La démocratie « cause toujours » | Humanité

Cette bataille pour les retraites ne sera pas cochée une case de plus à l’agenda des conflits sociaux français. Le mouvement social actuel, loin d’être terminé, pourrait représenter un tournant. Dans le meilleur des cas, il arrache une victoire hautement symbolique avec le retrait du projet de loi, comme ce fut le cas en 2006 avec le contrat premier emploi (CPE) stocké par le gouvernement Villepin, malgré son adoption par le Parlement. Non seulement les Français ne peineraient pas encore deux ans, mais les syndicats et les partis de gauche en sortiraient renforcés, légitimés, la démocratie revigorée, le projet politique macroniste entravé. L’autre issue, plus pessimiste, d’un ultime passage en force ouvrirait une page beaucoup plus sombre, dont notre démocratie, déjà mourante, aurait du mal à se relever.
La « crise de la démocratie », dont on parle depuis des années, largement débattue, analysée : abstention, méfiance à l’égard des partis politiques et de la représentation nationale, perte d’influence des syndicats, contre-pouvoirs fragilisés, succession d’alternances sans alternative… la liste des symptômes n’est pas exhaustive.
Mais les racines du mal sont là, sous nos yeux, avec l’entêtement autoritaire d’un seul homme, à qui les institutions de la Ve République donnent les pleins pouvoirs. Une bataille d’opinion perdue par le gouvernement, 90% d’actifs opposés à cette soi-disant « réforme », soutien massif (65% selon notre sondage Ifop paru dans « L’Humanité » le 6 mars) aux grévistes, une interarmée unie -syndicale, une opposition de gauche combative, une absence de majorité absolue du pouvoir macroniste à l’Assemblée, qui a usé de toutes les ruses constitutionnelles, des millions de personnes dans la rue à des niveaux jamais vus depuis les années 1990… et le pouvoir reste sourd !
Quel effet sur les millions de manifestants qui ont eu le courage de faire grève, malgré la crise du pouvoir d’achat, de manifester pacifiquement pendant des semaines si le gouvernement ne retirait pas son plan ? Colère, bien sûr, mais aussi ressentiment pour beaucoup et risque d’accréditer l’idée que l’action collective, même à ce niveau, ne paie pas. Un tapis rouge pour l’extrême droite, dont le patron attend patiemment de récolter les fruits que le quinquennat de Macron aura fait mûrir. La démocratie ne se réduit pas à une délégation de pouvoir tous les cinq ans. C’est un écosystème beaucoup plus complexe, où le peuple souverain, dans l’entreprise, dans sa ville, partout où il le juge utile, doit pouvoir exprimer ses revendications.
Ainsi le locataire de l’Elysée, chantre d’un « gouvernement d’experts », a-t-il de bonnes chances de se présenter sur la scène internationale comme le héros de la « démocratie occidentale ». Rarement un président de la République n’aura autant joué avec le feu. En pleine conscience du danger. « En 2027, expliquait-il en décembre 2022, je ne serai pas candidat, donc je ne serai pas comptable de ce qui va se passer. Autrement dit, « après moi le déluge ».
Au soir du second tour de l’élection présidentielle, après avoir été élu grâce aux voix de la gauche qui se sont mobilisées pour ne pas laisser entrer le RN à l’Élysée, il a concédé ceci, dans un éclair de lucidité : « Je sais aussi que beaucoup de nos compatriotes ont voté pour moi aujourd’hui, non pas pour soutenir les idées que je porte mais pour bloquer celles de l’extrême droite. Et je veux ici les remercier et leur dire que j’ai conscience que ce vote m’engage pour les années à venir. Oui, ce vote l’oblige, MAINTENANT, avant qu’il ne soit trop tard.
Grb2