Le reste après l’annonce
Elle est l’une des actrices françaises les plus connues au monde. Mais à ses débuts, dans les années 80, Juliette Binoche ne connaissait rien au cinéma. Dans un texte publié dans le journal Libérerl’actrice parle pour la première fois des violences sexuelles dont elle a été victime et évoque « ces blessures (qui) provoquent la rage« .
Souvent lors de castings, qu’elle suivait dans l’espoir de décrocher un rôle. UN «grande vente aux enchères d’actrices», elle explique. Presque à chaque fois, des réalisateurs, comme Jean-Luc Godard ou André Téchiné, lui demandent de se déshabiller, de réaliser une scène de nu et de la regarder sous toutes les coutures. Ou demandez-lui de leur laisser des photos d’elle nue. Lors du tournage, c’est la même chose : les réalisateurs veulent qu’elle apparaisse nue devant la caméra.
Juliette Binoche parle de cinéastes qui profitent des jeunes femmes rêvant de devenir actrice. Après le tournage avec le réalisateur Pascal Kané dans le film Liberté belleil l’invite à dîner pour parler d’un nouveau projet. « Comme il souligne la vue sur le front de Seine, il se jette sur moi pour m’embrasser. Je l’ai repoussé vigoureusement. Je ne pouvais pas y croire »elle dit Libérer. L’ex-compagne de Benoît Magimel pointe également du doigt le réalisateur Jacques Doillon, récemment accusé de viol par l’actrice Judith Godrèche. Outre les scènes de nu qu’il lui impose aussitôt, il fait jouer à Juliette Binoche des scènes troublantes avec l’acteur Sami Frey, qui incarne son beau-père. «Ta mère veut que je t’aime. Elle veut qu’on fasse l’amour ensemble.dit le personnage de Sami Frey. « Pas sûr d’avoir compris ces lignes à l’époque »avoue aujourd’hui Juliette Binoche.
« Mes limites sont devenues claires » déclare Juliette Binoche
Baiser forcé, mains qui la touchent dans des lieux intimes, photo d’elle nue sur une affiche de film… Toutes ces agressions réveillent d’anciens traumatismes : « avoir été touché par un professeur d’école à 7 ans qui m’a appris à lire en me caressant le sexe derrière son bureau »se souvient de l’actrice Patient anglais.
D’autres types de violences rythment la carrière de Juliette Binoche. Pendant le tournage de Les amoureux du Pont-Neuf, réalisé par son compagnon Leos Carax, elle doit tourner une scène dans la Seine, à plusieurs mètres de profondeur, et frôle la noyade. Lorsqu’elle n’a plus d’air, elle fait signe qu’on l’élève mais personne ne l’aide. Elle finit par remonter seule à la surface, avec difficulté. Le plongeur professionnel lui a dit qu’il avait reçu pour instruction de ne pas la secourir. « Ce jour-là, mes limites, jusque-là mal définies, sont devenues claires »» lance Juliette Binoche, bien décidée à ne plus laisser cela arriver.
Aujourd’hui, l’actrice, qui vient de fêter ses 60 ans, se réjouit que les cinq femmes nominées cette année au César de la meilleure actrice soient pour des films réalisés par des femmes, comme Sandra Hüller, pour Anatomie d’une chute. Juliette Binoche, maman d’une jeune comédienne, a suffisamment de recul pour comprendre les mécanismes des abus de pouvoir dans le monde du cinéma. Le but de Juliette Binoche, dont le témoignage dans Libérer Est lire ici : que réalisateurs et actrices se considèrent désormais égaux, peu importe la longueur et la difficulté du chemin.