Avec Bola Tinubu, c’est le président de la première puissance économique du continent africain qui entame une visite d’Etat en France ce jeudi 28 novembre au matin. Mais les défis de cette démarche ne sont pas seulement économiques. De quoi Bola Tinubu et Emmanuel Macron parleront-ils aujourd’hui à Paris ? Le professeur Jibrin Ibrahim a enseigné les sciences politiques à l’Université Ahmadu-Bello de Zaria, au Nigeria. Aujourd’hui, il milite à Abuja au Centre pour la démocratie et le développement. En ligne depuis la capitale nigériane, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Jibrin Ibrahim, quelle est la priorité du président Bola Tinubu dans cette visite à Paris ? Est-ce l’aspect politique ou l’aspect économique ?
Jibrin Ibrahim : Je pense que les deux sont importants. L’aspect politique est très important en raison de la crise au Sahel. Le Nigeria s’oppose à l’arrivée des militaires au Niger, au Mali et au Burkina Faso et souhaite le retour de la démocratie. Et je pense, dans un certain sens, que la France a le même intérêt. Il y a donc beaucoup de choses à discuter.
L’année dernière, de nombreux pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la France souhaitaient le soutien du Nigeria pour une intervention militaire au Niger après le putsch de juillet 2023. Pourquoi le président Bola Tinubu a-t-il abandonné ?
Je pense que cela a été extrêmement difficile à réaliser, car le peuple nigérian a montré qu’il ne le voulait pas, car il y a une frontière longue de 1 500 kilomètres entre le Niger et le Nigeria et une guerre entre les deux pays frères serait vraiment un problème. Et les citoyens nigérians étaient opposés à cette intervention. Le président Tinubu voulait le faire, mais il s’est finalement rendu compte que cela n’était pas possible s’il voulait conserver le soutien du peuple nigérian.
Depuis le début de cette année, le Nigeria préside la CEDEAO, mais cette organisation a perdu trois de ses membres : le Niger, le Burkina Faso et le Mali. Quelle est la stratégie de votre pays pour éviter une rupture définitive avec ces pays ?
Franchement, c’est une situation très difficile. Non seulement parce que trois pays ont quitté l’organisation, mais parce qu’il existe toujours un risque de contagion, que d’autres pays pourraient également quitter en raison de problèmes fondamentaux. La CEDEAO et le Nigeria insistent sur la démocratie. Il y a des présidents en Afrique de l’Ouest qui ne veulent plus de démocratie. Et je pense qu’en ce moment, chaque pays fait ses calculs, dans quelle direction il va pencher.
Et quels pays pourraient quitter la CEDEAO aujourd’hui ?
On peut prendre le cas du Sénégal. Si le président Macky Sall avait réussi à obtenir son troisième mandat, il était probable qu’il quitterait l’organisation. Il existe un pays comme le Togo, où la doctrine de la classe dirigeante est qu’une seule famille restera maîtresse de ce pays. Et si l’organisation insiste sur ces principes de démocratie, ce pays est prêt à envisager de quitter l’organisation. Et je pense que c’est là que la CEDEAO et le Nigeria doivent prendre position. Allons-nous nous en tenir aux principes et pratiques démocratiques ? Dans ce cas, la CEDEAO risque de perdre certains membres. Ou faire des compromis sur cette question et garder tout le monde dans l’organisation ? C’est la question stratégique qui se pose.
Il y a un rejet de la France parmi une partie de la jeunesse d’Afrique de l’Ouest. Et au Nigeria ?
Je pense que la France a vraiment un problème dans toute l’Afrique de l’Ouest, puisque la France est liée à cette idée du néocolonialisme.
Et au Nigeria, qu’en est-il ? La France fait-elle l’objet de ce que les Anglais appellent un « French bashing », un « France clears » ?
Pas autant qu’au Sahel par exemple. Mais d’un point de vue politique, beaucoup pensent aussi que la France est trop liée à cette idée de contrôle de ses anciennes colonies et que la France a intérêt à changer de tactique, de méthode, si elle veut rester amie de les Africains de l’Occident.
Et à vos yeux, Emmanuel Macron est-il un président néocolonialiste, comme ses prédécesseurs, ou est-il un homme nouveau ?
Je pense qu’il a un langage très proche des néocolonialistes et il gagnerait à repenser sa langue et sa façon de parler, souvent de manière un peu condescendante.