la barbarie du Hamas comme arme de guerre
Lire le Gestion de la fauneœuvre clé de la nébuleuse jihadiste datant de 2004, permet de mieux comprendre les calculs à l’œuvre lors de l’attentat perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023. La violence maximale déclenchée à cette occasion s’inscrivait dans une stratégie rationnelle visant à provoquer des violences massives. des représailles d’Israël, dont la brutalité rendrait à son tour impossible toute paix entre l’État juif et les Palestiniens. Un an après le massacre, force est de constater que cette stratégie a largement porté ses fruits.
Viols, massacres d’enfants et de personnes âgées, mutilations de cadavres à coups de couteau… les horreurs commises par le Hamas lors des attentats du 7 octobre 2023 en Israël ont suscité un véritable étonnement dans le monde occidental. Certains abus commis dans le kibboutz de Beeri et de Kfar-Aza est allée bien au-delà de la violence habituellement perpétrée par les groupes terroristes. Pour les commandos du Hamas, il ne s’agissait pas seulement de frapper des civils sans discernement et sans discernement, mais aussi d’infliger une véritable humiliation ritualisée à la population israélienne en recourant à des pratiques d’un caractère rare contre les civils. barbarisme.
Même si ces exactions ont été largement commentées dans les médias, peu d’auteurs ont cherché à surmonter leur sentiment de répulsion pour tenter de comprendre les raisons stratégiques, médiatiques et militaires qui ont incité les combattants du Hamas à se livrer méthodiquement à de telles violences. sur les civils israéliens. Ceci est généralement attribué uniquement à la haine du Hamas envers l’État et la société israéliens. Alimenté par des décennies de guerres sanglantes et de répression, ce ressentiment a explosé le 7 octobre, alors que les terroristes étaient simplement animés par une soif de vengeance.
Si cette lecture n’est évidemment pas entièrement fausse, elle ne permet pas de comprendre en profondeur les forces stratégiques à l’œuvre derrière le recours à la barbarie, et passe à côté de sa dimension planifiée et réfléchie.
Gestion de la faune et la théorisation du cycle attaques-représailles
Cette lecture reflète peut-être le point de vue du combattant, du terroriste, mais pas la pensée froide développée par les cadres militaires du Hamas comme Mohammed Deif ou Yahya Sinouar.
En effet, dans la pensée stratégique djihadiste, la barbarie fait l’objet d’une véritable réflexion au point d’être parfois décrite comme une arme de guerre dont les gains politiques, militaires, voire médiatiques, ont été théorisés en 2004 dans un traité publié sur Internet en arabe (puis traduit dans plusieurs autres langues) intitulé La gestion de la nature sauvage. Quel éclairage nous apporte ce manuel jihadiste sur les massacres du 7 octobre ? Comment expliquer une forme de rationalité stratégique derrière l’incroyable barbarie de ces attentats ?
LE Gestion de la faune constitue l’ouvrage le plus complet consacré par un théoricien du jihad à la question de la place de la barbarie dans la guerre asymétrique. Son auteur, Abou Bakr Naji, plus connu dans la nébuleuse du jihad sous le nom d’Abou Jihad al-Masri, était un cadre d’Al-Qaïda proche d’Ayman al-Zawahiri et de Moussab al-Zarqawi. Il a été tué en 2008 par une frappe américaine au Pakistan.
Dans ce véritable manuel à destination des jihadistes, Al-Masri appelle ses camarades à « humilier » le Grand et le Petit Satan (les Etats-Unis et Israël) afin de les forcer à « se venger » :
« Nous devons poursuivre les opérations d’humiliation contre les États-Unis (…). Pour répondre, l’Amérique cherchera à se venger et le conflit s’intensifiera (…). L’Amérique n’aura d’autre choix que de tomber dans le piège. Le premier piège est l’invasion de l’Afghanistan (…). Le deuxième piège consiste à mettre les forces américaines occupant la région dans une sorte d’état de guerre avec les masses populaires. A partir de là, il est évident que nos mouvements vont amplifier l’expansion jihadiste, qu’ils lèveront des légions parmi la jeunesse assoiffée de résistance. »
Les attentats visent donc avant tout à provoquer, de la part de Washington, des opérations de représailles qui renforceront l’ancrage et le soutien dont disposent les jihadistes dans les pays du Moyen-Orient. En d’autres termes, les attentats doivent contraindre le pays touché à « se venger », c’est-à-dire à mener des opérations dont la rationalité est plus politique que strictement militaire.
En effet, ces représailles verront des armées conventionnelles frapper voire envahir des pays abritant des jihadistes, faisant de nombreuses victimes civiles, ce qui alimentera à leur égard la haine des populations locales et, au-delà, celles des autres pays musulmans – haine que les jihadistes pourront exploiter pour grossir leurs rangs.
Ce schéma simple apparaît parfaitement efficace : comme le souligne l’auteur, les pays victimes d’attentats ne peuvent en aucun cas renoncer aux représailles, au risque de perdre leur crédibilité et surtout le soutien de leur opinion publique interne qui, au lendemain d’un attentat, toujours nécessite des réactions « fortes » et « immédiates ». Les attentats contraignent donc les puissances démocratiques – Al-Masri évoque d’abord les pays occidentaux et Israël, pays où la pression de l’opinion publique se fait davantage sentir que dans les États autoritaires également visés par les jihadistes comme la Russie – à s’engager dans des guerres dont la rationalité ne fait pas long feu. à une logique militaire à long terme mais répond surtout à des enjeux politiques de court terme, ce qui les condamne, selon l’auteur, à d’inévitables échecs.
La barbarie, une méthode éprouvée
Pour que ce modèle fonctionne pleinement, pour que les représailles deviennent absolument inévitables, il convient, explique Al-Masri, d’infliger une véritable humiliation à l’ennemi par le recours à la « bestialité » : plus le pays visé par l’attaque sera « entaché ». » pour reprendre les termes de l’ouvrage, plus la réponse se rapprochera de la vengeance et perdra en rationalité.
Difficile à la lecture de ces passages de Gestion de la faune ne pas penser aux événements du 7 octobre en Israël et à leurs conséquences. L’horreur des abus commis par le Hamas oblige le gouvernement israélien à réagir de manière terriblement brutale, ce qui risque de renforcer la base populaire du groupe terroriste, tant à Gaza qu’en Cisjordanie. D’autant que le Hamas contraint ainsi l’armée israélienne à attaquer des positions « préparées à l’avance » comme disent les militaires, pour pénétrer dans un environnement urbain piégé qui constitue essentiellement un égalisateur favorable aux faibles dans un contexte asymétrique.
De ce point de vue, les dirigeants du Hamas ont certainement tiré les leçons de la première bataille de Falloujah en Irak en mars 2004. En effet, cet épisode semble correspondre parfaitement à la pratique de la barbarie théorisée par Abu Jihad al Masri.
Afin de contraindre l’armée américaine à entrer dans la ville, des dirigeants d’Al-Qaïda et notamment Ahmad Hashim Abd al-Isawi, numéro 2 de sa branche irakienne, ont organisé le massacre et la dégradation des cadavres de quatre soldats américains d’une compagnie militaire privée. Eaux noires le 31 mars 2004. Après avoir tué ces Américains pris en embuscade, les combattants ont brûlé leurs corps avant de les traîner dans la ville et de les pendre sur le pont principal. Ce déchaînement de violence ne s’adresse pas tant aux Irakiens qu’au gouvernement américain et à son opinion publique. Pour expier cette « souillure », sous la pression populaire, des ordres sont donnés à Marines pénétrer dans une ville que les troupes américaines évitent soigneusement depuis avril 2003 de peur de se retrouver enkystées dans une guérilla urbaine coûteuse en termes humains et médiatiques.
Conformément aux analyses de l’auteur de Gestion de la faunele piège se referme alors sur l’armée américaine : la réponse de Marinesloin d’affaiblir Al-Qaïda en Irak, a renforcé la base populaire de l’organisation terroriste, a plongé la jeunesse de Falloujah dans la « résistance » contre l’occupant américain et a donné naissance à une gigantesque campagne de mobilisation médiatique conduisant à des révoltes dans toutes les grandes villes irakiennes.
Délégitimer les partis et régimes arabes prêts à négocier avec Israël
Vingt ans après sa publication en ligne, le manuel continue d’inspirer les jihadistes du monde entier, notamment ceux du Hamas. La vengeance, suscitée d’abord parmi les pays visés puis, dans un deuxième temps, parmi les populations musulmanes des pays visés par les représailles, favorise une polarisation religieuse de la société, qui constitue justement le principal facteur de recrutement de la population. Gaza par le Hamas. Cette mise en œuvre planifiée du cycle de vengeance conduit alors au discrédit d’acteurs plus modérés, prêts à être des interlocuteurs de l’État hébreu, comme le Fatah en Cisjordanie.
Lire la suite : Guerre contre le terrorisme : comment échapper à la spirale sans fin de la vengeance ?
En effet, la « sauvagerie » est une notion polysémique dans la perspective d’Abou Jihad al-Masri : elle désigne autant la bestialité des attentats censés déclencher le cycle de vengeance favorable aux jihadistes que l’anarchie, le chaos politique qui en résulte. accompagnant les opérations de représailles. De ce point de vue, le but des attentats du 7 octobre est clair : détruire la légitimité des régimes arabes engagés dans un processus de paix avec Israël et, surtout, celle des adversaires palestiniens du Hamas en Cisjordanie, c’est-à-dire dire le Fatah.
Cependant, il semble également de plus en plus probable que ce recours pragmatique à la barbarie ne soit pas préconisé par tous les dirigeants du Hamas. L’aile politique plus modérée du mouvement, incarnée par Ismail Haniyeh (assassiné le 31 juillet à Téhéran), ne s’est probablement pas appropriée les thèses du Gestion de la faunecette aile politique étant d’une part autant nationaliste que djihadiste et, surtout, soucieuse de tenir politiquement la bande de Gaza et de maintenir une forme de stabilité dans une perspective de bonne gouvernance. Dès lors, les modalités des attentats du 7 octobre démontrent clairement une prise de pouvoir au sein du groupe terroriste par la branche militaire, plus radicale, portée par les brigades. Al-Qassamqui subordonne tout, y compris la sécurité des populations palestiniennes, au jihad mondial contre « l’entité sioniste ».
Entre cette branche radicale, aujourd’hui majoritaire à l’état-major du Hamas, et les auteurs jihadistes classiques, le rapport à la barbarie présente des similitudes évidentes. Il faut sans doute voir dans cette radicalisation des modes opératoires du Hamas l’influence croissante de l’Iran et sa volonté d’intégrer tous les mouvements de « résistance » à Israël dans un jihad antisioniste global qui dépasserait les identités culturelles et les clivages. sunnite-chiite et placerait le régime des ayatollahs en position d’hégémonie au Moyen-Orient.