Des policiers encerclent un manifestant au sol à Nairobi, la capitale kenyane, le 25 juin 2024, lors d’une manifestation contre les nouvelles taxes prévues par le gouvernement (AFP/SIMON MAINA)
Le président kenyan William Ruto s’est engagé mardi à réprimer fermement « la violence et l’anarchie » après de nouvelles manifestations contre ses projets fiscaux, marquées par au moins 5 morts selon des ONG et une intrusion chaotique au Parlement de Nairobi.
Le gouvernement a annoncé dans la soirée avoir fait appel à l’armée pour faire face à la situation, tandis que les États-Unis et plus d’une douzaine de pays européens se sont dits « profondément préoccupés » et ont appelé au calme.
La police a fait usage de gaz lacrymogènes, de canons à eau, de balles en plastique et de balles réelles, selon plusieurs ONG, pour disperser les manifestants.
« Malgré l’assurance donnée par le gouvernement que le droit de réunion serait protégé et facilité, les manifestations d’aujourd’hui ont dégénéré en violences », ont déclaré ces ONG, dont Amnesty Kenya, dans un communiqué annonçant un bilan d’au moins 5 morts et 31 blessés.
Ils disent également avoir constaté 21 enlèvements de personnes par des « agents en uniforme ou en civil » au cours des dernières 24 heures.
Un manifestant renvoie une grenade lacrymogène vers la police mardi à Nairobi, au Kenya, le 25 juin 2024, lors d’une manifestation contre les nouvelles taxes (AFP / Tony KARUMBA)
La principale coalition d’opposition, Azimio, a accusé le gouvernement d’avoir « déchaîné sa force brutale contre les enfants de notre pays ».
« Le Kenya ne peut pas se permettre de tuer ses enfants simplement parce qu’ils réclament de la nourriture, du travail et une oreille attentive. La police doit donc immédiatement cesser de tirer sur des enfants innocents, pacifiques et non armés », a-t-il déclaré. Azimio dans un communiqué de presse.
« Nous apporterons une réponse complète, efficace et rapide aux événements de trahison d’aujourd’hui », a déclaré William Ruto lors d’un point de presse à Nairobi, la capitale, affirmant que les manifestations avaient été « détournées par des personnes dangereuses ».
« Il n’est pas normal, ni même concevable, que des criminels se faisant passer pour des manifestants pacifiques puissent déclencher un règne de terreur contre le peuple, ses représentants élus et les institutions établies par notre constitution, et espérer ne pas être inquiétés », a-t-il ajouté.
Le gouvernement kenyan a déployé l’armée pour soutenir la police « en réponse à l’urgence sécuritaire » et à ces « destructions et intrusions dans des infrastructures cruciales », a annoncé en début de soirée le ministre de la Défense Aden Bare.
– « La voix de la jeunesse » –
A Washington, la Maison Blanche a condamné « la violence sous toutes ses formes » et appelé au calme, a déclaré un porte-parole du Conseil national de sécurité. « Les États-Unis surveillent de près la situation à Nairobi », a-t-elle ajouté.
Des manifestants transportent un homme blessé près du Parlement à Nairobi, au Kenya, le 25 juin 2024, lors d’une manifestation contre de nouvelles taxes (AFP / LUIS TATO)
Les États-Unis et plus d’une douzaine de pays européens, dont l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, se sont déclarés « fortement préoccupés » par ces violences.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est dit « profondément préoccupé » par les violences et « attristé » par les morts et les blessés signalés, a indiqué son porte-parole Stéphane Dujarric.
Le chef de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a également exprimé sa « profonde préoccupation » et a appelé le pays à s’abstenir de toute nouvelle violence.
La tension est montée dans la journée dans le CBD de Nairobi pour cette troisième manifestation en huit jours du mouvement « Occupy Parliament » opposé au projet de budget 2024-25 et à ses nouvelles taxes.
« Nous sommes la voix de la jeunesse au Kenya », a déclaré Elizabeth Nyaberi, une avocate et manifestante de 26 ans. « Ils nous ont aspergés de gaz lacrymogène, mais nous nous en moquons. Nous sommes ici pour parler au nom de notre génération et de celles qui suivront. »
Des journalistes de l’AFP présents dans le centre de Nairobi ont vu trois personnes sans vie gisant dans une mare de sang près du Parlement, où un bâtiment a brièvement pris feu.
Après de premiers affrontements avec la police vers midi, les manifestants sont entrés au Parlement, où les députés venaient d’approuver des amendements au texte, qui doivent être votés d’ici le 30 juin.
La police a repris le contrôle des lieux au bout de quelques dizaines de minutes. Les images télévisées montraient des pièces saccagées, des tables renversées, des vitres brisées et des meubles fumants éparpillés dans les jardins.
Par ailleurs, le réseau Internet au Kenya était perturbé depuis le milieu de l’après-midi, a constaté l’AFP.
Des perturbations « importantes », a confirmé NetBlocks, un organisme de surveillance du réseau mondial de télécommunications, précisant que les autorités avaient affirmé la veille qu’elles ne bloqueraient pas Internet.
– « Peur de rien » –
D’autres manifestations ont eu lieu dans plusieurs autres villes, notamment dans les fiefs de l’opposition de Mombasa (est) et Kisumu (ouest), ainsi qu’à Eldoret (ouest), une grande ville de la vallée du Rift, région d’origine du président William Ruto.
« Occupy Parliament » a été lancé sur les réseaux sociaux peu après la présentation au Parlement le 13 juin du projet de budget 2024-2025 prévoyant notamment une TVA de 16% sur le pain et une taxe annuelle de 2,5% sur les véhicules particuliers. .
Pour le gouvernement, les impôts sont nécessaires pour redonner des marges de manœuvre au pays lourdement endetté.
Après le début des protestations, le gouvernement a annoncé le 18 juin qu’il retirait la plupart des mesures, mais les manifestants réclament le retrait complet du texte.
Manifestation contre les projets fiscaux du gouvernement kenyan, le 23 juin 2024 à Nairobi (AFP / Patrick Meinhardt)
Le mouvement s’est transformé en un défi plus large à la politique du président Ruto, qui s’est déclaré prêt au dialogue dimanche.
« Nous n’avons peur de rien », affirme Stéphanie Wangari, chômeuse de 24 ans. « Ruto n’a jamais tenu ses promesses, même de donner du travail aux jeunes. Nous sommes fatigués. Laissez-le partir. »
Avant mardi, cette mobilisation avait déjà été marquée par la mort de deux personnes à Nairobi, ainsi que des dizaines de blessés et des centaines d’arrestations.