Et si le gouvernement parvenait à réduire davantage le chômage ? La première estimation de l’emploi pour le premier trimestre 2024 révélée ce mardi 7 mai par l’Insee a finalement déjoué les prévisions. L’Institut de statistique a enregistré une hausse des créations d’emplois de 0,2% entre janvier et mars, avec 50 500 emplois créés. Dans leur rapport économique de mi-mars, les prévisionnistes s’attendaient à une hausse de seulement 0,1% et à la création de 20 000 emplois. « Nous sommes une nouvelle fois surpris par la vigueur du marché du travail »explique à La galerieMathieu Plane, économiste à l’OFCE.
« L’économie française continue de créer autant d’emplois que d’activité. Ce qui signifie aussi qu’il n’y a pas de gains de productivité. » poursuit l’économiste. Cette révision à la hausse » ne nous amènera pas à revoir en profondeur notre prévision de chômage autour de 8% en fin d’année, suivie d’une stabilisation. Cela ne fera que retarder la hausse attendue du chômage. L’ascension sera retardée « .
Dans sa lettre adressée au président de la République il y a deux semaines, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, s’est montré pessimiste quant à la promesse d’Emmanuel Macron d’atteindre le « plein emploi » d’ici 2027. Il faut dire que l’emploi salarié a fortement chuté fin 2023, plombé par une activité atone. Et les perspectives économiques étaient très sombres en France comme dans la zone euro. Les effets du resserrement de la politique monétaire par la Banque centrale européenne (BCE) pour limiter l’inflation ont lourdement pesé sur l’activité. Mais les meilleurs chiffres de croissance du PIB (produit intérieur brut) au premier trimestre (+0,2%) ont contribué à soutenir la création d’emplois sur le marché du travail. Comment expliquer cette reprise soudaine ?
Le secteur tertiaire tire l’emploi vers le haut
Tous secteurs confondus, le secteur tertiaire a sans doute tiré l’emploi à la hausse au premier trimestre (+0,4%) avec 48 000 emplois créés. « Il dépasse son niveau d’un an auparavant (+0,8% ou +94.300 emplois) et dépasse largement celui d’avant-crise (+7,8% par rapport à fin 2019 ou +906.600 emplois) », souligne l’Insee. Au début du printemps, les statisticiens tablaient sur une augmentation nette de seulement 5 000 emplois dans le secteur commercial.
Compte tenu du poids du secteur tertiaire dans l’économie française, cette dynamique de services devrait dynamiser le marché du travail français. L’autre bonne nouvelle concerne l’industrie (+0,2%) avec 6 400 emplois créés. « Après avoir rattrapé son niveau d’avant-crise au quatrième trimestre 2021, il le dépasse désormais de 2,9% (soit 90.900 emplois nets créés depuis fin 2019) », complète l’Insee. « Il y a des effets sectoriels assez surprenants. L’industrie crée des emplois. Dans le même temps, on constate une baisse de 0,6% de la valeur ajoutée sur le trimestre »souligne Mathieu Plane.
En revanche, la construction poursuit sa descente aux enfers. L’emploi a reculé de 0,5% au premier trimestre après une précédente baisse au dernier trimestre 2023 (-0,2%). Durement touchés par la crise énergétique et la hausse des tarifs, le secteur du bâtiment et de la construction peine à se redresser. Plusieurs grands groupes ont déjà annoncé des réductions sévères de leurs effectifs. Et d’autres mauvaises nouvelles sur le front de l’emploi pourraient survenir dans un secteur en plein marasme.
Incertitudes sur le chômage
Malgré cette surprise positive sur l’emploi, beaucoup d’incertitude plane sur les perspectives du chômage. Courant 2023, le taux de chômage tel que défini par le Bureau International du Travail (BIT) est passé de 7,2% à 7,5% à la fin de l’année. Et depuis, il s’est stabilisé à ce niveau. Cette hausse s’explique par un ralentissement de la croissance, une moindre création d’emplois et une population active dynamique. D’autres facteurs pourraient peser sur l’emploi. La fermeture des aides mises en place depuis le Covid et le moindre soutien aux apprentissages ont poussé les entreprises à réduire les embauches.
Rappelons que pendant plusieurs trimestres, au cours des années 2021 et 2022, la croissance de l’emploi a été nettement supérieure à la croissance de l’activité. De nombreuses entreprises accumulaient des travailleurs en attendant que l’économie se redresse. Mais ces perspectives se sont assombries avec l’inflation et le resserrement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Plusieurs instituts de prévision de la Banque de France et de l’OFCE parient également sur une hausse du chômage. En effet, l’entrée en vigueur de la réforme des retraites depuis le 1er septembre devrait faire bondir la population active, estimée à 500 000 actifs supplémentaires par l’Insee d’ici 2027. Cette hausse attendue pourrait jouer en défaveur du chef de l’Etat si la dynamique des retraites la création d’emplois reste inférieure à celle de la croissance. « Croissance modeste, politique budgétaire restrictive et carnets de commandes en baisse » pourrait accroître le chômage, ajoute Mathieu Plane.
Une baisse de productivité qui va durer ?
Cette amélioration de l’emploi repose en grande partie sur une baisse spectaculaire de la productivité. En effet, la productivité horaire est encore loin d’avoir retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire. Dans une étude récente, la Banque de France parle même d’un « décrochage » depuis 2019. Les débats entre économistes sont toujours vifs sur les facteurs qui peuvent expliquer ces pertes de productivité.
A la Banque de France, les experts évoquent des facteurs dont les effets sont susceptibles de perdurer dans le temps, comme l’embauche massive d’apprentis ou l’évolution de la composition des effectifs. Face aux difficultés de recrutement, les entreprises ont eu tendance à recruter des travailleurs moins qualifiés. Ce qui pourrait avoir des conséquences sur la productivité des emplois à moyen terme. D’autres facteurs temporaires tels que la rétention de la main-d’œuvre peuvent expliquer cette baisse de productivité. Plus inquiétant encore, le secteur où se trouvent les emplois « les plus productifs » est également touché par ces gains de productivité plus faibles.
L’épineuse question des bas salaires et des emplois mal rémunérés
Derrière les chiffres de l’emploi avancés par le gouvernement, se cache l’épineuse question des bas salaires. Dès son arrivée à Matignon, le Premier ministre Gabriel Attal a fait de la lutte contre la « smicardisation » de la société une de ses priorités lors de son discours de politique générale en janvier dernier. Le chef du gouvernement a promis de défendre les classes moyennes pour que le travail « paye mieux et toujours plus que l’inactivité ».
Créée sous l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne, une mission dirigée par l’économiste Antoine Bozio (IPP) et Etienne Wasmer (Université de New York) doit rendre ses conclusions sur les pistes visant à améliorer l’efficacité des exonérations sociales sur l’emploi. En effet, l’indexation du salaire minimum (SMIC) sur l’inflation a provoqué un « écrasement » de la grille des salaires depuis la flambée des prix en 2022.
Résultat, de plus en plus de personnes ont certes obtenu ou conservé un emploi mais se retrouvent avec des salaires proches, voire inférieurs, au salaire minimum dans certains secteurs. La semaine dernière, les deux chercheurs ont fait le point sur l’avancée de leurs travaux. À cela s’ajoute l’explosion du travail indépendant et des travailleurs des plateformes, parfois payés en dessous du seuil de pauvreté. En fin de compte, la question du « plein emploi » pourrait s’avérer bien plus complexe que la réduction du chômage.
L’économie allemande reprend également des couleurs
Il n’y a pas que la France qui retrouve des couleurs. L’activité économique allemande a recommencé à croître au premier trimestre 2024, avec une hausse de 0,2% du produit intérieur brut (PIB), après une baisse à la fin de l’année dernière et sur l’ensemble de 2023, selon les chiffres officiels publiés à la fin avril. Le taux de croissance de la plus grande économie européenne est un peu meilleur que les prévisions de Factset, qui tablaient sur une croissance de 0,1 %. Du côté du marché du travail, la situation reste stable. Le taux de chômage en avril est resté à 5,9%, niveau auquel il se maintient depuis décembre en attendant que la reprise espérée se concrétise, selon les données désaisonnalisées (CVS), également publiées fin avril par l’Agence pour le chômage. emploi.