Ken Loach pour la mémoire | Humanité

Le vieux chêne peut être le dernier film de Ken Loach. C’est aussi l’un de ses plus émouvants et derrière l’apparente simplicité de l’histoire, l’un de ses plus aboutis. A presque 87 ans, le cinéaste britannique, double lauréat de la Palme d’or ( le vent se lève, 2006 et Moi, Daniel Blake2016) continue de documenter les mutations de la classe ouvrière et la violence à laquelle elle est confrontée. Le vieux chêne tire son nom du dernier pub d’une petite ville fictive et anonyme du nord de l’Angleterre. En 2016, un bus de réfugiés syriens débarque sous les huées des habitants, agacés de voir débarquer ces gens venus d’ailleurs alors qu’eux-mêmes croulent sous les difficultés. Depuis la fermeture des mines, le chômage et la crise immobilière n’ont fait qu’augmenter, accentuant encore la misère et le désarroi généralisés. Le minimum vital offert par les associations aux Syriens est perçu par certains comme une provocation. Dans ce marasme, Yara, une jeune Syrienne, ancienne volontaire dans un camp de réfugiés, tente de créer du lien, aidée par TJ Ballantyne, le patron du pub, et Laura, une militante associative à l’énergie communicative. Ballantyne, personnage local et fils de mineurs, est aussi l’une des mémoires vivantes de la commune, l’un de ceux qui se souviennent des grandes luttes et des catastrophes minières, celui qui tente aussi de maintenir à flot le dernier lieu de rencontre entre les habitants.
Un péché Désolé de vous avoir manqué, où l’un des personnages regardait des photos de grève, Loach convoque à nouveau l’image fixe pour rappeler ce souvenir des luttes. Car derrière l’oubli, la haine suinte. Ce constat inquiète le cinéaste qui, s’il est ému de voir les pauvres se dresser contre les autres, ne fustige jamais leur attitude. Certes, il y a dans ce très beau film une tendance à discourir dans des dialogues un peu programmatiques. Et les tirades, très justes d’un point de vue politique, donnent parfois au film un ton trop didactique. Mais c’est un détail par rapport aux pépites qu’il contient comme cette magnifique séquence dans la cathédrale de Durham, visitée par Yara lors de chants religieux, ou un deuil qui sonne comme une renaissance. Ken Loach reste athée mais comme le dit TJ Ballantyne, la cathédrale appartient aux ouvriers qui l’ont construite. Parce que chez nous, rien n’est trop beau pour la classe ouvrière. Et il croit toujours à la solidarité. En confrontant les traumatismes des réfugiés et le sentiment d’abandon des habitants de la ville, le cinéaste cherche à créer une histoire commune forte et émouvante. Il revisite aussi son cinéma. Il y a, dans TJ, un peu du héros de mon nom est Joe. Et on pourrait multiplier les exemples à volonté. Toujours est-il que le cinéaste, toujours attentif avec son scénariste Paul Laverty aux bruits du monde, confirme une nouvelle fois qu’avec ses fictions, il demeure l’un des plus grands mémorialistes de l’époque britannique contemporaine.
Grb2