La « double frappe », une tactique interdite utilisée par les Russes pour faire plus de victimes
Dans la nuit de vendredi à samedi, la ville ukrainienne de Kharkiv a été la cible d’une « double frappe » de missiles russes qui a fait sept morts. À la mi-mars, le même type d’attaque a été menée sur Odessa avec un bilan bien plus lourd, soit 20 morts et 73 blessés. Dans ce dernier cas, un missile balistique est tombé vers 10 heures du matin sur un quartier résidentiel d’Odessa, provoquant la panique et l’envoi de nombreux services d’urgence sur place. Quinze minutes après la première frappe, un deuxième missile est tombé au même endroit, tuant ou blessant pompiers et secouristes. Une bavure ? Non, car c’est exactement le principe du « double strike ».
Odessa, Nikolaev, Kherson, Kharkiv. Ces quatre villes ukrainiennes étaient des cibles avérées des frappes aériennes russes à double frappe. Une tactique différente des bombardements dits « classiques » dont le but est aussi simple que vicieux : viser un premier objectif, laisser le temps aux secours, aux militaires ou aux journalistes d’arriver sur place puis lancer un autre missile au même endroit pour maximiser le nombre de victimes. En reportage à Kharkiv avec une équipe d’ambulances, les journalistes de la chaîne américaine CNN ont pu filmer une attaque de ce type le 17 avril 2022.
Une technique prisée des terroristes
« La double frappe est presque une règle pour les attentats à la bombe », assure 20 minutes Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement et collaborateur de la revue Raids. « On peut presque dire que ce sont les terroristes qui l’ont inventé », ajoute-t-il. Le dernier exemple en date, parmi tant d’autres, est l’attaque perpétrée par Daesh en Iran lors de la cérémonie en hommage au général Soleimani. « Deux bombes ont explosé dans la même zone à dix minutes d’intervalle. Le but était clairement de faire le plus de victimes possible», assure le spécialiste. D’ailleurs, c’est la deuxième explosion, survenue en pleine panique, qui a fait le plus de morts.
En toute logique, les conventions internationales dénoncent ce type de pratiques, parfois qualifiées de crimes de guerre. « La double frappe n’est pas directement mentionnée dans les conventions, mais plutôt ce qu’il y a derrière », explique-t-il. 20 minutes Colonel Michel-William Drapeau, ancien soldat de l’armée canadienne et spécialiste en droit militaire. « Ce qui peut être qualifié de crime de guerre, c’est la volonté d’affecter directement et délibérément la vie des civils en menant de telles frappes », poursuit-il.
Mais le plus difficile est de prouver l’intention, même si, pour l’ancien colonel, « les systèmes de ciblage actuels laissent peu de place à l’erreur lorsqu’on tente de détruire un objectif ». Ce travail d’enquête est celui d’experts de la Cour pénale internationale (CPI). Contacté à ce sujet par 20 minutesle Bureau du Procureur de la CPI assure travailler « en étroite collaboration sur le terrain avec les survivants, les communautés affectées et les autorités ukrainiennes pour recueillir des preuves afin de constituer des dossiers solides concernant les crimes internationaux présumés commis en Ukraine ».
Près de 60 « doubles frappes » avérées en Syrie
Par ailleurs, la CPI a émis deux mandats d’arrêt contre deux soldats russes, le chef de l’armée de l’air et le chef de la marine, soupçonnés d’avoir dirigé des attaques délibérées de missiles contre des civils. Cependant, par souci de « confidentialité des enquêtes », la CPI n’évoque pas le cas particulier d’éventuelles « doubles frappes ». Pourtant, tout le monde sait qu’elle existe : « l’usage de cette technique est tellement connu que les secours sont même théoriquement formés pour prendre en compte ce risque dans leurs protocoles d’intervention », précise Alain Rodier.
Guerre en Ukraine
Le Centre syrien de justice et de responsabilité (SJAC) a publié un rapport accablant sur les « doubles frappes » menées par l’armée de l’air russe et l’armée syrienne en Syrie. Selon ce rapport, pas moins de 58 grèves de ce type ont été recensées entre 2013 et 2021, toutes dans des « secteurs résidentiels ». Le rapport indique que « la grande majorité des victimes étaient des civils, notamment des femmes et des enfants, ainsi que des premiers intervenants qui ont porté assistance aux victimes après la frappe initiale ».