Jordan Bardella a-t-il «un des meilleurs taux de présence» au Parlement européen, comme il l’affirme ? – Libération
Jordan Bardella, un « député fantôme » ? S’il est un argument que reprennent à l’unisson les opposants au président du Rassemblement national aux élections européennes, c’est bien celui-là. Des attaques que Jordan Bardella s’est employé à balayer lors de son passage à la matinale de RMC-BFMTV, mercredi 17 avril. « J’ai l’un des meilleurs taux de présence des députés européens français, avec 94 % de présence aux votes » a-t-il assuré. Reprenant ainsi un chiffre déjà avancé dans un visuel relayé en mars par plusieurs députés RN (dont Julien Odoul, Edwige Diaz, ou encore Laure Lavalette) pour défendre le bilan au Parlement européen de leur président de parti, qualifié de « membre actif ». Outre son taux de fréquentation, l’infographie s’est également basée sur le nombre de « questions écrites », « explications de votes » Et « interventions en plénière » initié par Jordan Bardella, présenté comme supérieur à la moyenne des députés européens français.
Le chiffre de « 94 % de participation aux votes » est correct, mais doit être recontextualisé. Il est issu de la plateforme assistEU, qui permet de suivre l’activité des parlementaires européens en temps réel, en agrégeant les données des sites des différentes institutions communautaires. Et cela correspond au pourcentage de voix en séances plénières, durant lesquelles l’eurodéputé était soit présent, soit excusé (son absence était justifiée), depuis le début de l’actuelle législature. Si ces 94% – et même 94,1% pour être plus précis – sont exacts, ce taux est loin de faire de Jordan Bardella l’un des députés européens français les plus présents au Parlement.
« Les votes sont l’aboutissement du travail parlementaire »
En réalité, ce pourcentage place la tête de liste RN, en termes de présence lors des votes, à la 61e place sur 79 députés européens français, dont la moyenne globale approche les 96 %. Par ailleurs, Jordan Bardella est moins souvent présent que toutes les têtes de liste des principaux partis français, celles qui courent en tête des sondages pour les élections du 9 juin visant à renouveler les députés européens. Dans le détail, à ce jour, François-Xavier Bellamy (Les Républicains) est à 99,7%, Valérie Hayer (Renaissance, majorité présidentielle) à 98,8%, Manon Aubry (La France insoumise) à 97,28%, Raphaël Glucksmann (Place publique, Parti socialiste). ) à 97,18%, et Marie Toussaint (Les Ecologistes) à 96,05%. On peut également citer Nicolas Bay, seul candidat de la Reconquête (en quatrième position de la liste) à siéger actuellement au Parlement européen, et son taux de 97,77 %.
Mais, au-delà de l’exactitude du chiffre, il faut aussi souligner qu’il ne reflète que la présence des élus lors des séances plénières. Les interventions des députés leur permettent alors de se montrer, car les échanges sont filmés, des extraits peuvent être diffusés sur les réseaux sociaux, et on a donc souvent l’impression que ces moments constituent l’essentiel du travail parlementaire. Cependant, les votes et débats en plénière ne font qu’entériner le travail déjà réalisé en amont pour remplir la mission première des députés européens, à savoir élaborer la législation européenne (directives et règlements). « Les votes s’étalent sur quatre jours, une fois par mois, à Strasbourg. Quand on n’a pas eu le temps de tout voter, quelques plénières supplémentaires peuvent se tenir à Bruxelles. recontextualise l’eurodéputé David Cormand, rejoint par VérifiezActualités. Pour l’élu vert, la statistique vantée par Jordan Bardella n’est pas significative : « Les votes se concentrent sur quelques demi-heures ou quelques heures, et s’enchaînent. Nous parlons de moins de cinquante heures par an, pendant lesquelles nous appuyons sur des boutons, suite à une feuille de vote. En termes de charge de travail, c’est dérisoire. Les votes sont le point culminant d’un travail parlementaire qui a duré des centaines d’heures.»
Les plénières « ne représentent en réalité qu’un quart du travail », confirme l’eurodéputée espagnole Ana Miranda, élue sous l’étiquette d’un parti nationaliste de gauche, également contactée. C’est donc ailleurs que s’effectue la majorité de l’activité législative, à travers les travaux en commissions, la production de rapports, les négociations entre députés sur les textes, les réunions de groupes, les réunions avec la Commission européenne. et le Conseil européen…
Ajoutons également que les députés européens n’ont pas vraiment d’autre choix que d’être présents lors des plénières, car leur rémunération en dépend. Pour cause, le Parlement verse une indemnité (de 350 euros par jour) aux députés pour couvrir leurs dépenses, mais cette somme « est réduit de moitié si les députés ne participent pas à plus de la moitié des votes par appel nominal les jours de votes en plénière », explique le site Internet du Parlement. Ana Miranda regrette qu’un équivalent n’ait pas été mis en place pour la présence en commission.
Jordan Bardella « a choisi une commission où il n’a rien à faire »
L’élue assure n’avoir jamais vu Jordan Bardella lors des réunions de travail de la commission des pétitions, dont il est membre et elle est vice-présidente : « Je n’ai jamais vu ce monsieur, alors que je suis à la tête de la commission depuis septembre 2022. Je le vois à la télévision, mais il n’est jamais là. Je l’ai vu parler pour la première fois en plénière. Egalement membre (suppléant) de cette commission, David Cormand va dans le même sens : « Les fois où j’y suis allé, je ne l’ai pas croisé. » Le décompte a fait un Complément d’enquête la diffusion du 18 janvier en atteste également : alors que la commission s’est réunie 51 fois entre juillet 2019 et décembre 2023, Jordan Bardella était absent 70 % du temps. Lors des quatre votes tenus en commission entre janvier et mars 2024, le président du RN s’est encore fait remarquer par son absence.
Non seulement Jordan Bardella n’est pas impliqué dans sa commission, mais il est aussi l’un des rares à n’être inclus que dans une seule commission. François-Xavier Bellamy et Marie Toussaint sont membres de trois commissions, Valérie Hayer de deux, Manon Aubry de deux mais aussi d’une sous-commission. Raphaël Glucksmann se trouve dans la même situation que Manon Aubry, en étant vice-président de la sous-commission des droits de l’homme, et surtout en ayant présidé la commission spéciale sur les ingérences étrangères, ce qui l’a occupé la plupart du temps. partie de son mandat. Au Parlement européen, il existe au total 20 commissions et quatre sous-commissions permanentes, auxquelles il faut ajouter les cinq commissions spéciales qui existaient provisoirement durant cette législature (2019-2024). Leur travail est fondamental, car lorsque la Commission européenne présente une nouvelle proposition au Parlement, le travail législatif commence au sein d’une commission, en vue de produire un rapport sur la proposition.
Or Jordan Bardella a justement opté pour la seule commission qui ne produit pas de rapports législatifs. « La commission des pétitions est celle qui reçoit les plaintes des citoyens. » résume Ana Miranda, vice-présidente de cette commission. Son œuvre consiste « pour entendre les citoyens qui interrogent l’UE sur un sujet », Alors « voter pour décider du maintien ou non de la pétition à l’étude », précise David Cormand. La Commission «reçoit la démarche citoyenne, l’aiguille et s’assure qu’elle a été correctement traitée par les institutions européennes», mais elle n’a pas à commenter « des textes qui sont ensuite votés en plénière », poursuit l’eurodéputé. Bref, Jordan Bardella « a choisi une commission où il n’a rien à faire, et qui plus est, où ce n’est pas évident qu’il ne fait rien » – ce qui lui vaut le surnom de « la commission cachée ». Un autre membre a progressé récemment, en le dimanche de la Tribune : « Habituellement, nous rejoignons cette commission à titre secondaire, en complément d’une commission qui a un plus grand impact. » « Jordan a beaucoup d’autres activités. Par esprit de responsabilité, il choisit la commission la moins occupée. avait justifié le RN auprès du Parisienen novembre.
La tête de liste RN n’était à l’origine d’aucun reportage
Dans les autres commissions, chaque examen d’une proposition législative donne lieu à la désignation d’un rapporteur chargé de rédiger un rapport, en y ajoutant des amendements si nécessaire. Dans sa recherche d’un compromis, le rapporteur doit négocier avec des « rapporteurs fictifs », un par groupe politique, choisis pour représenter leurs positions. Du choix de commission opéré par Jordan Bardella, il résulte que la tête de liste RN n’a été à l’origine d’aucun rapport, et signataire d’un seul rapport en tant que rapporteur fictif, du fait de son implication dans la commission spéciale sur l’intelligence artificielle. Quant à ses concurrentes, le bilan est plus complet : Manon Aubry a produit cinq rapports et 25 comme rapporteur fictif, Valérie Hayer douze rapports et cinq comme rapporteur fictif, et concernant Marie Toussaint il y a trois rapports ainsi que 21 en tant que rapporteur fictif.
Interrogée sur ses différents points, une source au RN nous renvoie simplement aux chiffres détaillés dans l’infographie évoquée en début d’article. Mais ni les 74 interventions en plénière de Jordan Bardella, ni ses 156 questions écrites et 749 explications de vote ne constituent un indicateur fiable. Les premiers sont facilités par son statut de vice-président du groupe parlementaire Identité et Démocratie, ce qui le rend plus susceptible d’être choisi pour parler au nom du groupe. Et ses assistants parlementaires seront probablement chargés de rédiger les secondes.
Quant à l’intéressé, il semble considérer qu’il n’est pas attendu sur son travail parlementaire, mais sur son opposition aux mesures émanant de la majorité, comme il l’a laissé entendre sur RMC-BFMTV : « Il ne faut pas confondre les rôles. Il y a, au sein de ce Parlement européen comme dans la démocratie française, des gens qui sont au pouvoir et des gens qui sont dans l’opposition. Depuis cinq ans, j’accomplis le travail que m’ont confié les électeurs français. J’ai combattu le Green Deal (ou même) le Pacte sur les migrations.»