La note valait bien une célébration. Vendredi 13 septembre, devant un parterre d’associations, de membres du gouvernement et de journalistes réunis au Sofitel d’Abidjan, le Premier ministre ivoirien, Robert Beugré Mambé, n’a pu échapper à un moment de satisfaction officielle.
La raison ? Selon l’indicateur « Institutions sociales et égalité des sexes » (SIGI) 2023 établi par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Côte d’Ivoire est le meilleur élève du continent africain en matière de lutte contre les discriminations à l’égard des femmes. Son score est de 17,3 (contre 42,8 en 2019), quand la moyenne mondiale est de 29 (0 étant le meilleur score et 100 le plus mauvais). « Nous entrons dans l’élite des 55 pays les mieux classés sur la scène mondiale », s’est réjoui le chef du gouvernement. La Côte d’Ivoire devance ainsi le Rwanda (19), l’Afrique du Sud (23) et le Canada (17,5).
Le rapport se base sur quatre catégories : discrimination au sein du foyer, accès aux ressources financières, atteintes à l’intégrité physique et restrictions aux libertés civiles. Les critères d’évaluation sont l’existence de lois visant à garantir l’égalité des sexes et à protéger les femmes, la prévalence de la violence basée sur le genre (VBG) et la perception du rôle et des droits des femmes au sein de la population.
«Sentiment d’impunité»
Selon le ministère ivoirien de la Femme, cette nette progression est le résultat d’un renforcement des capacités économiques des femmes à travers des fonds d’appui, des lois récentes favorisant leurs droits et des avancées réalisées dans la lutte contre les VBG (violences domestiques, mutilations génitales, etc.). « Notre singularité est de combiner les questions de genre avec les enjeux économiques et de développement durable »résume Euphrasie Kouassi Yao, conseillère auprès du Premier ministre en charge du genre et présidente du groupe consultatif technique qui a collaboré avec l’OCDE pour l’évaluation du pays.
Au sein des milieux féministes ivoiriens, le bilan est toutefois plus contrasté. Deux jours avant cette annonce, le 11 septembre, le corps sans vie et démembré d’une influenceuse de 19 ans, Emmanuella Y., a été retrouvé dans une résidence de la commune de Cocody, à Abidjan. Les premiers éléments de l’enquête pointent vers la culpabilité de son compagnon. « C’est le quatrième féminicide que nous enregistrons depuis le début du mois. »rappelle Bénédicte Otokoré, la secrétaire générale adjointe de la Ligue ivoirienne des droits des femmes.
Pour l’activiste, le rapport de l’OCDE se concentre sur l’existence des lois et non sur leur application effective. « De bonnes lois ont été votées pour protéger les femmes, mais la méconnaissance de ces textes renforce le sentiment d’impunité. On assiste à une banalisation des discours sexistes et les féminicides continuent », Par ailleurs, les féminicides ne figurent pas parmi les six types de VBG pris en compte par le ministère ivoirien de la Femme. Il n’existe donc pas de statistiques officielles permettant de les quantifier, a-t-elle précisé. « ce qui conduit à peindre un tableau peu réaliste », souligne Bénédicte Otokoré.
Face à l’augmentation des cas de féminicides, la Ligue ivoirienne des droits des femmes a adressé le 18 septembre un communiqué aux pouvoirs publics pour réclamer une réforme judiciaire en vue de la reconnaissance et de la lutte contre ce phénomène. Une démarche soutenue par la journaliste et militante féministe Nesmon de Laure, fondatrice de l’ONG Opinion éclairée, qui s’interroge également sur le score obtenu : « Les lois font grimper le classement de la Côte d’Ivoire. Mais qu’en est-il de l’action gouvernementale pour lutter contre le patriarcat dans les normes sociales ? »
Campagnes de sensibilisation
Ces dernières années, l’adoption de plusieurs lois a contribué à faire évoluer le cadre juridique ivoirien. La réforme du code de la famille en 2019 a harmonisé l’âge légal du mariage pour les femmes et les hommes à 18 ans. Le texte confère à la mère la même autorité parentale que le père et autorise une épouse à entrer dans l’ordre de succession de son mari. La même année, un quota minimum de 30 % de femmes dans les assemblées élues a été voté. En 2021, une loi sur les violences conjugales et le viol a garanti davantage de mesures de protection aux victimes de VBG. Et depuis 2016, la multiplication des bureaux de plaintes sexistes au sein des commissariats vise à encourager les femmes à s’exprimer.
L’avocate Ferela Soro, responsable du plaidoyer de l’Organisation de réflexion et d’action féministes (ORAF), salue ces outils juridiques mais s’attend à ce que les tribunaux les appliquent avec « sanctions dissuasives » et que le gouvernement se bat « plus frontalement » actes sexistes. « Tant que nous n’accélérons pas la formation de l’opinion publique et l’application des sanctions, la culture de la violence contre les femmes perdurera », Elle estime. Et de citer en exemple les mutilations génitales, interdites depuis 1988 mais qui concernent encore 37% des femmes ivoiriennes, selon l’évaluation de l’OCDE.
Le ministère de la Femme reconnaît que « la persistance des stéréotypes culturels » freine les progrès. Pour y remédier, il explique qu’il met en œuvre des campagnes de sensibilisation, collabore avec des influenceurs pour atteindre les jeunes via les réseaux sociaux ou coopère avec des leaders communautaires pour influencer positivement les perceptions sur le rôle des femmes.
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Si l’OCDE soutient la Côte d’Ivoire dans sa stratégie, elle l’invite également à renforcer son action pour endiguer les VBG et promouvoir l’autonomie reproductive. En outre, l’application des lois doit être améliorée, selon elle. Un préalable si le pays souhaite atteindre son objectif ambitieux de mettre fin à toutes les formes de discrimination et de violence à l’égard de ses citoyens d’ici 2030, conformément aux objectifs de développement durable définis par l’ONU.