«La Chine va imposer un faux successeur au Dalaï Lama»
Le 31 mars 1959, le Dalaï Lama arrive en Inde, avec au moins 80 000 Tibétains dans son sillage. Ils durent fuir Lhassa, à la suite du soulèvement du 10 mars 1959, écrasé dans le sang par la Chine. L’exil du chef spirituel bouddhiste des Tibétains, âgé de 88 ans, dure encore aujourd’hui. Qui lui succédera un jour ? De nombreux Tibétains craignent que Pékin nomme son propre Dalaï Lama dans le but de renforcer son contrôle sur le Tibet.
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Entretien avec Katia Buffetrille, tibétologue et anthropologue, auteur de nombreux ouvrages sur le Tibet.
RFI : Que signifie pour les Tibétains cette date de l’arrivée du Dalaï Lama en Inde ?
Katia Buffetrille : Pour les Tibétains, c’est une date très importante. Il y a bien sûr eu le soulèvement du 10 mars, mais le départ de Dalaï Lama et son arrivée en exil en Inde signifie véritablement la fin d’un monde, celui du monde tibétain traditionnel. Les Chinois lanceront alors toutes leurs réformes dans le Tibet centrale, des réformes qui avaient déjà commencé bien avant dans les provinces de l’Est, conduisant à des soulèvements en 1956 dans le Kham et en 1958 dans l’Amdo. Environ 80 000 personnes vont fuir et arriver en Inde dans le sillage du Dalaï Lama. Ces Tibétains seront confrontés à un climat totalement nouveau, dans un pays humide où il fait 35 à 40 degrés. Beaucoup contracteront la tuberculose, une maladie jusqu’alors inconnue au Tibet. Cette première génération en exil va connaître une vie très difficile en plus d’avoir tout perdu, son pays et ses biens. L’Inde les a bien accueillis, c’est d’ailleurs le seul pays qui les a tous reçus, mais dans des conditions très difficiles.
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Aujourd’hui, le chef spirituel bouddhiste a 88 ans. La question de sa succession se pose de plus en plus pressante, et les grandes manœuvres politiques ont déjà commencé. Selon vous, quel est le scénario le plus probable ?
Le Dalaï Lama avait laissé entendre qu’il pourrait ne pas se réincarner (à l’issue d’une cérémonie qui permet à l’institution religieuse tibétaine de désigner un successeur, NDLR). Cependant, il semble y avoir une demande de la part de tous les Tibétains pour qu’il se réincarne. À plusieurs reprises, il a déclaré qu’à 90 ans, il réunirait un groupe de personnes laïques et religieuses pour discuter de sa réincarnation. Quoi qu’il en soit, la Chine a annoncé depuis longtemps qu’elle nommerait son propre Dalaï Lama. Ce dernier, tout comme le Panchen Lama, deuxième autorité religieuse du Tibet, déjà nommé par la Chine, sera élevé par les autorités chinoises, et sera donc une marionnette de la Chine, non reconnue par le peuple tibétain.
Donc l’un sera choisi par les Tibétains, l’autre par la Chine ?
Justement, il y aurait un Dalaï Lama chinois, et certainement un autre, celui choisi par les Tibétains et qui naîtra en exil, soit en Mongolie, soit en Inde, soit dans un pays occidental. Les États-Unis ont déjà indiqué qu’ils ne reconnaîtraient pas un Dalaï Lama nommé par le gouvernement chinois. Nous ne pouvons qu’espérer que tous les pays feront de même et ne reconnaîtront pas cette mascarade et ce faux Dalaï Lama.
L’actuel Dalaï Lama a toujours incarné la résistance à l’annexion et au contrôle brutal de la Chine. Sans lui, les Tibétains devraient-ils craindre davantage le diktat de Pékin ?
Il incarne le Tibet à l’heure où les autorités chinoises cherchent à effacer le nom « Tibet » au profit de » Xizang « , le nom chinois. Mais il ne demande absolument pas l’indépendance. Il revendique simplement une véritable autonomie du pays dans son ensemble (Tibet central, Kham et Amdo) au sein de la République populaire de Chine. Il existe encore des mouvements indépendantistes tibétains, mais il est certain que le Dalaï Lama est reconnu et respecté par l’ensemble de la communauté tibétaine, même par les partisans de l’indépendance. Il est un symbole et une figure très importante, et il est le dernier à connaître encore le Tibet traditionnel, le Tibet réel, le Tibet indépendant.
Sa mort sera une perte énorme, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du Tibet. Pour les exilés en Inde, cela aura également un impact énorme. Même si le Dalaï Lama est très respecté en Inde, la communauté tibétaine y jouit de très peu de droits. Ce sont des réfugiés et ils n’ont pas la nationalité indienne. Aujourd’hui, de nombreux réfugiés tibétains quittent l’Inde pour les pays occidentaux. Selon le dernier recensement indien, 72 000 réfugiés sont actuellement installés en Inde, contre près de 90 000 auparavant.
Au Tibet même, le programme de sinisation à marche forcée va-t-il se poursuivre ?
Pékin n’a pas besoin de la disparition du Dalaï Lama pour imposer l’assimilation des Tibétains. Même si leur situation n’est pas comparable à celle des Ouïghours, on sait qu’il existe des internats dans lesquels sont scolarisés plus d’un million d’enfants tibétains. Ils sont enseignés en mandarin et le programme est bien sûr en chinois. Ils n’apprennent donc rien de leur propre et très riche civilisation. Ces enfants deviennent ainsi des étrangers dans leur propre famille.
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