La « vallée européenne des batteries », ce vaste projet de construction d’usines dans le nord de la France, n’a pas encore vu le jour et est déjà en difficulté. Preuve en est : au salon international « Batteries Event », rendez-vous majeur du secteur qui s’est tenu la semaine dernière à Lyon, l’heure était au désenchantement. » De l’optimisme au réalisme » (de l’optimisme au réalisme, ndlr), a projeté sur grand écran le consortium franco-allemand Automotive Cells Company, regrettant un « surcapacité de production de batteries » par rapport à la demande sur le Vieux Continent. Loin donc de l’euphorie de la précédente édition.
Sauf bien sûr la Chine, et notamment le mastodonte CATL, leader mondial incontesté avec près de 40 % de part de marché des batteries lithium-ion dans le monde. » L’un de ses hauts dirigeants, John H. Kwon, a fait la leçon aux Européens. Son message était : « bonne chance, vous avez quinze ans de retard et vous ne rattraperez pas mes 200 000 ingénieurs R&D ». », résume Ludovic Leroy, ingénieur chez IFP Training, l’organisme de formation d’IFP Energies nouvelles. Une rengaine déjà connue, mais qui se traduit désormais par des décisions inquiétantes.
Des suspensions aux abandons
En effet, le groupe minier français Eramet a annoncé ce jeudi sa décision de « suspendre » son projet de construction de deux usines de recyclage de batteries pour véhicules électriques, prévu dans le nord de la France d’ici 2025 et 2027. Deux semaines plus tôt, c’était au tour de Stellantis de quitter le navire – en l’occurrence Orano – près d’un an après avoir annoncé la création de leur joint-venture spécialisée dans la valorisation des composants de batteries automobiles lithium-ion à Dunkerque.
Du côté de la production, Automotive Cells Company (ACC) a également annoncé qu’elle suspendrait ses investissements dans des projets de production. gigafactories en Allemagne et en Italie. Et son usine française, déjà en activité près de Lille, multiplie les difficultés, avec des retards importants et un taux de déchets plus abondant que prévu. Globalement, les ambitions des constructeurs automobiles seraient aussi « vers le bas », regrette-t-on chez ACC, alors que « une grande partie, voire la totalité, des projets de gigafactory ont été suspendus ou annulés (Britishvolt, Northvolt, ACC, PowerCo, Svolt, CATL, EVE, Prologium…) », argumente le consortium.
Une électrification qui n’arrive pas
Mais alors, pourquoi une douche si froide ? Malgré l’importance de cette technologie pour la transition énergétique, le marché reste trop atone, expliquent les dirigeants de ces entreprises. En effet, partout en Europe, la mayonnaise a du mal à s’imposer : après trois années de forte croissance, les ventes de véhicules électriques ont commencé à décliner depuis fin 2023. Au premier semestre de cette année, elles représentaient une part de marché de 13,1%, soit près d’un point de moins par rapport à la même période de l’année dernière (14%), malgré une légère reprise en septembre.
Interrogé ce matin à propos de franceinfola ministre de la Transition écologique et de l’Énergie, Agnès Pannier-Runacher, a blâmé l’Allemagne, qui « a choisi de réduire drastiquement le soutien à l’électrification « . Cependant, en France aussi, la demande reste en berne, faute de modèles suffisamment abordables. Et le problème ne touche pas que les véhicules :
« La vitesse de l’électrification, c’est-à-dire le passage de l’automobile à l’électrique, de l’industrie à l’électrique, etc., n’est pas aussi rapide qu’on le souhaiterait », a-t-il déclaré. a déclaré hier à Montel la directrice générale de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), Sophie Mourlon.
Mais dans le même temps, la Chine a battu tous les records, avec une croissance de 35 % des ventes de véhicules électriques en 2023, selon le réseau de recherche sur les énergies renouvelables REN21.
Question de chimie
Surtout, le pays a pris une avance considérable dans la fabrication de batteries. Tandis qu’en Europe, les entreprises du secteur espèrent concevoir l’équivalent de 15 à 20 gigawattheures (GWh) par an et par an. gigausineles lignes de production du chinois CATL produisent déjà près de 100 GWh de batteries chaque année.
» Le constat est amer. Toutes les machines de production que nous aurons en France seront soit chinoises, soit coréennes. Nous dépendrons donc nécessairement de l’Asie, notamment pour les exploiter de manière rapide et optimale, en plus de l’extraction des matières premières. », constate Ludovic Leroy.
Et ce problème se superpose à un autre : celui du choix de la chimie des batteries. Alors que les Européens ont, jusqu’à présent, tout axé sur la chimie « NNC » (nickel, manganèse et cobalt en plus du lithium), leurs concurrents chinois se concentrent sur la technologie « LFP » (lithium, phosphate de fer). Or, cette seconde solution, aujourd’hui 20 à 30 % moins chère, inonde le marché en raison de son prix attractif. C’est aussi pourquoi ACC a mis entre parenthèses ses projets d’usines en Allemagne et en Italie, bien décidé à réorienter une partie de sa production vers la technologie des batteries LFP.
« Cercle vicieux »
Enfin, ces retards expliquent également, à leur tour, les retards dans les sites de recyclage. Car celles-ci doivent fonctionner dans une logique d’économie circulaire, et ont donc besoin d’usines de production de batteries à proximité. Eramet comptait donc, dans un premier temps, travailler à partir des chutes de fabrication de quatre usines de batteries, également prévues dans le nord de la France.
« Compte tenu de la montée en puissance très lente des usines de batteries, nous ne sommes pas en mesure de sécuriser les approvisionnements en matières premières pour alimenter notre projet d’usine »a précisé sa PDG, Christel Bories, lors d’une conférence téléphonique avec la presse ce jeudi.
Le gérant a notamment évoqué le « problèmes » de NorthVolt ou ACC, et le « de nombreux reports de projets dans la chaîne de valeur des batteries », comme nous l’écrivions ce matin.
« Pour que cela fonctionne, il faut soit utiliser des batteries en fin de vie, qui représentent aujourd’hui un volume dérisoire en France et en Europe, soit retraiter les déchets de production des gigafactories. Si ces derniers sont en difficulté, cela remet en cause le modèle économique du recyclage, à moins que ces matériaux ne soient importés d’Asie en grande quantité et à un coût important. C’est un cercle qui aurait dû être vertueux, mais qui devient vicieux », souligne Ludovic Leroy.
L’oeuf ou la poule
De plus, le hic aussi « en aval », en termes de débouchés, selon Christel Bories. Et pour cause, ce qui sort d’une chaîne de recyclage n’est pas une batterie neuve « prête à l’emploi », mais des cellules métalliques qui seront récupérées par d’autres usines. » Il n’existe pas de projets européens de précurseurs de cathodes confirmés, il n’y a donc pas de clients (en Europe) pour les sels métalliques recyclés. “, a-t-elle indiqué. Et d’ajouter :
» Si aujourd’hui on produisait des sels recyclés, il faudrait les vendre en Asie. Cela n’a pas de sens de recycler sur le marché européen pour vendre le produit en Asie « .
Au risque de rater le coche ? Car s’il reste un créneau à prendre sur ce marché, c’est bien celui du recyclage des batteries, où l’avance de la Chine semble encore rattraper son retard, a déclaré John H. Kwon la semaine dernière à Lyon. A moins qu’une fois de plus l’industrie européenne ne se heurte au paradoxe de l’œuf et de la poule.