Cela va-t-il passer ou pas ? Depuis un mois, la marine allemande (Deutsche Marine) entretient les doutes sur le passage éventuel de la frégate « Baden-Württemberg » et du navire de ravitaillement « Frankfurt am Main » dans le détroit de Taïwan, suite à leur participation à une mission de surveillance des sanctions visant la Corée du Nord pour le compte des Nations unies.
La question était de savoir si l’Allemagne prendrait le risque de contrarier la Chine, qui est son premier partenaire commercial, avec 253 milliards d’euros de biens échangés en 2023.
« Nous sommes ici pour montrer notre drapeau et que nous soutenons nos partenaires et amis. Il s’agit aussi de démontrer notre engagement en faveur d’un ordre fondé sur des règles, de la résolution pacifique des conflits territoriaux et de voies de navigation ouvertes et sûres », avait expliqué en août dernier l’amiral Axel Schulz, commandant de cette flottille allemande déployée dans la région indo-pacifique.
Pour rappel, le droit maritime international autorise le passage « inoffensif » de navires militaires dans les détroits. Or, Pékin considère que les détroits de Taïwan constituent un continuum entre ses eaux territoriales, sa zone contiguë et sa zone économique exclusive (ZEE). D’où ses protestations dès que des forces navales étrangères y mènent des opérations dites FONOP afin de défendre la liberté de navigation.
Le 9 septembre, alors que la frégate Baden-Württemberg et son convoi s’apprêtaient à quitter la Corée du Sud, Pékin a lancé un avertissement à la Deutsche Marine. « La Chine rejette les provocations et menaces des États concernés contre sa souveraineté et sa sécurité sous couvert de liberté de navigation. (…) Taïwan est une partie indissociable de la Chine et les eaux du détroit de Taïwan sont des eaux chinoises », a déclaré le ministère chinois des Affaires étrangères.
Cet avertissement n’a cependant pas découragé les deux navires de la Deutsche Marine puisque, le 13 septembre, et selon les données de l’AIS (Automatic Identification System), ils sont entrés dans le détroit de Taïwan. C’est ce qu’a confirmé Boris Pistorius, le ministre allemand de la Défense.
« La frégate Baden-Württemberg et le navire ravitailleur Frankfurt am Main ont emprunté la route du détroit de Taïwan, entre la Corée du Sud et les Philippines. (…) C’est la route la plus courte et la plus sûre compte tenu des conditions météo. C’est aussi une route maritime internationale. Nous passons donc par là », a déclaré M. Pistorius, avant de souligner qu’il s’agissait aussi d’un « signal ».
Comme prévu, Pékin n’a pas tardé à protester.
« Le principe d’une seule Chine est une norme fondamentale dans les relations internationales, qui fait l’objet d’un consensus international dominant. La question de Taiwan ne concerne pas la liberté de navigation mais la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine », a d’abord réagi la diplomatie chinoise.
« Nous respectons le droit des pays à naviguer dans les eaux concernées conformément aux lois chinoises et au droit international. (…) Mais nous nous opposons fermement à tout acte de provocation sous prétexte de liberté de navigation qui porte atteinte à la souveraineté et à la sécurité de la Chine », a-t-elle ajouté, avant d’exhorter l’Allemagne à éviter toute « ingérence » qui pourrait « mettre en péril le développement sain et stable des relations bilatérales ».
De son côté, le ministère chinois de la Défense a adopté un ton plus martial, affirmant que la présence des deux navires allemands dans le détroit de Taïwan n’était qu’un acte de « propagande » et assurant qu’ils seraient étroitement surveillés par les forces navales et aériennes chinoises tout au long de leur transit.
« Le comportement de la partie allemande augmente les risques sécuritaires et envoie un mauvais signal. Nos forces sont en alerte permanente et s’opposeront résolument à toutes les menaces et provocations », a-t-il insisté.
La marine allemande n’avait plus navigué dans le détroit de Taïwan depuis 2002. Il faut dire qu’elle n’avait pas eu l’occasion de le faire depuis… puisque ce n’est qu’en 2021 qu’un de ses navires est revenu dans la région indopacifique. Mais à l’époque, Berlin voulait ménager la Chine pour des raisons économiques tout en affirmant être ferme sur les grands principes du droit international.
Photo : Ein Dahmer – CC BY-SA 4.0