« Je veux que l’investissement dans le logement soit traité comme un dividende » (Véronique Bédague, PDG de Nexity)
LA TRIBUNE – Nous sommes à deux jours du second tour, nous sommes dans une situation politique un peu complexe où il n’y a peut-être pas de majorité. Quelle lecture faites-vous de la situation politique actuelle ?
VÉRONIQUE BEDAGUE – Comme tous les Français, j’attends avec impatience dimanche à 21 heures. C’est un grand moment de démocratie, même si la campagne est très courte, mais ce que je constate, c’est que les Français ont été très intéressés par cette campagne. J’attends donc avec impatience le choix que feront nos compatriotes dimanche soir.
Nous parlons d’un gouvernement potentiellement technique avec des coalitions de projets, est-il possible dans la pratique du pouvoir d’imaginer une situation de Mario Draghi comme en Italie ?
Quel que soit le Premier ministre, il faut qu’il y ait une majorité de projets, de groupes, d’individus qui soutiennent un Premier ministre. Ce qu’il faut espérer, c’est que dimanche soir, il y aura des députés, des groupes qui discuteront. Ce sera peut-être le moment de discuter, d’échanger pour former un gouvernement, parce que la France a besoin d’un gouvernement.
La campagne a été courte, il n’y a pas eu beaucoup de discussions sur les solutions à la crise du logement alors que vous avez répété que nous sommes dans l’une des crises les plus graves de ces dernières décennies. Comment analysez-vous cette absence et quelles mesures attendez-vous pour la survie du secteur ?
J’ai entendu parler du logement et du fait que les poids lourds du gouvernement sortant ont reconnu certaines choses comme Edouard Philippe qui disait que la taxation sur le logement était absurde, c’est vrai.
Ensuite, même si les programmes ont été faits en trois jours, il reste des mesures sur le logement. Maintenant, la politique du logement n’est pas quelque chose de magique. Il faudra une vraie politique du logement qui s’occupe de la question du logement social, de la question de la location dans le parc privé, de la question des primo-accédants, et ce n’est pas pour sauver les promoteurs mais c’est parce que les Français en ont besoin.
Je constate que l’absence de réponse sur le logement fait chuter des pans entiers de la population. Les jeunes qui se sont exprimés lors des élections, et tous ceux qui sont en mouvement. Alors maintenant, il faut y aller et nous sommes là pour discuter et apporter des solutions, mais des solutions cohérentes.
Nous avons entendu dire que vous êtes sur le point de vendre votre filiale gestion de la propriété au Crédit Agricole, c’est vrai ?
Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’en octobre, j’ai annoncé que je chercherais des partenariats et très clairement, le gestion de la propriété en faisait partie.
En matière de fiscalité, quelles mesures fiscales choc attendez-vous pour stimuler la construction et le logement ?
Plusieurs mesures sont possibles. Il y en a une qu’il faudra mettre en œuvre très, très rapidement. Je voudrais que l’investissement dans le logement soit traité fiscalement comme un investissement dans une obligation d’État ou un dividende. Actuellement, l’État prélève beaucoup plus sur le loyer perçu par un propriétaire que sur un coupon d’obligation ou un dividende. Ce n’est pas normal et il faut y remédier très rapidement.
Il y a aussi des questions autour de la TVA ou de l’extension des logements intermédiaires, que le gouvernement précédent avait entamées. Il y avait aussi des projets de dézonage ou de rezonage, les maires l’attendaient. Et pour cela, les arrêtés sont prêts. Il faut donc les sortir.
Offrir des incitations financières aux maires, est-ce quelque chose qui pourrait être un déclencheur ?
CONTREa c’est la question de l’offre. Une fois que l’on aura réglé la question de la demande, celle de l’offre réapparaîtra immédiatement – il est clair qu’aujourd’hui, les maires ne sont pas incités à construire. J’ai parlé avec un maire qui m’a dit que dès qu’il a un habitant supplémentaire, il a 11 000 euros de dépenses supplémentaires sur son budget chaque année. Or vous savez très bien que la taxe d’habitation a été supprimée donc les collectivités locales n’ont pas les moyens de soutenir la croissance de leur population. C’est un sujet qu’il faudra aborder.
Dans le contexte des élections municipales de 2026, on dit souvent « maire bâtisseur, maire défait », je ne sais pas si cette règle s’applique toujours… Craignez-vous que cette perspective dans deux ans continue de figer l’attitude des maires et qu’elle ne permette pas, quelles que soient les mesures prises, de résoudre réellement le problème du logement ?
Au contraire, je pense que les maires sans projets sont aussi des maires battus, les permis – on le sait, il y a un vrai cycle politique dans nos activités – sont plus difficiles à obtenir dans les 12 ou 18 mois qui précèdent une élection mais je vois beaucoup de maires qui se demandent comment rénover la ville, les maires regardent leur ville différemment et nous, premier promoteur, on est vraiment sur ces sujets de réhabilitation urbaine. Et je vous assure que quand on réhabilite un quartier, on change vraiment la vie des habitants d’une ville.
Vous poussez les feux sur la construction hors site, pour aller plus vite et parfois moins cher. Si vous, le numéro un du secteur, vous vous impliquiez, pensez-vous que cela pourrait concerner toute la chaîne de construction ?
Oui, les grandes entreprises de construction sont très investies, car la construction hors site est très intéressante. Cela peut être moins cher, avec une qualité industrielle et surtout un temps de construction très court. De deux ans et demi, on passe à trois mois. Nous allons essayer autant que possible de nous orienter vers ce mode de construction.
Face au vote, notamment des jeunes qui peuvent avoir le sentiment qu’on ne s’occupe pas d’eux, avons-nous les moyens d’élaborer un plan choc pour le logement ?
Je l’ai dit à maintes reprises. Les jeunes viennent me voir et me disent : Tu ne peux rien faire pour moi « , c’est navrant ! Vous vous souvenez de ma révolte chaque mois de septembre. Les résidences étudiantes sont pleines. On ne peut pas accueillir plus d’étudiants. Pourquoi ce cri n’a-t-il pas été entendu ? Je ne veux pas d’annonce folle. Je veux qu’on se mette autour de la table. Au moment du Conseil national de refondation (CNR), on a manqué une occasion, car tout le monde était autour de la table et on aurait pu faire des choses. La Caisse des dépôts a un rôle à jouer et Action Logement a une grosse puissance de feu. On peut mobiliser l’épargne et aider les maires à loger les gens. On a eu beaucoup d’annonces, maintenant on veut des faits.
Un président d’université nous a confié avoir constaté une chute spectaculaire des inscriptions à Parcoursup en raison du manque de logements. Les présidents d’université doivent-ils communiquer sur ce problème ?
On n’a plus besoin de plateformes. Ce sujet est connu. Chaque année en septembre, on mesure le nombre d’étudiants qui abandonnent leurs études. Il faut se battre pour les résidences étudiantes, on s’est mobilisé sur le sujet, on discute avec les maires et dès qu’on a la possibilité d’en proposer une, on la propose. Mais il faut aussi que ceux qui acceptent d’acheter des résidences étudiantes aient une rentabilité.
Le DPE a été un facteur de blocage qui a potentiellement retiré du marché de nombreux logements. Est-il réaliste de continuer avec les règles actuelles ?
En tant que patron de mon entreprise, je ne renoncerai pas au développement durable, au fait qu’il faut construire bas carbone et faire de la rénovation urbaine. C’est le cœur de la stratégie de Nexity, nous avons un temps d’avance et nous allons le poursuivre car je pense que c’est le sens de l’histoire. En revanche, quand je travaille là-dessus dans mon entreprise avec toutes mes équipes, avant d’annoncer ce que nous faisons nous mesurons ce que nous devons faire, et nous nous organisons pour le faire. Le problème de ces grandes lois dont nous comprenons le sens, c’est que nous ne savions pas à quoi nous étions confrontés. Sur la loi sur les DPE, Valérie Pécresse avait annoncé, selon son institut d’urbanisme, que la moitié des logements du secteur privé d’Île-de-France sont concernés par cette loi… Mais nous ne le savions pas ! Faire passer une loi sans être parfaitement clair sur le nombre de logements auxquels nous sommes confrontés et les moyens dont nous disposons pour faire ce travail. C’est ce genre de démarche qui contribue à opposer le développement durable à la cohésion sociale, l’égalité dans la société à l’écologie.
On peut en dire autant de la politique de non-artificialisation des sols…
Oui. C’est sans doute un peu dogmatique et beaucoup de maires demandent des allègements, des simplifications. Mais, je pense que la non-artificialisation du foncier nous a obligé à regarder la ville telle qu’elle est. C’est par exemple le cas sur le projet que nous développons avec Carrefour sur 76 sites dont la moitié en entrée de ville et l’autre moitié en cœur de ville. Les maires ont créé des transports pour ces entrées de ville et nous allons venir travailler et transformer ces entrées de ville en véritables quartiers de ville avec des activités diversifiées et c’est une très bonne incitation.
Si on vous proposait ce poste, seriez-vous tenté par le poste de ministre du Logement ?
J’ai fait mes choix il y a longtemps, je suis cohérente avec mes choix. J’aime la compagnie qui est la mienne et je n’imagine et ne veux pas d’autre destin que celui-là.
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