La diplomatie comme rempart contre l’influence russe en Afrique. Après l’ouverture de l’ambassade d’Ukraine à Kinshasa mercredi 10 avril, c’est en Côte d’Ivoire que Kiev a inauguré jeudi sa nouvelle chancellerie. Coupe du ruban, lever du drapeau et hymne national : ambassade après ambassade, l’Ukraine espère ainsi « lutter contre le discours russe, largement diffusé sur le continent africain », résume Yurii Pyvovarov, ambassadeur d’Ukraine à Dakar, chargé d’assurer la représentation à Abidjan en attendant la nomination d’un ambassadeur pour la Côte d’Ivoire.
Au total, six nouvelles chancelleries verront le jour en Afrique d’ici deux semaines, inaugurées par l’envoyé spécial de l’Ukraine pour le Moyen-Orient et l’Afrique, Maksym Soubkh. Après l’ouverture ivoirienne, le Ghana, le Botswana, le Mozambique et le Rwanda suivront, portant à 17 le nombre de représentations diplomatiques ukrainiennes sur le continent. « L’objectif est d’atteindre 20 ambassades », explique Yurii Pyvovharo de la nouvelle chancellerie d’Abidjan, un immeuble cossu de 1 200 m2 situé à deux pas de l’ambassade de Russie.
Avec le soutien du gouvernement ivoirien depuis le début de l’offensive russe en Ukraine en février 2022, Kiev entend s’appuyer sur la première puissance économique francophone de la sous-région pour réussir. « un pays charnière pour déployer sa stratégie d’influence en Afrique de l’Ouest », estime le politologue Sylvain N’Guessan, directeur de l’Institut des stratégies d’Abidjan. Pas de quoi rivaliser, à court et moyen termes, avec le vaste réseau d’influence russe déployé sur le continent via ses agences d’information, ses centres culturels et ses partenariats militaires. Mais Kiev ne peut ignorer le poids de l’Afrique dans un monde multipolaire en pleine redéfinition.
Offensive « alimentaire »
Le déclencheur de cette prise de conscience a été le vote du 2 mars 2022 à l’Assemblée générale de l’ONU, au cours duquel seuls 28 des 54 pays africains ont condamné l’agression russe. Déterminés à rester à l’écart d’une guerre qui, estiment-ils, ne les concerne pas, 17 Etats du continent se sont abstenus, l’Union africaine (UA) n’ayant pas réussi à faire émerger un consensus. Les divergences sont particulièrement visibles en Afrique de l’Ouest, où des pays comme le Mali, le Burkina Faso et désormais le Niger – des instructeurs russes sont arrivés mercredi à Niamey – affichent sans complexe leur soutien à Moscou.
À partir de 1euh En mars 2022, l’État ivoirien prend une position claire contre l’invasion de l’Ukraine. Les ambassadeurs en Côte d’Ivoire des pays de l’Union européenne, des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Suisse ont été reçus par le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Kandia Camara, pour les assurer du soutien du président Alassane Ouattara dans le vote des résolutions de l’ONU condamnant la Russie.
Un soutien réitéré en juillet 2022 lors d’une conversation téléphonique entre les présidents ukrainien et ivoirien, et renforcé deux mois plus tard lors du discours d’Alassane Ouattara à New York. Devant l’Assemblée générale des Nations Unies, le chef de l’Etat ivoirien a appelé à « la cessation immédiate et définitive des hostilités en Ukraine ». En octobre de la même année, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, s’est également rendu à Abidjan.
Le défi de la diplomatie ukrainienne aujourd’hui est de contrer l’offensive » manger « ce qui permet à Vladimir Poutine d’influencer les positions prises par les États africains dépendants du blé russe. « Cette guerre peut vous paraître très lointaine, mais la hausse catastrophique des prix alimentaires a déjà affecté la vie de millions de familles africaines. » a rappelé Maksym Soubkh d’Abidjan, évoquant le blocus russe en mer Noire, qui complique l’acheminement des céréales vers le continent.
Huit pays africains, dont la Somalie, la République démocratique du Congo et l’Éthiopie, ont bénéficié du programme alimentaire humanitaire « Grain of Ukraine » lancé par Kiev en novembre 2022. Fin février, 7 665 tonnes de farine de blé ukrainienne ont été arrivées au Soudan, 25 000 tonnes dans la ville nigériane de Port Harcourt. Si pour l’instant « Seed of Ukraine » ne compte pas la Côte d’Ivoire parmi ses bénéficiaires, Yurii Pyvovharo dit espérer « sa prochaine participation ».
Bataille de communication
En complément de cette diplomatie du blé, Kiev souhaite renforcer les échanges bilatéraux. Avec l’ouverture de l’ambassade d’Abidjan, elle espère le soutien de la Côte d’Ivoire lors des prochaines rencontres internationales, à commencer par la prochaine conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine, qui doit se tenir en Suisse vers la mi-juin. Au chapitre économique, Wautabouna Ouattara, ministre délégué ivoirien aux Affaires étrangères, se félicite du « Coup d’accélérateur » qu’apporte cette inauguration en ce qui concerne « un potentiel énorme » économique entre les deux pays, Kiev étant particulièrement intéressée par le cacao ivoirien et ses produits dérivés, et Abidjan par les céréales, le fer, l’acier, les graisses végétales et animales d’Ukraine.
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En 2023, le volume des échanges commerciaux entre la Côte d’Ivoire et l’Ukraine avoisinera les 90 millions d’euros. Selon Wautabouna Ouattara, les exportations ivoiriennes vers l’Ukraine ont augmenté de plus de 40% par rapport à 2022 et les importations de 18%. Le renforcement de la coopération entre les deux États devrait notamment passer par le rapprochement entre la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire et celle d’Ukraine. L’ambassadeur Yurii Pyvovarov s’engage à ce que le commerce entre les deux pays reprenne d’ici cinq ans « entre 350 et 400 millions d’euros « .
« Mais que peut faire une ambassade face à la propagande russe ? », s’interroge Sylvain N’Guessan, soulignant l’importance de la bataille de la communication dans cette guerre d’influence dont l’Afrique est l’un des principaux théâtres. Si, pour le chercheur, cette inauguration permet à Abidjan de montrer qu’elle « n’est pas séduit par la Russie et reste en phase avec la position de Paris », il estime que l’Ukraine devra déployer d’autres outils pour se rallier à sa cause « une certaine jeunesse ivoirienne lasse de l’héritage colonial français et de plus en plus encline à se laisser tenter par la pensée pro-Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) « .
À cet égard, la diplomatie ukrainienne entend développer des accords dans le domaine de l’éducation et souhaite « apporter à (son) Amis ivoiriens (son) expérience pour repérer les mensonges russes », annonce Yurii Pyvovarov. L’aspect sécuritaire n’a pas été abordé, alors que les forces ukrainiennes sont aujourd’hui actives au Soudan, où elles ont ciblé les positions des Forces de soutien rapide (RSF) commandées par le général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », qui bénéficient d’armes et d’entraînements dispensés par le groupe de mercenaires russes Wagner, présent dans le pays depuis 2017. Un engagement qui laisse sceptiques les alliés de Kiev.