Le jugement dans le procès du réalisateur Christophe Ruggia, accusé d’avoir agressé sexuellement Adèle Haenel lorsqu’il a été mineur, est rendu ce lundi 3 février 2025. Cette nouvelle est l’occasion de se rappeler que le traitement médiatique des paroles de l’actrice de l’actrice contraste avec celui accordé à la parole de Judith Godrèche. Et pour montrer que nous imposons toujours à la colère des femmes pour être polie d’être considérée comme acceptable. Analyse de Gaël Planchenault, linguiste.
L’année 2024 a vu des femmes se lever pour dénoncer la violence commise contre elles et parler au nom d’autres femmes. En saluant leur courage, les médias les ont appelés « figures des figures » ou même « icônes », paradoxalement en utilisant des métaphores qui désignent dans le sens littéral des sculptures et des images muettes. Si nous sommes intéressés par la manière dont les voix de ces femmes ont été présentées dans les médias, nous notons que le traitement qui leur a été fait est inégal.
Prenez l’exemple de deux femmes qui ont été en première page à plusieurs reprises en 2024: Judith Godrèche et Adèle Haenel. Les deux actrices, ils ont révélé les actes de violence sexuelle qui les avaient ciblés alors qu’ils étaient encore mineurs. Ces violences ont eu lieu dans le cadre du tournage du tournage, ils ont dénoncé le silence institutionnel qui les avait forcés à faire taire ce qu’ils avaient vécu. Pour mieux comprendre la façon dont les médias ont signalé leurs discours, nous nous arrêterons sur deux moments clés de leur parole, en se concentrant particulièrement sur la médiation de deux phrases:
« Je parle, je parle, mais je ne t’entends pas »,
Déclaré par Judith Godrèche lors de la cérémonie de Césars le 23 février 2024.
« Mais fermez votre bouche »,
Prononcé, le 10 décembre 2024, par Adèle Haenel lors du procès de Christophe Ruggia, jugé pour agression sexuelle aggravée.
Le discours signalé est réapproprié
Les lecteurs de médias sont habitués à lire des textes dans lesquels les voix sont entrelacées, la moins visible étant celle du journaliste. Ils se demandent rarement comment ces voix sont mises en texte. Cependant, il existe plusieurs façons de ramener des mots: citation directe, discours indirect ou insérer (celui d’un tweet ou d’une vidéo).
Même si nous avons le sentiment d’accéder directement à ces voix, le discours signalé est ré-articulé, dramatisé: d’une part, car le texte des médias connaît ses règles stylistiques, d’autre part, car elle est forcée à ceux qui sont le marché de l’attention . Cette réappropriation des mots par des journalistes donne des clés qui les encouragent à localiser ces voix. Plus problématique est le fait que nous sommes souvent peu conscients du rôle que ces clés jouent dans notre interprétation.
Ces textes attirent des archétypes qui demandent une imagination des votes classés en fonction du genre, de la classe sociale, etc. Pour mieux comprendre ce processus, nous pouvons être intéressés par les verbes choisis pour introduire ces mots ou dans les termes qui servent à les nommer – est le travail d’analyse, réalisé par le linguiste français Jacqueline Authier-Revuz, de ce qu’elle appelle « la représentation d’autres discours ».
En parcourant les nombreux articles qui ont signalé le discours de Judith Godrèche, nous lisons par exemple que l’actrice « pèse ses paroles » (Télésante) et que les autres verbes utilisés pour introduire ses mots sont « difficiles », « envie », « proclamer », « marteau » – des verbes qui non seulement signalent la force de la conviction du sujet, mais mettent également l’accent sur sa valeur émotionnelle.
C’est dans ce ton que les publications décrivent un « cri du cœur » (Sudradio.fr), qui sonne à travers un discours « puissant » (Inroffites,, Madame Figaro), » fort » (Le HuffPost,, le parisien), « Vibrant » (Voici).
Judith Godrèche « défis », Adèle Haenel « hurle »
Pour Adèle Haenel, le choix des termes est très différent: « L’actrice a craqué » (Libérer), elle a laissé « exploser sa rage » (Info en France), elle « bubbles » (20 minutes,, Le Figaro) et une phrase (probablement celle de l’AFP) que nous trouvons systématiquement et avec des variations minimales publiées sous ces mots:
« » Mais a fermé la bouche! « Yaved Adèle Haenel mardi au réalisateur Christophe Ruggia, contre qui cinq ans de prison, dont deux fermes étaient nécessaires, pour agression sexuelle contre l’actrice lorsqu’elle était adolescente. » «
C’est la sélection presque unanime du verbe « hurler » qui remet en question. Avec une origine étymologique qui fait référence à une onomatopée, le terme est généralement utilisé en désignant le cri d’animaux (souvent des chiens ou des loups) et indique le manque d’articulation. On pourrait alors se demander pourquoi les journalistes ne préfèrent pas le verbe à « crier ». Serait-ce une simple différence d’intensité? Certes, le discours de Judith Godrèche frappé par la douceur de sa voix.
Cependant, le verbe « hurlant » semble s’en tenir au personnage construit par les médias à partir d’une autre cérémonie de Césars, cinq ans plus tôt, tandis qu’Adele Haenel a quitté la salle au prix du meilleur réalisateur de Roman Polanski, jetant des mots maintenant notoires:
« C’est dommage! » »»
Il y a déjà, l’actrice a dénoncé l’omerta du monde du cinéma face à ce que Judith Goddrèche appellera plus tard « un trafic illicite des jeunes filles ». Les journaux avaient signalé sa parole avec une variété de verbes (« prononcer », « lancement », « hurlant »). Mais le journal qui avait alors choisi celui de « crier » était Le Figaro – Préférant, en outre, le mot « colère » adopté par d’autres journalistes, le terme révélateur de « fureur » dont l’étymologie fait référence à la folie et au délire.
(Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters La conversation. Et toi ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands défis du monde.)
L’utilité de l’analyse du discours
Pourquoi est-il crucial de remettre en question les raisons qui guident ces choix éditoriaux? Tout d’abord, car ils ne sont pas simplement stylistiques, mais parce qu’ils contribuent, en faisant référence à une imagination de voix, pour maintenir des préjugés envers divers groupes. Afin de mieux comprendre comment ces préjugés fonctionnent, nous devons adopter la lentille de l’intersectionnalité, c’est-à-dire remettre en question la conjonction de différents ordres de discrimination, qui dépendent du sexe, mais aussi de la classe sociale, de l’affectation raciale ou de l’orientation sexuelle.
Si de nombreux articles ont parallèle les quêtes de la justice des deux actrices, il y en a peu qui ont ouvertement comparé leurs paroles ou leurs personnalités. Cependant, lorsque l’examen Marianne Le fait dans un « match » qui vise à découvrir « qui est le plus radical », il prête à Adèle Haenel le rôle du « activiste marxiste » et à Judith Goddrèche celle de « activiste de BCBG » et met ainsi en évidence la mission à une catégorie sociale ce qui était implicite ailleurs. Le premier est donc classé, son comportement irrémédiablement associé à une origine – le traitement stylistique de ses mots en supposant clairement son classisme.
« Injustice affective »
Dans un article publié dans le New York Times En 2016, l’écrivain américain Roxane Gay a rappelé que toutes les individus n’avaient pas la même possibilité d’exprimer leur colère. To explain this inequality, the philosopher Amia Srinivasan, professor at the University of Oxford, conceived the term « emotional injustice »-describing the phenomenon which forces the oppressed groups to silence their anger, as justified as it is, in demanding of them management strategies de leurs émotions. En effet, les pèsent sur eux la menace de telles émotions, si elles ou elles les exprimaient, invalideraient leurs mots.
https://www.youtube.com/watch?v=wmt0k-abpcu
Les féministes sont donc conscientes que lorsque les médias représentent la colère d’une femme, la suspicion d’hystérie n’est jamais loin et teindra leurs paroles quel que soit le contenu (artistique, intellectuel ou politique). Mais cette injustice émotionnelle est encore plus fortement ressentie lorsqu’il existe d’autres ordres de discrimination (racial et / ou social).
Les séquelles des deux discours sont révélatrices. Alors que les deux actrices ont fait allusion à l’impossibilité d’un dialogue, un seul a ressenti le besoin de s’expliquer et de justifier les raisons pour lesquelles il avait « pété un câble »: Adèle Haenel.
Revenant dans le discours de Judith Godrèche, nous pouvons ainsi donner une fonction complètement différente du ton qu’elle utilise, à ses mots pesés, à sa voix mesurée. S’il y a bien sûr son propre style, il est probable que cette dernière a également été établie pour contrôler ses émotions afin d’être mieux comprise: ne pas laisser sa colère éclater de peur que celle-ci invalide l’exactitude de ses paroles.
L’impact des représentations des médias
Pour mieux évaluer l’impact de ces représentations médiatiques, nous devons nous interroger sur les modèles qu’ils fournissent et le rôle qu’ils jouent dans l’emballage de ces voix de ces femmes, pour commencer à comprendre comment ils les différencient de la voix acceptable de ceux qui seront perçus comme non appropriés.
Une lecture aussi critique permet de comprendre le rôle que ces préjugés jouent, par exemple, dans le manque de diversité des femmes qui parlent publiquement. En effet, au Canada, les statistiques montrent que la proportion de femmes appartenant à des minorités (ethniques, sexuelles et autres) qui ont souffert de violence sexuelle est plus large que pour les femmes en général (deux à trois fois plus pour les personnes trans et non binaires): une situation qui est sans aucun doute similaire en France même si les chiffres font défaut (les statistiques y sont limitées par la loi sur l’ordinateur et la liberté).
Pourtant, les paroles de ces femmes restent peu audibles et il est probable que beaucoup d’entre elles préfèrent se taire de peur de voir leurs voix réappropriées, leurs paroles discréditées. Enfin, il sera nécessaire de se demander pourquoi ceux qui parlent imposent un calme disproportionné face à l’intensité de la violence subie et au vindicatif qui continue d’être exercé contre eux.
Il est temps pour les médias de reconnaître la légitimité de cette colère, l’humanité de ces émotions – et ainsi de donner à ces femmes toute leur dignité.