Kallas peut-il être la voix de l’Europe ?
Mobilisation sur le front de l’Est ! La grande présentation orale de Kallas au Parlement européen a résumé la feuille de route de la future chef de la diplomatie européenne pour son mandat : «La victoire de l’Ukraine est une priorité pour nous tous« . L’ancien Premier ministre estonien, très atlantiste – et qui fut d’abord candidat au poste de secrétaire général de l’Otan – a affiché, depuis le début de l’invasion russe, un soutien inconditionnel à Kiev, prônant son entrée tant dans l’Union européenne Union et dans l’OTAN.Nous devons démontrer, par nos paroles et nos actions, que le cheminement de l’Ukraine vers l’OTAN est irréversible. Une intransigeance qui explique le choix de Von der Leyen pour son futur vice-président ; une intransigeance qui s’explique par l’histoire d’une nation partageant 300 kilomètres de frontières avec la Russie et un passé douloureux, deux siècles d’occupation par l’empire russe (jusqu’à son effondrement au début du XXe), jusqu’aux décennies de domination soviétique , la transformation du pays en l’une des quinze républiques de l’URSS – et la déportation massive des Estoniens vers la Sibérie.
Faut-il communautariser cette virulence contre « l’impérialisme russe » ? C’est implicitement le choix fait, avant l’été, par les Etats membres, en validant la candidature Kallas – réserve formulée par la Hongrie, et une Italie contestant plus l’étiquette politique du candidat du groupe Renew que ses orientations de politique étrangère. Il faut dire qu’en juin 2024, les résultats des élections européennes ont donné plus de légitimité à ECR, le groupe du président du Conseil italien, qu’à renouveler pour obtenir ce « Top Job », traditionnellement réservé à l’Europe du Sud. En vain. Résultat, à l’automne 2024, l’audition de Kallas au Parlement bruxellois – et les vifs applaudissements des eurodéputés face à ses accents russophobes – sont complètement en décalage avec l’actualité : une Amérique qui compte ses électeurs et les jours qu’il lui faudrait Trump pour amener Russes et Ukrainiens à la table des négociations, Poutine accueillant les ministres des Affaires étrangères du continent africain à Sotchi, et même un chancelier allemand qui tente, en solo, une médiation Poutine/Zelensky.
« Un nouveau chapitre de la diplomatie européenne s’ouvre, pour un mandat de cinq ans au cours duquel la coopération Rabat-Tallinn, renouvelée ces dernières semaines, pourrait bien retrouver un rôle dépassant le cadre bilatéral. »
Qui le Haut Représentant Kallas représente-t-il réellement ? C’est parce que l’élargissement, cet « investissement géostratégique » qu’elle promeut dans son programme quinquennal, «dans l’intérêt de l’UE« , apparaît tout autant comme la poursuite de la guerre par d’autres moyens. Elle dessine une Europe accueillant les Balkans – mais pas la Serbie – et l’Ukraine. Cependant, dans les États membres, l’opinion dominante est que l’UE ne devrait pas accueillir de nouveaux pays. Concernant l’Ukraine en particulier, si les Européens continuent à démontrer leur solidarité avec les populations civiles, une étude récente de l’ECFR (Conseil européen des relations étrangères) montre que 46% des Européens interrogés craignent que son adhésion compromette la sécurité de l’Europe. quant aux conséquences économiques de l’intégration de l’Ukraine, les Européens de l’Ouest et de l’Est partagent les mêmes craintes, les Polonais ayant clairement fixé la limite de leur soutien au voisin ukrainien à la défense de leur propre agriculture, ce que ne voit pas Kallas, aveuglé par celle-ci. l’axe du mal Russie-Chine qu’elle dénonce, qui brandit son manichéisme face aux paysans européens menacés par l’accord commercial avec le Mercosur, et à la puissance agricole du Brésil, dans leur simple sens que «si on ne peut pas conclure (Mercosur), le vide sera comblé par la Chine« .
Amérique latine et Moyen-Orient : deux régions du monde sur lesquelles Kaja Kallas s’est montrée peu ouverte dans sa présentation au jury du Parlement européen ; et où elle est certainement moins à l’aise que son prédécesseur catalan, député de Barcelone, ancien président du Parlement européen et ministre des Affaires étrangères dans le premier gouvernement Sánchez. Concernant la guerre au Moyen-Orient, elle affiche une fidélité prudente au compromis au minimum du 27 : solution à deux États, appel à la libération des otages et à un cessez-le-feu, à Gaza comme au Liban. Loin des sorties de Borrell dénonçant la violation, par l’État hébreu, du droit international, et qui termine son mandat par une proposition aux 27 de suspendre le « dialogue politique » avec Israël.
Un nouveau chapitre de la diplomatie européenne s’ouvre, pour un mandat de cinq ans au cours duquel la coopération Rabat-Tallinn, renouvelée ces dernières semaines, pourrait bien retrouver un rôle dépassant le cadre bilatéral.