« Je suis perdu » : quelle est l’identité d’un migrant ?

Asmat est là, chez Agathe, l’air un peu absent, apaisé, devant la machine à café cassée. Ils sont assis autour de la table de la cuisine. L’homme est sans âge, jeune sans doute. La femme est peut-être plus âgée. Elle est militante dans une association d’aide aux migrants. On comprend qu’Asmat attend de savoir si elle sera acceptée sur le territoire national par les autorités.

Agathe l’héberge temporairement, comme elle l’a sans doute déjà fait pour d’autres migrants. Ce n’est pas pour elle une mission, plutôt une action naturelle. Pendant la journée, elle va « à son travail ». Le reste de son temps est consacré à cette réception.

L’auteur et réalisateur argentin Guillermo Pisani n’en dit pas plus. Pourtant, ce spectacle créé en 2011 et relancé en fin de saison à Paris pose clairement des questions qui touchent à la solidarité, à l’identité mais aussi aux relations sociales entre les individus. Que savons-nous d’Asmat ? Quelques choses. Et s’il sort la nuit, avec quelques outils en poche, quelles sont ses activités ? Au début, le personnage parle peu ou rien. Barrière de la langue… La parole se débloque alors. L’histoire est linéaire mais elle saute dans le temps.

Trois actes sans lien direct

Guillermo Pisani a conçu je suis perdu en trois parties, comme des actes mais qui n’ont aucun lien direct entre elles. Le numéro deux (l’ordre est affiché sur le mur du fond) oppose un écrivain sélectionné pour participer à un festival des « auteurs en exil », un réalisateur et le responsable de l’événement. Ce qui l’attend à développer lors de cette résidence son texte évoquant un Jeunes à Homs, ville de Syrie dont il serait originaire, texte avec lequel il a été sélectionné. Mais il veut abandonner ce passé pour écrire la suite du Deux téléphonesun vaudeville absurde autour d’un maire de Paris, de sa femme et de sa maîtresse.

Projet qui ne convainc pas l’organisateur. Posant ainsi la question de la liberté pour tous les créateurs, mais aussi celle du regard porté par une autorité, quelle qu’elle soit, sur un étranger qui ne rentre pas forcément dans les cases imaginées pour lui au nom des principes et des bons sentiments.

Introduisant le théâtre dans le théâtre, les trois comédiens se mettent alors à interpréter quelques instants de vaudeville pochade. Les portes claquent, mari, femme et amant se poursuivent. Le tout est totalement fou et totalement drôle.

Puis, sans quasiment aucune transition, la troisième partie s’articule autour d’Anbar, un jeune biologiste marocain qui vient d’intégrer une unité de recherche du CNRS. Son arrivée perturbe l’organisation du service, et le manque de moyens financiers se fait sentir. Cependant, ses travaux sur « le développement de tumeurs dans les œufs de poule » se déroulent en bonne harmonie, jusqu’à ce que les masques tombent. Ce troisième acte est construit comme un thriller. Avec suspense et angoisse. Les trois acteurs glissent d’un rôle à l’autre. Caroline Arrouas, Boutaïna El Fekkak et Arthur Igual sont totalement irréprochables. Entre comédie, respect de l’autre au-delà des origines et partage de l’humanité.

Jusqu’au 23 juin, à La Tempête, Cartoucherie de Vincennes, téléphone : 01 43 28 36 36 ; www.la-tempete.fr