Abasourdis, les animaux attendent sous un soleil de plomb la laine épaisse qui leur fait tant souffrir. Les températures anormalement élevées de ces derniers jours obligent les bergers de Dukat, dans le sud de l’Albanie, à tondre au plus vite.
« Les températures obligent les bergers à précipiter la tonte : des canicules inattendues peuvent être fatales »assure Nexhip Hysolokaj, un biologiste venu saluer ses proches mercredi lors de la tonte, traditionnellement jour de fête en Albanie.
Les hommes se rassemblent à l’aube. Il faut agir vite, les moutons peuvent mourir d’un coup de chaleur et le thermomètre dépasse vite les 39 à 40°C dans la plaine de Dukat, terre agricole au pied des majestueuses montagnes qui veillent sur la mer Adriatique.
Habituellement organisée fin juin, la tonte a lieu cette année en début de mois, pour protéger les animaux du soleil qui peut être mortel.
Le risque est beaucoup plus élevé chez les moutons et chez les moutons non tondus, car la laine empêche la transpiration de s’évaporer.
« Ils supportent le froid, mais ils ont beaucoup de problèmes avec la chaleur, il faut se dépêcher de les débarrasser de leur laine qui les étouffe »» explique Syrja Brahimi, un berger de 64 ans, en coupant avec des ciseaux bien aiguisés le pelage des animaux.
Il a invité ses amis dans sa bergerie, afin qu’ils l’aident à tondre son troupeau de 150 bêtes. Bientôt, il aidera à son tour d’autres bergers en matière de tonte et de vermifugation, avant de partir en transhumance pour l’été.
Moment de fête et de partage malgré l’urgence, la tonte se fait toujours aux ciseaux, suivant une tradition ancestrale. Au fil des heures, le silence et la concentration du matin seulement entrecoupés de bêlements laissent place à l’euphorie d’une journée entre amis. Le café, le raki (un alcool traditionnel), le pain et le fromage soulagent les bergers de la chaleur et de l’effort.
Bonbons
« Il faut terminer les travaux avant 10 heures du matin, pour protéger les moutons du soleil brûlant »prévient Feim Koçi, 61 ans. « J’ai commencé à tondre mon premier mouton à l’âge de 15 ans, un métier difficile mais que j’ai fait avec amour. Les moutons et les moutons sont nos enfants, notre famille, notre vie »souligne le berger, le corps trempé de sueur.
D’un geste du bras, il attrape une brebis ou un mouton. Après, « il faut être très prudent lors de l’utilisation des ciseaux pour ne pas traumatiser l’animal en lui coupant la peau et en lui causant des douleurs »prévient Hasko Koçi, la tête recouverte d’une blouse blanche pour se protéger du soleil. « La bête doit se sentir rassurée. On lui parle, on la caresse… Il faut qu’elle comprenne qu’il ne lui arrivera rien de mal. ».
A côté de lui, Feim Koçi aiguise ses ciseaux. Elle tond doucement : elle commence par la cuisse de l’animal, puis remonte jusqu’à la poitrine. Une fois l’animal tondu, il est rapidement mis à l’abri, sous une tente de fortune recouverte de fougères.
Selon M. Brahimi, cette année, la hausse des températures a non seulement précipité la tonte, elle a aussi eu un impact négatif sur la production laitière : de 65 kilos par brebis l’an dernier, on est passé à 50, raconte-t-il.
Mais les bergers tiennent bon.
« Tant que nous serons en vie, nous ne rendrons pas les armes. Nous trouverons des solutions pour sauver nos moutons et nos brebis”raconte Hasko Koçi, 67 ans. « Mais ici, nous avons tous plus de soixante ans, il n’y a plus de jeunes au village, ils sont tous partis en ville ou à l’étranger ».
« Ces moutons, ils vont tous finir chez le boucher. Il n’y a pas d’autres choix », admet sans enthousiasme M. Brahimi. Elle tente en vain de cacher les larmes qui lui troublent les yeux.