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La Chine désormais au centre de la stratégie nucléaire hautement confidentielle des États-Unis

Pékin s’est dit « préoccupé » par la révision discrète du document américain « Nuclear Employment Guidance » qui met en avant l’augmentation de l’arsenal chinois et le risque d’une « collaboration » nucléaire entre Chinois, Russes et Nord-Coréens.

L’article de la Le New York Times publié le 20 août a fait l’effet d’une petite bombe. David E. Sanger – dont la biographie sur le site du grand quotidien américain rappelle qu’il écrit sur le « La stratégie nucléaire des États-Unis» depuis quatre décennies – est à lire attentivement car, sur ce sujet particulièrement sensible, chaque mot compte. Ce n’est pas pour rien que nous parlons de « grammaire nucléaire» pour évoquer le langage très codifié de la dissuasion. En l’occurrence, le journaliste américain a révélé que le président Joe Biden avait approuvé en mars dernier un document hautement confidentiel relatif à la politique nucléaire américaine, qui n’a pas fait l’objet d’une annonce officielle de la Maison Blanche.

Il s’agit d’une révision, qui a généralement lieu tous les quatre ans, du plan appelé « Orientation pour l’emploi dans le secteur nucléaire »Il n’existe aucune copie numérique de ce texte qui ne soit pas distribuée dans « papier » à une poignée d’officiers et de responsables américains de très haut rang, très concernés par la sécurité nationale. Quelques informations fragmentaires, indiquant de grandes orientations, peuvent néanmoins filtrer par la presse, de sorte que les développements de la stratégie nucléaire américaine font l’objet d’un peu de lumière, au milieu de beaucoup d’ombre qui recouvre encore largement les doctrines des États dotés de l’arme nucléaire.

L’arsenal nucléaire chinois s’agrandit

Cette année, ces quelques éléments publicitaires révèlent un changement substantiel : « pour la première fois »David E. Sanger précise clairement que « La stratégie de dissuasion américaine » – structuré depuis la guerre froide par la rivalité avec la Russie – « se concentre » sur la Chine et « l’expansion rapide de son arsenal nucléaire ». Washington prend également en compte la possibilité, là aussi nouvelle, d’une « coordination » nucléaire entre Pékin, Moscou et Pyongyang. L’édition précédente, en 2020, ne mentionnait que la Chine.

La République populaire n’a pas manqué de réagir à cette révélation de la Le New York Times. Mercredi, lors d’un point de presse régulier rapporté par Reuters, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, a déclaré : « grave préoccupation » de Pékin. « Les États-Unis véhiculent le récit de la menace nucléaire chinoise, trouvant des excuses pour obtenir un avantage stratégique »a-t-il ajouté. La veille, la Maison Blanche avait précisé que le plan nucléaire stratégique confidentiel approuvé cette année par Joe Biden n’était pas « une réponse à un seul pays ou à une seule menace »Sans surprise, ces quelques mots d’apaisement n’ont pas suffi à calmer la colère de Pékin.

Ce changement de stratégie américaine n’est pas une surprise en soi. Traditionnellement, la Chine mettait en œuvre « dissuasion minimale»La Chine s’appuie sur le principe d’un nombre limité d’armes nucléaires capables de dissuader un adversaire en visant ses principaux centres urbains ou de répondre à une première frappe. Pékin rejette officiellement tout recours à l’arme nucléaire en premier ou contre une puissance qui n’en possède pas. Cela s’est notamment traduit par un nombre relativement restreint de têtes nucléaires, environ 200, à peu près équivalent à celui de l’arsenal français. Mais cette stabilité est révolue. En 2022, des images satellites commerciales ont révélé la construction en Chine de plusieurs champs de silos de lancement capables d’accueillir jusqu’à 300 missiles intercontinentaux. Depuis, la dynamique n’a cessé de s’accélérer.

En octobre 2023, dans son rapport annuel sur les capacités militaires chinoises, le ministère américain de la Défense – « Département de la Défense » – estime que Pékin dispose désormais de 500 ogives nucléaires opérationnelles, soit le double de ce qu’elles étaient en trois ans seulement. Le Pentagone, citant une « dépassant les projections précédentes »à condition également que « La Chine disposera de 1 000 ogives nucléaires opérationnelles d’ici 2030 » et que l’expansion de l’arsenal chinois va se poursuivre « jusqu’en 2035 »jusqu’à « 1500 »Soit à peu près l’équivalent du nombre d’ogives stratégiques déployées par les Etats-Unis ou la Russie, dont le plafond est fixé à 1.550 par le traité New Start, dont l’application est actuellement suspendue. Quant au nombre de lanceurs terrestres, il serait passé de 100 à 500 entre 2021 et 2023, toujours selon le Pentagone. Or, le traité New Start fixe à 700 le nombre de lanceurs russes et américains, un chiffre qui inclut les lanceurs terrestres, mais aussi les sous-marins et les lanceurs aériens.

Coordination entre Pékin, Moscou et Pyongyang

Le rattrapage chinois est donc spectaculaire, d’autant qu’il s’accompagne d’une diversification de son arsenal. Pékin développe de nouveaux programmes pour les trois composantes de sa triade nucléaire : missiles intercontinentaux terrestres ; sous-marins nucléaires lanceurs d’engins ; et bombardiers stratégiques. Pékin déploie également une gamme de nouveaux missiles de croisière ou balistiques à double usage, pouvant emporter une charge nucléaire ou conventionnelle. Sans oublier un programme de planeurs hypersoniques – domaine dans lequel Washington est à la traîne par rapport à la Chine ou à la Russie – conçus pour échapper aux systèmes d’interception les plus sophistiqués.

L’évolution inquiétante de l’arsenal nucléaire chinois ne peut être appréhendée de manière isolée. C’est le deuxième aspect évoqué dans le plan stratégique américain confidentiel, selon le Le New York Times :La dissuasion américaine doit faire face à la possibilité d’une coordination entre Pékin, Moscou et Pyongyang. « Dans le passé, il semblait peu probable que les adversaires des États-Unis puissent coordonner leurs menaces nucléaires pour déjouer l’arsenal nucléaire américain. Mais le partenariat émergent entre la Russie et la Chine, ainsi que la armes conventionnelles « Les fournitures que la Corée du Nord et l’Iran fournissent à la Russie pour la guerre en Ukraine ont fondamentalement changé la façon de penser de Washington. »David E. Sanger écrit, citant le stratège Vipin Narang, chercheur au MIT qui a servi au Pentagone : « Il est possible qu’un jour nous regardions en arrière et considérions le quart de siècle qui a suivi la guerre froide comme une parenthèse nucléaire. Le nouveau défi est la possibilité réelle d’une collaboration, voire d’une collusion, entre nos adversaires dotés de l’arme nucléaire. ».

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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