Jeux populaires #2. La scopa, des bateaux pirates aux avions présidentiels

Il fut un jour où Peppone chercha à balayer le succès de son principal adversaire, Don Camillo. Le prêtre venait de publier une lettre anonyme que lui avait adressée le maire communiste. L’affaire risquait de se transformer en affrontement entre catholiques et rouges dans la ville italienne de Brescello. Peppone décida alors d’organiser le « premier tournoi scopistique pour la paix », qui devait avant tout lui permettre de redorer son blason auprès de la population. « Dans un village comme celui-ci, où, en hiver, la brume dense et lourde isole les gens du reste du monde, la scopa, plus qu’un jeu de cartes, est une nécessité, et un tournoi de scopa, même s’il est organisé en l’ombre des ailes de la colombe de Staline, elle ne pouvait que rencontrer un grand succès », raconte Giovannino Guareschi dans sa nouvelle La Parti.
Don Camillo a participé au concours et a battu le maire… en trichant. Il avait volé la pile donnée par Peppone par un autre, à son avantage. A Jésus, avec qui il entretient de longues conversations, le prêtre est contraint de confesser ce qui est presque un péché : les formes du jeu de cartes sont « bâtons, pièces de monnaie, coupes et épées », symboles de richesse, de vanité ou de violence. De l’autre côté des Alpes, un jeu ne comprend pas, comme en France, 52 cartes décorées de piques ou de cœurs, il en totalise 40, illustrées de beaux dessins médiévaux. Ce modèle de cartes apparaît au XVIe siècle et, comme les dialectes, se décline avec des variantes de style, selon les régions de la péninsule.
Objectif, « balayer » les cartes
Chez nos voisins, la « scopa » – qui signifie le « balai » – est certainement le jeu de cartes le plus répandu. Tout l’objectif est de « balayer » les cartes qui restent sur la table. Cela vous rapporte un point à chaque fois. Le joueur qui termine la partie avec le plus de cartes, le joueur avec les meilleures cartes de chaque couleur, le joueur avec le plus de cartes avec des pièces et enfin le joueur qui a récupéré le « sept de pièces » gagne également un point.
L’origine de ce jeu est peut-être en Espagne, où il existait au XIVe siècle le « escoba », avec des règles légèrement différentes. On dit aussi qu’il dériverait des jeux ibériques, la primiera et le scarabucion, auxquels se livraient les pirates de Naples dans les années 1500. La scopa serait présente dans toute l’Italie à partir du 18èmee siècle. Il existe une dizaine de variantes, de la napola au re bello, en passant par la plus populaire, le scopone.
Le « settebello » d’Enzo Bearzot
Le rôle le plus célèbre a été joué en 1982, dans l’avion présidentiel qui ramène les Azzurri du Mondial. Au bord de la table trône la Coupe du monde que les footballeurs viennent de remporter. Autour, le chef de l’Etat, le socialiste et ancien résistant Sandro Pertini, qui fait équipe avec le gardien et capitaine, Dino Zoff. Il affronte l’entraîneur Enzo Bearzot et l’ailier droit Franco Causio. Cette fois, pas de tricherie à la Don Camillo, mais peut-être du bluff. Causio lâche un sept. Cependant, rien dans son jeu ne lui permet de le récupérer au tour suivant. Or, les règles veulent que trois sept ramènent un point : la prudence veut qu’on ne s’aventure à se débarrasser d’un atout aussi majeur que si l’on est certain de le reprendre. Trop confiant donc, le président Pertini le laisse passer, espérant certainement s’en emparer au tour suivant. Bearzot saisit l’occasion et tire, sans prendre aucun risque, son sept de pièces, le « settebello », le beau sept qui vaut un point à lui tout seul. Au passage, il récupère le sept de Causio.
D’aussi mauvaise foi qu’un footballeur transalpin en difficulté, le chef de l’Etat est furieux : Pertini reproche à Zoff de l’avoir fait perdre. Un an plus tard, ce dernier met un terme à sa carrière sportive. L’occasion pour le président le plus aimé de l’histoire d’Italie, dans un télégramme, de faire amende honorable. Il avoue finalement être le seul responsable de la défaite. le remerciant pour sa » gentillesse » alors il l’invite à le rencontrer à Rome pour partager une partie de cartes. L’honneur d’une troisième Coupe du monde ramenée à la maison vaut bien la peine de balayer la déception d’une défaite à la scopa.
Grb2