée » alors que le secteur est « vertueux » et « maîtrisé ». Les lâchers dans la nature de ces animaux sauvages élevés en captivité ont lieu massivement les week-ends entre septembre et novembre, partout en France.
Des carences en matière de soins dans les exploitations agricoles ?
L’association a porté plainte auprès des procureurs d’Agen et de Nantes, pour manque de diligence contre deux sites de production sur lesquels elle a pu recueillir des éléments concrets, avec l’aide de lanceurs d’alerte, implantés en Loire-Atlantique et dans le Lot-et-Garonne. « Elle a également lancé une pétition en ligne qui a récolté plus de 4 000 signatures dans le but d’obtenir à terme l’interdiction de l’élevage pour la chasse. « Nous n’avons pas ciblé des entreprises précises, nous avons tourné là-bas parce que nous en avions l’opportunité », explique Pierre Rigaux, écologiste et fondateur de Nos Viventia. Mais on sait que toutes ces entreprises utilisent les mêmes procédés. »
«Je suis serein face aux râles d’un pseudo-naturaliste», rétorque Jean-Christophe Chastang, président d’InterProchasse. Elle veille à ce que les éleveurs de gibier, agréés, soignent leurs animaux lorsqu’ils sont malades et fassent appel à un « vétérinaire santé ». Il soupçonne l’association de vouloir discréditer « les amoureux de la nature et des animaux ».
Des oiseaux qui supportent mal la captivité
Dans les images de Nos Viventia, on voit des oiseaux entassés dans des volières, parfois blessés et visiblement hostiles les uns envers les autres. « Ils tolèrent beaucoup moins bien la captivité que les poules par exemple. Ils sont très territoriaux et conservent un caractère sauvage qui les amène à beaucoup s’attaquer les uns les autres », souligne Pierre Rigaux.
Lorsqu’elles ont suffisamment grandi, et qu’un premier tri a déjà éliminé les plus faibles, les éleveurs mettent des bagues aux perdrix et des couvre-becs aux faisans pour limiter un peu la mortalité. « Sans les couvre-becs, ils s’entretueraient », estime Pierre Rigaux. « Les faisans sont un peu plus agressifs que les perdrix mais les éleveurs ne les équipent pas systématiquement de couvre-becs », relativise le président de l’Interprofession.
Dans la nature, ces animaux évoluent au sein de petits groupes sociaux tandis qu’en captivité, ils se retrouvent en contact, selon l’association, avec des milliers de pairs du même âge. « Les animaux sont dans d’immenses volières de 200 mètres de long avec des biotopes reconstitués », s’insurge Jean-Christophe Chastang. La densité des animaux est extrêmement faible et ils sont élevés en extérieur, ce n’est pas intensif. »
Rentabilité au mépris du bien-être animal ?
Mais selon l’association, ces exploitations sont forcément intensives pour être rentables. « La perte est intégrée à leur modèle. S’ils visaient le zéro agression, il faudrait seulement quelques oiseaux par volière et cela ne fonctionnerait pas, estime Pierre Rigaux. Les éleveurs ne les traitent absolument jamais car sinon cela ne serait pas rentable. Cela ne peut pas fonctionner autrement. » Une information démentie par la profession qui explique qu’il n’y a pas de surmortalité dans ses élevages.
L’élevage d’animaux pour la chasse est une pratique controversée au sein même de la communauté des chasseurs. Certains considèrent qu’il ne s’agit pas d’une « vraie chasse ». Et en voyant des animaux errants, un peu perdus, débarqués dans le milieu naturel, on peut juger les lâchers très peu « fair-play ».
Sur dix oiseaux relâchés, seuls deux pourraient effectivement être chassés et très peu survivent dans le milieu naturel, selon les estimations de l’association. Plus inquiétant encore, des études récentes ont montré que l’écosystème souffre de l’irruption d’oiseaux en grand nombre sur une zone réduite puisqu’ils ont par exemple un impact négatif sur les populations déjà affaiblies de lézards et de serpents.
Et lorsque les oiseaux élevés en captivité se reproduisent avec des oiseaux sauvages, ils contribuent à un affaiblissement génétique de leur race. « Elles donnent naissance à des oiseaux moins capables de tolérer les maladies ou de digérer leur nourriture, etc. », assure l’écologiste.