La chanteuse italienne Laura Littardi, figure respectée de la scène jazz, est décédée après une longue bataille contre la maladie
La nouvelle fait le tour du monde du jazz depuis une semaine. La chanteuse italienne Laura Littardi est décédée dimanche 11 août au soir dans un hôpital près de Paris, a annoncé sa famille via la page Facebook de l’artiste. Elle luttait depuis plusieurs années contre une myosite nécrosante, une maladie auto-immune orpheline. La nouvelle de son décès, survenue en plein été, a profondément attristé le monde du jazz vocal, professionnel et amateur, mais aussi la scène jazz dans son ensemble, des deux côtés des Alpes.
Laura Littardi était une performeuse solaire, exceptionnelle, une grande improvisatrice, aussi à l’aise dans les registres jazz, brésilien, soul, funk, pop, et une authentique reine du groove. Elle enchante aussi en tant que pédagogue. Elle pratiquait ces deux activités avec passion, générosité et une gentillesse reconnue de tous, les artistes qui travaillaient avec elle comme ses élèves.
Née à San Remo, dans le nord-ouest de l’Italie, le 2 janvier 1960, Laura Littardi étudie les langues étrangères, puis part vivre à l’étranger au début des années 1980 : deux ans à Londres, dix mois à Munich avant un bref retour en Italie. Musicienne autodidacte, elle alterne contrats de travail et expériences artistiques. Avec un groupe pop, elle chante un été en Israël, puis, plus tard, cinq mois à travers l’Europe. Fin 1984, elle s’installe à Paris. Un temps secrétaire de direction, puis gérante d’un magasin de vêtements aux Halles, elle se lance finalement à corps perdu dans la musique. Elle chante un temps dans un groupe de rock progressif.
A la fin des années 1980, Laura Littardi passe un an à l’école de jazz parisienne CIM (Centre d’informations musicales). Elle, qui ne sait pas lire une partition, veut mettre toutes les chances de son côté. Elle renforce sa formation par des cours particuliers. Au CIM, elle rencontre le chanteur Thierry Peala, le pianiste Bruno Angelini et d’autres artistes de la scène française. Elle chante dans des restaurants et des bars. En 1995, elle met son splendide timbre d’alto au service de l’ensemble vocal Six 1/2, avec Thierry Peala. Les deux amis enregistrent un album avec ce groupe puis repartent dans leurs aventures. Toujours avec Peala, Littardi rejoint le groupe du saxophoniste Sylvain Beuf, Octovoice, où elle chante pendant cinq ans.
En 2002, Laura Littardi enregistre son premier album solo, Sans Paura avec son trio de l’époque, formé avec Pierrick Hardy à la guitare et Nicolas Krassik au violon.
« Laura avait une véritable passion pour la musique, Pierrick Hardy se confie à Franceinfo Culture. Pour l’improvisation, la voix, le groove, les mélodies bouleversantes, la richesse harmonique. Elle aimait une forme de grâce dans cet art et chez les musiciens qui le font. Elle était enthousiaste. Elle avait un swing très puissant. Je garde son swing en tête depuis que nous nous sommes rencontrés il y a une trentaine d’années. Il ne m’a jamais quitté. »
Dix ans plus tard, en 2012, elle sort l’album Danse intérieure, bel hommage à la musique pop et soul qui a bercé son adolescence, avec laquelle elle a voulu « créer un pont vers le jazz », elle l’expliquait à Franceinfo Culture en décembre 2012.
En mars 2017, elle revisite Serge Gainsbourg de manière très personnelle dans un album au titre malicieux Gainsbourg etc… Avec Laura L. Une ultime expérience d’enregistrement, dont elle a surtout gardé le souvenir de la magie de la connexion avec les musiciens lors des séances d’enregistrement.
« Elle était très contente de cet album, se souvient Thierry Peala. Laura et les musiciens ont pris leur temps, par plaisir et par instinct. Ils sont entrés dans le studio, ils ne se sont rien dit, ils ne se sont même pas vus à cause de la configuration du lieu, ils se sont écoutés. Et ça a donné quelque chose de très beau. »
Si les disques jalonnent sa carrière, c’est sur scène que Laura Littardi brille. Dès qu’elle chante, elle enchante, au travers de ses collaborations avec de nombreux artistes tels que les batteurs André Ceccarelli et Fabrice Moreau, les pianistes Alain Jean-Marie et Carine Bonnefoy, les saxophonistes Francesco Bearzatti et Renato D’Aiello, le guitariste Serge Merlaud, les contrebassistes Mauro Gargano et Giovanni Licata…. Elle se produit dans les festivals, dans divers clubs et salles de jazz de Paris et sa région, comme le Sunset/Sunside, le Studio de l’Ermitage ou le Baiser Salé.
Enseignante, à partir du milieu des années 1990, elle fait également des merveilles, notamment à l’Ariam (Association Régionale d’Information et d’Actions Musicales, agence fermée en 2017) en Île-de-France où elle retrouve Thierry Peala et côtoie, entre autres, les chanteuses Laurence Saltiel, Isabelle Carpentier, ainsi que le guitariste Pierrick Hardy avec qui elle entamera une longue collaboration.
Plus tard, elle est l’un des piliers de Crest Jazz Vocal, un événement estival effervescent qui allie festival et académie de chant, dans la Drôme. A Paris, toujours avec ses amis et complices Thierry Peala et Laurence Saltiel, elle co-fonde Edyvoice, une structure qui regroupe des ateliers musicaux, des chorales, des jam sessions, des master class avec des invités prestigieux comme Nora Winstone, grande voix du jazz britannique. Ce collectif offrira d’innombrables belles soirées aux amateurs de jazz vocal.
En tant qu’artiste, enseignante et coach vocal, Laura Littardi suscite un soutien inconditionnel, une estime et un respect, tant de la part de ses élèves que des musiciens qui l’accompagnent dans ses projets musicaux et éducatifs. « Elle est l’une des plus grandes chanteuses que j’ai jamais connues. » confie le batteur Niko Sarran. « Une musicalité qui résiste au temps, un swing démoniaque. Nous avons collaboré sur plusieurs albums ensemble. La musique était en elle. Elle fait à jamais partie de mon histoire. »
Le bassiste Christian Duperray, autre collaborateur de longue date de Laura Littardi, lui a également rendu un vibrant hommage : « Ce que j’admirais le plus, c’était toute sa personne. Sa musique venait du plus profond d’elle-même. Elle cultivait la sincérité, l’harmonie avec elle-même, pour ensuite l’adresser, l’offrir aux musiciens et à son public. On peut parler de ressenti. Avec Laura, ça allait très loin et son public était toujours très touché. Dans son enseignement, c’est la même chose, elle inspirait et offrait de la bienveillance d’abord. »
Un autre talent, moins connu, de Laura Littardi est celui de compositrice, très douée tant au niveau des mélodies que des arrangements. « Très tôt, elle commence à développer ses propres compositions, se souvient le chanteur Thierry Peala. A peine sorti du CIM, Elle jouait sur des scènes un peu plus grandes que moi, et elle essayait déjà ses compositions, que je trouvais extraordinaires. »
Le chanteur aimerait beaucoup retrouver ses œuvres et enregistrements des années 1990 qui n’ont pas donné lieu à des disques… L’album Danse intérieure par Laura Littardi ouvert par une composition personnelle, Jours ensoleillés.
Le pianiste Benoît de Mesmay, l’un de ses fidèles accompagnateurs, ajoute : « Elle avait un sens très raffiné pour réharmoniser des thèmes qu’elle aimait, issus du répertoire jazz ou de la chanson en général. Nous avions un projet ensemble en cours sur ce thème, car nous partagions cette passion commune pour ‘redresser’ le style haute couture – c’était son expression – les pièces qui nous ont inspirés… »
« Laura est allée très loin dans l’harmonie tout en ayant du groove et de l’âme », Thierry Peala insiste pour sa part. Le chanteur insiste enfin sur « sincérité » Et « curiosité » sans limites qui animaient son amie dans tous ses projets artistiques. « Elle était émerveillée par tout. Et elle avait une générosité, un sens de l’humour… Tous ses élèves le disent, elle avait une grande gentillesse et elle essayait toujours de faire avancer les gens, sans jamais les blesser. »
Une cérémonie funéraire aura lieu le jeudi 22 août, à 13h30, à la Grande Coupole du cimetière du Père-Lachaise. Une collecte sera organisée à cette occasion pour venir en aide à sa famille.