Irrité et épuisé par la guerre des prix avec les grands joueurs de l’industrie alimentaire, le propriétaire d’une épicerie de Montréal-Nord a décidé de baisser les bras et fermera les portes de son commerce à la fin du mois après 45 ans d’existence.
« Ça suffit », s’exclame Roberto Natale, propriétaire de la Charcuterie Noël. « Ça me rend triste. C’est comme si nous étions dans le couloir de la mort et que la fin approchait. »
Depuis 2022, le chiffre d’affaires de son commerce de Montréal-Nord affiche des baisses annuelles de 15 %. L’épicier a tenté de redresser la barre durant les huit premiers mois de 2024, mais ce n’était pas suffisant pour poursuivre ses opérations. Un constat brutal alors qu’il avait fait de bonnes affaires pendant la pandémie.
M. Natale souligne en particulier le changement de comportement des consommateurs au cours des deux dernières années en raison de l’inflation alimentaire.
« Dans les années 80 et 90, il y avait une clientèle fidèle », dit-il. « Cette clientèle a disparu. Aujourd’hui, ils vont chez Costco. Ils achètent tout là-bas et repartent. »
« Ils viennent nous chercher de l’agneau ou des fruits secs, mais ce n’est pas suffisant. Au fil du temps, je suis devenu comme un grand réparateur. Je ne peux pas survivre dans de telles conditions. »
Psychose des prix
En raison de l’inflation des prix alimentaires, les clients sont constamment à la recherche de bonnes affaires. M. Natale a pu constater ce phénomène quotidiennement dans les quatre murs de son entreprise.
« Depuis 2022, nous assistons à une psychose des prix », explique le propriétaire du magasin fondé par son père, Salvatore. « On nous identifie comme un magasin dit cher. Ce n’est pas vrai. »
L’épicerie de Roberto Natale subit des pertes annuelles de 15 % depuis 2022.
Photo Mathieu Boulay, Journal de Montréal
Son discours n’est pas surprenant selon Sylvain Charlebois.
« C’est très difficile pour les indépendants, explique le directeur scientifique du Laboratoire des sciences analytiques agroalimentaires de l’Université Dalhousie. Ils n’ont pas le même pouvoir d’achat que les gros. »
« Les gens discriminent souvent les indépendants en disant que les prix sont plus chers. Ce n’est pas toujours le cas. En pensant que c’est plus cher, ils n’iront pas, surtout quand ça ne va pas bien. »
Voyant que son chiffre d’affaires était en baisse, l’entrepreneur a commencé à comparer ses prix avec ceux des grandes chaînes, qui, étonnamment, étaient parfois plus élevés que les siens. La chasse aux bonnes affaires à laquelle se livraient certains de ses clients l’a rendu amer au fil du temps.
Pertes d’emplois
Lorsque la Charcuterie Noël fermera définitivement ses portes, une trentaine d’employés seront mis à pied. Au départ, ils étaient 50.
« Ils m’ont fait comprendre qu’ils seront là jusqu’au bout et ça me fait chaud au cœur. Quant à nos clients réguliers, je vois des larmes constamment quand je leur dis que c’est la fin. »
Son immeuble et son terrain, situés sur le boulevard Léger, ont été mis en vente au cours des dernières heures pour 2,8 millions de dollars. Et avant de conclure l’entrevue, il a tenu à faire un vibrant plaidoyer sur l’importance d’acheter local : « Il faut encourager les entreprises locales, car les gros joueurs vont finir par tout manger ! »
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