Kiev renforce-t-elle sa mobilisation « trop tard » ?
Mobilisation dès 25 ans, campagne de recrutement en prison, sanctions accrues pour ceux qui résistent… Entre avril et mai, la législation ukrainienne sur la mobilisation s’est considérablement durcie.
Alors que les Russes prennent d’assaut la région de Kharkiv, le parlement ukrainien, la Rada, a adopté plusieurs mesures dans l’espoir de réapprovisionner le front. Des ajustements urgents alors que Moscou a récolté ses plus grandes victoires territoriales depuis fin 2022 lors d’une offensive sur la région de Kharkiv, lancée contre une armée ukrainienne épuisée.
« Cette mobilisation arrive trop tard », réagit le général Vincent Desportes. L’ancien directeur de l’École de guerre ajoute qu’« il n’est pas du tout évident que cet effort soit suffisant » sur le terrain alors que les Russes ont récupéré près de 260 km² en une semaine. « Les Ukrainiens ne disposent que de 87 brigades d’infanterie ou de combat, ces unités qui vont au contact. Et, en un an, ils n’en ont formé que sept nouveaux », illustre Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, historien et stratège.
Une mobilisation de « Tanguy »
La formation de ces nouvelles recrues est au cœur du problème. « Même pour un simple militaire, si on veut un entraînement sérieux, cela prend plusieurs semaines », explique Michel Goya, pour qui ces forces fortes ne se feront sentir sur le terrain que dans « plusieurs mois ». Ces changements législatifs « durs mais nécessaires », selon les mots du chef de la diplomatie américaine Antony Blinken, arrivent donc tardivement.
L’Ukraine s’est montrée « réticente à engager ses forces » dans la bataille, note Vincent Desportes. « Au plus fort de la Première Guerre mondiale, la France a mobilisé entre 5 et 6 millions de personnes (pour une population similaire à celle de l’Ukraine au début de la guerre) contre environ 1 million en Ukraine. L’effort de mobilisation de Kiev n’est pas du tout à la hauteur de ce que la France avait entrepris face à une menace mortelle », note l’ancien général.
Et tandis que la plupart des pays du monde engagent leurs jeunes au combat en cas de conflit armé, l’Ukraine a choisi de les préserver. « Je ne connais pas d’autres exemples historiques où un pays a choisi de se mobiliser seulement à partir de 27 ans, c’est complètement inédit. A Gaza, l’âge moyen des soldats israéliens tués est de 20 ans ! », souligne Michel Goya.
L’Ukraine a encore « potentiellement de la place »
Après la Première Guerre mondiale, la France connaît un choc démographique considérable : toute une génération de jeunes hommes périt sur le front. Kiev « a voulu éviter ça », explique Vincent Desportes qui rappelle que l’Ukraine est une société « plutôt vieillissante », ce qui explique cette volonté politique de « préserver l’avenir ». Mais « cette préservation de la jeunesse est relativement peu conventionnelle alors que le pays est dans une guerre qualifiée d’existentielle », souligne Michel Goya.
« Un pays devrait pouvoir mettre en uniforme au maximum 5 % de sa population. En Ukraine, c’est entre 2 et 3% », explique l’historien, pour qui il reste « potentiellement une certaine marge ». L’Ukraine a donc dû cesser de virer de bord. Mais même en ligne droite, le pays sera confronté à une pénurie d’hommes. Avec une population de 38 millions d’habitants en 2022, l’Ukraine est un nain démographique par rapport à la Russie et ses 144 millions d’habitants. Quels que soient les choix politiques, « la capacité de mobilisation russe reste énorme alors que celle de l’Ukraine reste faible. Les Russes ne veulent pas se mobiliser mais ils le peuvent », note Vincent Desportes.
Notre dossier sur la guerre en Ukraine
Fin avril, le Congrès américain a finalement voté fin avril une aide de près de 61 milliards de dollars pour Kiev. Entre équipement et formation de ces nouvelles recrues, cette aide va donner un vent de fraîcheur aux Ukrainiens alors que le blocage de l’aide américaine, qui a duré plusieurs mois, « a coûté beaucoup en vies humaines », analyse Michel Goya. Mais même avec un équipement renouvelé et une formation Made in USA, « Au final, la guerre, c’est poitrine contre poitrine », constate Vincent Desportes. Car, comme le rappelle l’ancien général, « ce sont les hommes qui avancent et tiennent les positions, pas les drones ».