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Jean-Christophe Meurisse : « Il y a plus de fans de Xavier Dupont de Ligonnès que d’électeurs d’Emmanuel Macron »

Drôle et irrévérencieux, pistolets en plastique, de Jean-Christophe Meurisse, pose un regard attentif sur l’époque, les jugements radicaux et la fascination du mal. Rencontre avec un réalisateur qui croit « à la mission instinctive de 7e art « .

Au théâtre, Jean-Christophe Meurisse est le leader des Chiens de Navarre, une compagnie dont les spectacles subversifs, provocateurs et souvent très drôles dynamitent le bon goût avec des personnages singuliers, des situations rocambolesques d’où surgissent parfois des interstices lumineux.

Au cinéma, son premier long métrage Oranges sanguines, a regardé la comédie noire dans une histoire d’où est sorti un ministre de l’Économie avec des comptes secrets à l’étranger. Toute ressemblance avec la réalité n’est pas fortuite. Il recommence avec pistolets en plastique, inspiré de l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès et de la mésaventure de Guy Joao, arrêté à Glasgow après que la police écossaise l’ait confondu avec le tueur.

Ici, l’Écosse est remplacée par le Danemark, Joao par un danseur country peu attrayant nommé Michel Uzès, la version grand écran de Xavier Dupont de Ligonnès a été rebaptisée Paul Bernardin et le profileur à l’origine de l’arrestation s’appelle Zavatta.

A l’intrigue s’ajoutent deux enquêteuses amateurs, Léa et Christine, bien décidées à confronter l’assassin à ses méfaits. Cette satire cinglante, souvent hilarante et parfois sombre, joue sur les contrastes et l’inversion des archétypes dans un environnement où les jugements radicaux renversent la raison.

Le film débute sur un ton franchement humoristique et évolue vers un registre plus sarcastique. Pourquoi ce choix ?

Il n’y a pas de choix. Je multiplie les tons et les registres. C’est ma façon de travailler et je ne pense pas à tel ou tel genre lorsque je fais un film. L’industrialisation du cinéma fait qu’un film est appelé comédie ou autre type de film. Mais un film est avant tout une expérience émotionnelle. Les Coréens ou les Anglais font très bien ces ruptures de ton, et ça ne pose pas de problème.

Qu’est-ce qui vous a poussé à parler d’une autopsie où des médecins légistes parlent de tueurs en série ?

Je ne sais pas comment est née cette scène mais c’est un beau préambule shakespearien que de voir ces deux personnages commenter ce qui va se passer dans le film et aborder de manière méta, le thème de la fascination vers le macabre ou le mal. Pourquoi sommes-nous autant fascinés par Xavier Dupont de Ligonnès, l’un des plus grands criminels de notre histoire ?

« L’improvisation est un processus consistant à capturer ce que chaque réalisateur recherche de manière quelque peu obsessionnelle. »

Cette scène est-elle complètement écrite ?

Il y a une part d’improvisation. Avec Amélie Philippe, ma collaboratrice, nous écrivons un scénario avec les personnages et les dialogues. Le dialogue est souvent utilisé pour montrer l’humeur et transmettre des informations aux acteurs. J’aime leur redonner un peu de liberté. C’est ma façon de capturer le présent et le vivant. Je peux redevenir spectateur derrière le combo. Je m’entoure d’acteurs qui n’ont pas peur d’improviser et de faire rire.

Ils proposent d’autres chemins qui peuvent être très intéressants. J’admire les réalisateurs qui écrivent à la virgule près et demandent à leurs comédiens de reproduire le texte au mot près tout en respectant les marques et indications. Mais je m’ennuierais beaucoup si les acteurs de mes films devaient recréer complètement ce que j’ai dans mon psychisme.

J’ai besoin d’être surpris par ce qu’ils me proposent pour une vraie rencontre avec les autres. Le tournage, c’est aussi une affaire d’associations imaginatives. L’improvisation est un processus consistant à capturer ce que chaque réalisateur recherche de manière quelque peu obsessionnelle, c’est-à-dire qu’il soit le plus vivant possible au moment de l’action.

Qu’incarne ce mystère autour de Xavier Dupont de Ligonnès ?

C’est la grande question. Il y a plus de fans de Xavier Dupont de Ligonnès que d’électeurs de Macron. Qu’est-ce qui les fascine tant dans ce monstre et ce mal ? Peut-être vivent-ils leur monstre intime par procuration ? Comme disait Nietzsche, en regardant l’abîme, l’abîme finit par vous regarder, comme ces deux héroïnes qui veulent échapper à leur quotidien, à leur charge mentale, et partir à l’aventure pour retrouver le monstre.

Peut-être que les gens espèrent le succès de l’évasion de Dupont de Ligonnès parce qu’ils en ont assez de payer leurs factures, d’élever leurs enfants ennuyeux et aimeraient aussi commencer une seconde vie narcissique. Mais il y a une vraie question sur notre fascination pour les monstres. Chabrol a réalisé un film sur Landru. J’ai dit que le personnage était tellement célèbre qu’il fallait s’amuser avec lui de manière cathartique. C’est un peu pareil avec Xavier Dupont de Ligonnès.

Pourquoi votre profileur a-t-il un nom de clown ?

Mon grand-père, clown de métier, était l’homologue du clown Zavatta. C’est pour la réponse psychanalytique. Après, le profileur porte un nom de clown car il est assez clownesque.

En octobre 2019, les Écossais expliquaient avoir arrêté Guy Joao, ce préretraité de Renault qui allait rejoindre son associé, parce qu’un de leurs profileurs six étoiles – en Ecosse, ils sont notés de 1 à 6, un un peu comme nos chauffeurs Uber en France – leur disaient : « J’ai devant moi Xavier Dupont de Ligonnès. »

Ils n’ont pas hésité à croire cet informateur six étoiles, un peu perdant, un peu clown. Puisque cette histoire est vraie, j’ai pensé qu’elle avait besoin d’un nom humoristique. J’ai réfléchi à mon histoire personnelle et j’ai choisi Zavatta.

Pourquoi avez-vous décidé de filmer le meurtre ?

Pour ramener tout le monde à la réalité. Comment le film aurait-il été reçu si je n’avais pas montré le meurtre ? Il aurait été très cynique de faire une comédie autour d’un massacre d’enfants. Cela pose la question de la fascination pour ce bonhomme, de l’imaginaire et de la rêverie sur lesquelles on le fonde, alors qu’en réalité, c’est un ignoble monstre qui a tué ses enfants endormis avec leurs peluches. Il me paraissait important de montrer ce massacre.

Que représentent Léa et Christine, les deux enquêteuses du web fascinées par Dupont de Ligonnès ?

Elles représentent deux héroïnes qui s’échappent de leur quotidien ce qu’elles ne peuvent plus faire. Ils sont fascinés par ce Bernardin. J’exagère le trait mais, à force de s’approcher des monstres, ils finissent par n’en faire qu’un. Je crois à la mission instinctive du cinéma. Je pense naïvement que plus nous montrons le mal, la méchanceté et la violence, plus nous les expérimentons par procuration, moins il y en aura dans la réalité.

Pistolets en plastiquede Jean-Christophe Meurisse, France, 1:36


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William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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