C’est la fin d’un long calvaire judiciaire. Après 7 ans passés dans une chambre de l’ambassade d’Équateur et 5 ans enfermé dans une cellule près de Londres, le fondateur de Wikileaks Julian Assange devrait bientôt retourner dans son pays, l’Australie. Poursuivi par le Département d’État américain pour espionnage, l’ancien informaticien spécialisé dans le piratage informatique a trouvé un accord avec la justice américaine. En échange d’un plaidoyer de culpabilité et d’une peine de 62 mois de prison déjà purgés en détention provisoire à Londres, il devrait être libéré après sa comparution mercredi 26 juin devant un tribunal fédéral des îles Mariannes, territoire américain du Pacifique.
Un pirate né
Parfois décrit comme un journaliste, un lanceur d’alerte, ou encore un espion à la solde des ennemis des Etats-Unis, le natif de Townsville, ville côtière du nord-est de l’Australie, est avant tout un hacker.. Julian Assange a commencé à pirater à la fin des années 1980 sous le nom Mandax. En 1991, il n’avait pas encore 20 ans, et il était déjà poursuivi pour une attaque contre les serveurs de l’entreprise de télécommunications Nortel. D’emblée, l’Australien revendique une forme d’éthique, prétendant agir au service du grand public. A ses yeux, « organiser des fuites constitue une action intrinsèquement anti-autoritaire « . En 2006, il fonde WikiLeaks, une « encyclopédie des fuites » qui vise à donner une audience aux lanceurs d’alerte et à promouvoir la transparence de l’information gouvernementale.
Le 5 avril 2010, Julian Assange publie sur le site WikiLeaks une vidéo intitulée « Collatéral Murder », qui lève le voile sur le raid américain du 12 juillet 2007 à Bagdad, au cours duquel 18 civils irakiens ont été tués, dont deux journalistes irakiens. Agence Reuters. La publication de ces documents classifiés met en lumière les crimes de guerre américains en Irak, suscitant l’ire du Pentagone. Mais le « meurtre collatéral » n’est qu’un début. En quelques mois, le site a publié plus de 700 000 documents militaires et diplomatiques secrets sur les guerres d’Afghanistan et d’Irak, obtenus avec la complicité du soldat Chelsea Manning. Ce dernier sera condamné à trente-cinq ans de prison en 2013 avant que cette peine ne soit commuée en 2017 par Barack Obama. La Maison Blanche, très embarrassée, s’est empressée de qualifier ces fuites de « crime grave ».
Le feuilleton judiciaire
Un mois après les premières révélations, la justice suédoise a émis un mandat d’arrêt contre l’Australien pour viol. Une plaignante suédoise (il y en avait deux) l’accusait d’avoir eu des rapports sexuels sans préservatif, ce qu’elle lui avait refusé. L’enquête sera abandonnée faute de preuves en 2019. Selon Nils Melzer, rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, « Les accusateurs d’Assange ont été utilisés par l’Etat suédois ».
Entre-temps, l’Australien a trouvé refuge à l’ambassade d’Équateur à Londres. Le cyberactiviste passe sept ans enfermé dans 30 mètres carrés, sans accès à l’air libre, afin d’éviter son extradition vers la Suède. Avec l’élection d’un nouveau président équatorien proche des Etats-Unis, l’ambassade lève sa protection pour le fugitif.
En avril 2019, le hacker a été arrêté à l’ambassade. Accusé de ne pas avoir respecté les conditions de sa liberté provisoire, il a été condamné à 50 semaines de prison, qu’il purge depuis dans la prison de haute sécurité de Belmarsh (est de Londres). La justice refuse de le libérer en attendant de se prononcer sur la demande d’extradition des Etats-Unis. Accusé de 18 chefs d’accusation par les tribunaux américains, dont « espionnage » Et « conspiration », il risque 175 ans de prison. Il est accusé d’avoir publié 250 000 documents diplomatiques américains.
Un personnage qui divise
Julian Assange a collaboré avec les médias lors de la publication de WikiLeaks, avant de se brouiller avec une partie de la profession. Plusieurs médias qui avaient publié une première série de documents expurgés lui reprochent d’avoir tout diffusé sans prendre la peine de retirer les noms des personnels américains. Sa démarche, qui contraste avec les pratiques journalistiques, a fragilisé son image de victime.
Ses détracteurs lui reprochent ses attaques répétées contre les pays occidentaux et sa trop grande complaisance envers les régimes autoritaires. Ils citent la publication par WikiLeaks de milliers de courriels piratés du Parti démocrate en 2016, ce qui aurait affaibli Hillary Clinton dans la course à la Maison Blanche au profit de Donald Trump. Selon toute vraisemblance, ces fuites provenaient de hackers dépendant des services de renseignement russes. Accusé de faire le jeu de la Russie, Julian Assange a déclaré ne pas connaître l’origine de la fuite.
Un prisonnier politique ?
Selon ses avocats, les poursuites contre Julian Assange s’apparentent à une vengeance d’État contre leur client en raison de son travail journalistique : révélations sur les bévues de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan, sur la mort de milliers de civils et sur des actes de torture sur des prisonniers. Sa détention a été décrite comme « torture psychologique » par l’expert de l’ONU, Nils Melzer.
Les grandes ONG de défense des droits de l’homme sont divisées sur son cas, mais restent unanimes sur le fait que les attentats contre Julian Assange constituent une menace pour la liberté de la presse aux États-Unis et ailleurs. Amnesty International souligne la dimension politique des poursuites. « Il ne faisait que son travail de journaliste et de rédacteur, ajoute Katia Roux, chargée de plaidoyer à Amnesty International. Son procès est celui de la liberté de la presse. » Il ne figurait cependant pas sur la liste des prisonniers d’opinion de l’ONG.