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Jingkun Xu, le skipper chinois qui veut faire chavirer son pays pour naviguer

Le skipper Jingkun Xu est le premier Chinois à prendre le départ du Vendée Globe. Une réussite pour ce navigateur handicapé autodidacte. Et une étape importante pour l’histoire de la course au large dans son pays.

« J’ai travaillé trois fois plus dur que mes concurrents français pour arriver ici. » Visiblement fatigué, Jingkun Xu raconte à franceinfo son parcours du combattant pour prendre le départ, dimanche 10 mars, du Vendée Globe. Le plus petit budget de flotte avec Rêve chinoisUn bateau âgé de presque vingt ans qu’il n’a pas su adapter à son handicap, le skipper au bras atrophié a gagné sa place après vingt ans de lutte, ce qui reflète largement l’évolution laborieuse de la voile en Chine. « Pour un marin chinois, chaque étape est très compliquée à franchir. Savoir acheter un bateau, s’inscrire à la course… »

Contrairement à la Bretagne, épicentre de la voile française depuis des décennies, en Chine la mer a longtemps été une zone interdite. La navigation fut interdite au XVIe siècle et l’accès n’y fut rétabli que… sous Deng Xiaoping, successeur de Mao Zedong, dans les années 1980. « La mer a disparu de l’histoire chinoise pendant cinq siècles »résume Thierry Barot, team manager du challenge chinois pour la Coupe de l’America en 2007. Certains ports importants du pays sont encore équipés de grandes chaînes qui interdisent l’accès la nuit, vestige de cette époque.

Sous l’impulsion du gouvernement, la Chine s’est lancée dans le grand bain de la voile lorsque Pékin a été désignée pour accueillir les Jeux Olympiques de 2008. De grandes opérations de détection ont été organisées dans tout le pays. Jingkun Xu est repéré pour ses qualités athlétiques par l’équipe paralympique chinoise. Il commence alors à naviguer sur YouTube.

« À 14 ans, je ne savais pas nager et je n’avais jamais vu la mer. »

Jingkun Xu, skipper chinois

sur franceinfo

Mais l’équipe paralympique de voile a été rapidement dissoute, tandis que la Chine poursuivait ses efforts dans les sports aquatiques qui rapportent davantage de médailles comme la planche à voile. « Pour eux, la priorité, ce sont les Jeux »résume Bruno Dubois, qui dirigeait le bateau chinois Dongfeng à la Volvo Ocean Race. « Ils veulent des médailles, c’est ce qui fait fonctionner la machine chinoise. »

Le skipper chinois Jingkun Xu à bord de son bateau

« Je ne voulais pas arrêter de naviguer »poursuit celle que tout le monde surnomme « Jackie » en France. Il choisit la course au large plutôt que la course en équipage, même si, à l’époque, les voiliers de compétition n’étaient pas nombreux en Chine. Il a déterré un 24 pieds (un peu plus de 7 m), presque une épave, l’a réparé pendant neuf mois dans une décharge, de sa seule bonne main.

Une vague de milliardaires chinois férus de voile commencent à avoir les moyens de réaliser leurs rêves de grand large. Le navigateur Luc Méry se retrouve ainsi propulsé dans la grande aventure après avoir transporté un catamaran jusqu’au port de Sanya pour le magnat du e-commerce Wang Bin. « Quand je suis arrivé dans l’immense marina toute neuve où il n’y avait que quelques yachts, j’avais l’air d’un extraterrestre »il se souvient. LE Jus Bleu de Wang Bin devient ainsi le premier voilier chinois à traverser le canal de Suez, puis celui de Panama.

C’était aussi l’époque du premier (et dernier) défi chinois à l’America’s Cup. « Les concurrents avaient un budget de 70 à 120 millions d’eurossoupire Thierry Barot. Nous, six millions au départ, quinze à la fin avec l’aide d’autres sponsors qui nous avaient accordé une prolongation. » Un sous-investissement surprenant compte tenu de la puissance économique du pays, un peu moins quand on mesure la place de la voile dans le paysage sportif chinois. « Sur l’America’s Cup, il n’y avait pas de skipper chinois et à peine un ou deux marins dans l’équipage »souligne Jingkun Xu.

La victoire de Dongfeng en 2018 dans la prestigieuse Volvo Ocean Race reste à ce jour la référence des réussites chinoises sur les mers. L’équipage mené par Charles Caudrelier compte quelques noms familiers des connaisseurs, comme Pascal Bidégorry ou Jérémie Beyou, mais à peine deux marins chinois. « Le but était de les entraîner pour qu’ils puissent ensuite voler de manière autonome »assure Bruno Dubois.

Pourtant, aucun skipper chinois n’envisageait de faire le Vendée Globe jusqu’à « Jackie ». Nous avons rencontré Guo Chuan au Salon Nautique en 2016, après sa tournée mondiale non-stop en solo qui a eu un énorme impact dans le pays. Mais celui que tout le monde considérait comme le « Tabarly chinois » s’est tourné vers la chasse aux records sur les grands multicoques, une activité plus bancable à ses yeux. Sa disparition en mer en 2017 laisse un vide béant dans la voile chinoise.

Derrière « Jackie », le nombre de marins chinois candidats à l’« Everest des mers » se compte sur les doigts d’une main. Chen « Horace » Jiabao, l’un des membres d’équipage du Dongfenga déclaré qu’il « j’aimerais vraiment participer ». Des propos restés lettre morte. « En France, nous avons des structures qui permettent d’évoluer très rapidement vers la navigation en solitaire, illustre Antoine Mermod, le patron de la classe Imoca du Vendée Globe. Dans tous les autres pays du monde, c’est le contraire.» Il n’existe donc pas d’épreuve de course au large à l’autre bout du globe, le projet de tour du monde entre Brest et Quingdao évoqué en 2006 ayant échoué.

Le skipper Jingkun Xu à la barre de son bateau, le 19 septembre 2023. (XU JINGKUN RACING TEAM/ALEA)

Aujourd’hui, « Jackie » est une pionnière. « De par ma position de président de la classe Imoca, j’ai l’opportunité de voir les projets mûrirconfie Antoine Mermod. Et très honnêtement, au début, je ne pensais pas qu’il y arriverait. »

« On dit souvent qu’être au départ du Vendée Globe constitue une victoire, cela a rarement été aussi vrai que pour lui.

Antoine Mermod, président de la classe Imoca du Vendée Globe

sur franceinfo

Début 2021, le skipper avait « juste assez d’argent pour acheter le bateau » par Armel Le Cléac’h, le Brit Airun vieil Imoca lancé dix-sept ans plus tôt. Avec un budget de ric-rac, l’équipe de Jingkun Xu a longtemps été réduite à deux personnes : sa femme Sofia et lui.

Dans ces conditions, pas question d’adapter les commandes à votre handicap : « Je n’en vois pas l’utilité. C’est moi qui me suis adapté au bateau. Depuis que je navigue, c’est devenu une habitude. » Avant de se qualifier : « C’est un bateau complexe à naviguer, mais ça va aller. »

« Évidemment, avec un budget plus important, j’aurais pu faire beaucoup de changements. »

Jingkun Xu, skipper chinois

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Son équipier sur la Transat Jacques-Vabre, l’expérimenté marin britannique Mike Golding, raconte sur le site de la course un soir de tempête où une voile menaçait de se détacher : « C’est incroyable comme il n’est pas nécessaire de se parler quand on est sur la même longueur d’onde pour accomplir quelque chose. J’ai aussi complètement oublié qu’il n’avait qu’un seul bras. »

Le bateau

Pas le genre de la maison Jingkun Xu à ruminer le manque de moyens. Il voit déjà l’avenir : un deuxième Vendée Globe en 2028, le temps de capitaliser sur sa première participation, pour faire croître ses 23 millions de followers sur les réseaux sociaux – soit plus que les 39 autres skippers réunis.« Ce que nous voulons, c’est qu’il fasse rêver son peuple, mais aussi de potentiels sponsors chinois »résume Alain Leboeuf, le président de la course.

Deuxièmement, Jingkun Xu compte créer une antenne de l’école de voile qu’il a fondée à Sanya dans le Finistère. « Ce que je souhaite, c’est que les futurs marins chinois puissent grandir plus vite, assure-t-il. Comme s’ils grimpaient sur mes épaules pour voir plus loin. » A l’horizon, qui sait, un succès chinois un jour sur le Vendée Globe. Ce n’est pas pour rien que son bateau a été nommé Rêve chinois.

Cammile Bussière

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