Saleté, odeur, manque de matériel, bruit… Les toilettes sont parfois source de tensions dans le monde du travail. Au point que certaines personnes les évitent, notamment les femmes.
« On a trouvé les toilettes dans un état, ce n’était pas possible. La brosse n’était pas utilisée, de l’urine partout, le siège dégueulasse », dénonce pour BFMTV.com Jessica, 44 ans, employée administrative au sein d’un service technologique hospitalier. « Honnêtement, est-ce qu’ils font ça à la maison ? Ce n’est pas parce que nous sommes plusieurs à utiliser les mêmes toilettes que nous ne devons pas nettoyer après nous. »
Outrée par l’état des toilettes pour femmes qu’utilisaient les hommes de son service – majoritairement des hommes, 17 hommes et seulement deux femmes -, Jessica a affiché une pancarte pour rappeler que la cabine était strictement réservée au personnel féminin. Une insouciance qu’elle ne comprend pas.
« Les toilettes sont nettoyées tous les matins. Comment peut-on être aussi sale ? »
Depuis qu’elle a posé son affiche, la situation s’est améliorée en termes de santé des femmes. « Mais je n’ai pas osé ouvrir la porte de la cabine des hommes pour voir ce que c’était de leur côté. »
Un salarié sur deux est gêné d’aller à la selle
Affiches exigeant que les toilettes restent dans l’état dans lequel on souhaite les trouver, mails rappelant les règles de propreté et de savoir-vivre… Autant d’initiatives qui ne sont pas rares dans le monde du travail où la question des toilettes est parfois posée. tension. Au point que certains les évitent.
C’est du « caca-shaming » – la honte d’aller à la selle. Selon une étude Ifop pour l’entreprise de nettoyage Diogène France publié en mai 2022 et intitulé « ‘Poop-shaming’ au travail : un enjeu managérial, un enjeu de genre », plus d’un salarié sur deux s’est déjà senti gêné en déféquant sur son lieu de travail – une tendance croissante marquée chez les femmes.
Dans le détail : plus d’un salarié sur deux souffre même de parcoprésie, ou d’incapacité à aller à la selle en milieu professionnel. Alors que 57 % des hommes vont aux toilettes dès qu’ils ressentent le besoin d’aller à la selle, c’est le cas de seulement 38 % des femmes. Parmi les problèmes les plus fréquents : des toilettes sales, insuffisamment isolées du reste des locaux ou pas suffisamment équipées en papier toilette.
« D’autres problématiques émergent des enquêtes de terrain », souligne pour BFMTV.com le sociologue Denis Monneuse, enseignant-chercheur. Comme le fait que salariés et clients ou professeurs et étudiants partagent les mêmes toilettes. Ou encore, dans certains secteurs particulièrement masculins, l’absence de toilettes pour femmes.
« Lorsque les entreprises réfléchissent à l’aménagement des bureaux, la question des toilettes est rarement prise en compte et étudiée. »
Un sujet traité « de manière triviale »
Légalement, l’employeur a l’obligation de mettre à disposition du personnel des « toilettes », c’est-à-dire des toilettes séparées pour les hommes et les femmes. Le quota est d’au moins une toilette et un urinoir pour 20 hommes, deux toilettes pour 20 femmes, rappelle l’Institut national de recherche et de sécurité.
Le code du travail précise que ces armoires « doivent être disposées de manière à ne dégager aucune odeur », « munies de papier toilette ». Et ajoute : celles réservées aux femmes « doivent comporter un contenant pour serviettes périodiques ». L’employeur doit également faire effectuer un nettoyage et une désinfection « au moins une fois par jour ».
Mais pour le sociologue Denis Monneuse, également consultant en ressources humaines, « la question des toilettes est très souvent traitée de manière triviale ». Les responsables RH contactés par BFMTV.com n’ont pas souhaité donner suite. « Il n’y a pas de problème », nous dit-on. C’est ce que confirme pour BFMTV.com Jean-Louis Zylberberg, médecin du travail dans le secteur de la construction. S’il constate que certains employeurs y prêtent attention, « d’autres vont le minimiser ».
Un sujet qui serait néanmoins potentiellement source de tensions. « Lorsque des problèmes liés aux toilettes sont évoqués auprès de la direction, et si le problème n’est pas résolu, cela crée vite des tensions », constate le sociologue Denis Monneuse.
« Les toilettes étant un lieu où l’on va plusieurs fois par jour, pour les salariés, cela donne l’impression qu’ils ne sont pas entendus, que leur environnement de travail n’est pas pris en compte et finalement cela crée un sentiment de manque de reconnaissance. »
« Certains disent qu’ils vont se laver les mains »
En plus d’être traité trop à la légère, le sujet serait aussi tabou. « Certains salariés préfèrent utiliser des euphémismes, par exemple dire qu’ils vont se laver les mains plutôt que de dire qu’ils vont aux toilettes », constate Denis Monneuse.
Pourquoi un tel inconfort alors qu’il s’agit d’un besoin naturel ? « Ce qui ressort de nos enquêtes de terrain, c’est la proximité liée au fait de partager les mêmes toilettes avec son patron, ses collègues, voire de se retrouver en même temps dans les toilettes du box voisin », observe encore le sociologue.
C’est ce que confirme l’enquête Ifop sur le « poop-shaming » au travail : quelque 48 % des salariées féminines et 40 % des salariés masculins s’abstiennent de déféquer dans les toilettes tant qu’un collègue est présent. Et près de la moitié des femmes – un tiers des hommes – arrêtent de déféquer si elles voient un collègue aller aux toilettes en même temps qu’elles.
Ce que le sociologue Julien Damon, professeur à Sciences Po et auteur de Toilettes publiques, essai sur les équipements urbains. Dans le monde de l’entreprise, « et plus largement dans l’espace public », écrit-il, « les toilettes circonscrivent une sphère particulièrement privée ».
« Ces installations restent néanmoins à usage collectif, ce qui, en réalité, limite l’intimité. Dans toute toilette publique, dans l’espace public au sens large, l’isolement n’est jamais total. L’usager reste performant. »
« Mon collègue m’a dit : ‘désolé pour le bruit’ »
Pour Marie (dont le prénom a été modifié à sa demande), 39 ans, qui travaille dans un bureau d’ingénierie, le problème est d’une autre nature. « Les locaux sont vétustes et mon bureau est juste à côté des toilettes des femmes », explique-t-elle à BFMTV.com. « L’isolation est quasiment nulle, j’entends tout. » Même ceux qui ne se lavent pas les mains après être allés aux toilettes. « Ce n’est pas que je les écoute, mais je n’y peux rien, c’est comme si j’étais là. »
Qu’il s’agisse de ses collègues féminins ou masculins – les toilettes de ces derniers se trouvent pourtant à l’étage supérieur -, aucun bruit de leur passage aux toilettes ne lui échappe. « Ma collègue le sait et cela la dérange beaucoup, surtout lorsqu’elle a des problèmes intestinaux. » Ainsi, lorsqu’elle va aux toilettes, elle tire la chasse d’eau juste avant et plusieurs fois.
« Elle m’a déjà dit : ‘désolé pour le bruit’. On se connaît depuis longtemps, mais bon, c’est quand même très gênant. »
Quand Marie était enceinte, elle devait aussi aller aux toilettes. « Mes collègues ont tout entendu. Cela ressemble à de petits détails de la vie professionnelle, mais en réalité, c’est tout.
Autre problème dans l’entreprise de Marie : des sanitaires insuffisamment équipés. « Dans les toilettes des femmes, il n’y a pas de lavabo à l’intérieur de la cabine ni de poubelle. J’utilise une coupe menstruelle, je ne vous dévoilerai pas le problème. » Un sujet qu’elle considère comme « tabou » au sein de son entreprise. « Sur les besoins particuliers des femmes dans les sanitaires mais plus généralement sur les problématiques liées aux toilettes, personne ne s’est jamais posé de questions. »