Le moment tant attendu est arrivé. Sauf drame, la Banque centrale européenne (BCE) devrait baisser ses taux directeurs jeudi 6 juin. Une première depuis juillet 2022, où elle avait entamé un cycle de hausses spectaculaires : en l’espace de quatorze mois, l’institution les avait relevés. dix fois, augmentant son taux de dépôt de – 0,5% à 4%. ; un niveau resté inchangé depuis septembre 2023.
Son objectif était de lutter contre l’inflation. Car en resserrant sa politique monétaire, la BCE pousse les banques à augmenter les taux des prêts qu’elles accordent. Il devient plus cher d’emprunter, moins d’entreprises investissent. En conséquence, l’économie ralentit et les prix augmentent moins vite.
Après avoir atteint un pic à 10,6% dans la zone euro en octobre 2022, l’inflation est retombée à 2,6% en mai sur un an. Sans surprise, cette lutte contre l’inflation s’est faite au détriment de la croissance dans la zone euro. D’où la nécessité de desserrer l’étau sans plus tarder, pour redonner un nouveau souffle à l’économie.
La BCE est-elle allée trop loin ?
Cet effet sur la croissance est aussi au centre des débats qui agitent les économistes. Certains estiment que l’institution, dont la mission est d’assurer la stabilité des prix, a bien manœuvré. « Nous ne vivons pas de récession en Europe, c’est le signe que la BCE n’est pas allée trop loin dans la hausse des taux »souligne Alexandre Baradez, responsable de l’analyse de marché chez IG France. « Il n’y a pas d’erreur flagrante et les économies de la zone euro ont plutôt bien fait face à ce resserrement explicite de la politique monétaire. »
D’autres estiment au contraire que l’institution basée à Francfort a commis une erreur en suivant la Fed, la banque centrale américaine, qui l’avait précédée en relevant ses taux dès mars 2022. Ces économistes soulignent que l’inflation a été d’une autre nature. des deux côtés de l’Atlantique : si, aux États-Unis, la hausse des prix a été principalement provoquée par une forte reprise de la consommation post-Covid – d’où la nécessité de refroidir l’économie –, en Europe, elle est principalement due à des difficultés de chaînes d’approvisionnement et une augmentation des coûts de l’énergie en raison de la guerre en Ukraine.
En d’autres termes, une fois la situation normalisée sur ces deux fronts, l’inflation ralentirait mécaniquement ; la politique de la BCE n’aurait donc eu que peu d’influence pour ralentir la hausse des prix. En réalité, c’est l’action de la Fed qui aurait contraint l’instance européenne à faire de même : sans hausse des taux, l’économie européenne aurait subi une fuite des capitaux et l’euro aurait plongé.
La fin de l’argent gratuit
En tout cas, il semble certain qu’une page se tourne : il ne faut pas revenir en Europe à l’époque de l’argent gratuit, ces années d’avant la pandémie où les taux directeurs étaient très bas, voire négatifs.
« En 2009, en pleine crise des subprimes, pour éviter un effondrement du système financier, la BCE a injecté des liquidités dans le secteur bancaire. » se souvient Matthieu Picault, maître de conférences au laboratoire d’économie de l’université d’Orléans. « Elle a poursuivi cette politique monétaire accommodante au début des années 2010, sur fond de crise des dettes souveraines. Puis les risques de déflation en 2015 l’ont amenée à poursuivre sur cette trajectoire. » Une parenthèse qui s’est refermée en juillet 2022 avec la première annonce d’une hausse des taux.
Si la BCE s’apprête à faire marche arrière, cet assouplissement de la politique monétaire devrait donc rester modéré. Le taux sur les dépôts, qui s’élève actuellement à 4%, devrait baisser à 3,75%. Cette baisse, déjà anticipée par les marchés, se ressent positivement sur les crédits immobiliers.
Pour l’avenir, le calendrier reste incertain. Une ou deux réductions supplémentaires pourraient être opérées d’ici la fin de l’année mais il n’est pas certain que la prochaine intervienne en juillet. « On ne va pas vers une baisse de taux très rythmée, avec des échéances programmées »observe Alexandre Baradez.
La Banque centrale européenne marche sur une crête : il faut relancer l’économie, mais une reprise trop forte entraînerait un retour de l’inflation. A côté de ces derniers, les banquiers centraux scrutent de près la dynamique des salaires, soucieux de ne pas voir se développer une boucle prix-salaires : du fait de l’inflation, les salaires augmentent, et pour compenser cette charge supplémentaire, les entreprises augmentent leurs prix. … Ce scénario, basé sur les données les plus récentes, semble pour l’instant peu probable.
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La Fed prend de la vitesse
Si la Banque centrale européenne baisse ses taux d’intérêt à partir du 6 juin, elle dépassera la Réserve fédérale américaine, la Fed, qui donne généralement le cap aux pays développés en matière monétaire. En effet, l’inflation s’est calmée plus rapidement en Europe qu’aux États-Unis.
Résultat, alors que les taux américains sont actuellement à leur plus haut niveau depuis vingt ans, entre 5,25% et 5,50%, les économistes estiment que leur baisse n’interviendra au mieux que cet automne – ce qui d’ailleurs n’arrange pas les affaires. du président Joe Biden, candidat à la réélection face à Donald Trump.