François Lecointre, 62 ans, a été chef d’état-major des armées de 2017 à 2021, après avoir été chef du cabinet militaire des premiers ministres Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et Edouard Philippe. En 1994, il participe à l’opération Turquoise au Rwanda, puis part en Bosnie, où il mène l’assaut pour reprendre aux Serbes le pont de Vrbanja, dernier combat « de la baïonnette au canon » de l’armée française. Il vient de publier chez Gallimard Entre les guerres (Gallimard, 128 pages, 17 euros), une méditation sobre et profonde sur le métier de soldat.
Je ne serais pas arrivé ici si…
…Si je n’avais pas eu une rencontre troublante avec le frère de ma mère, Hélie, décédé à 23 ans en Algérie. Acculé sous le feu des rebelles dans une zone incendiée, il est resté dans son véhicule blindé pour couvrir ses hommes. Il n’a pas eu le temps de s’échapper, il est mort brûlé vif. Je ne l’ai jamais connu. Mais j’adorais regarder sa photo, posée sur une cheminée dans le salon, dans la maison de ma grand-mère. Il est de profil, tête penchée, avec un sourire à la fois simple et doux. Cet homme me fascinait : si jeune et si fragile, et pourtant mort en héros. Si j’étais impressionné par la stature puissante et dominante de mon père – un modèle inaccessible pour moi –, l’apparente fragilité de l’oncle Hélie, son humanité, me rendaient accessible cet héroïsme. Sans lui, je n’aurais pas eu l’audace de choisir le métier des armes.
Pourquoi votre père, ancien commandant du sous-marin « Le Redoutable », vous a-t-il tant impressionné ?
C’était un homme grand et élégant, assez austère, sévère et autoritaire, intelligent et cultivé. Tout le monde avait pour lui un respect naturel. Nos relations étaient distantes. Il est décédé à 53 ans, dans les montagnes. J’avais 22 ans et je venais de rejoindre Saint-Cyr. Nous commencions tout juste à établir une forme de complicité, non pas de père à fils mais d’officier à officier. Je ne pouvais pas en profiter.
Comment était ta mère ?
Elle était artiste, peintre et restauratrice de tableaux. Une femme charmante, très joyeuse, un peu bohème. Elle a élevé ses cinq enfants avec une étonnante insouciance. Alors que mon père exigeait que les chambres soient rangées et que les devoirs soient faits, elle s’en fichait du tout.
Qui étaient vos modèles ?
Je lis beaucoup. J’ai admiré Lucien Leuwen (personnage de Stendhal) ou Angelo, de Hussard sur le toit (Jean Giono), que j’ai trouvé fascinant, gracieux, parfois un peu idiot. Je me suis également attaché à la figure du capitaine Hornblower, héros d’une série de romans d’aventures maritimes écrits entre les deux guerres par un Anglais, Cecil Scott Forrester. L’auteur met en scène un homme qui passe sa vie à hésiter. Quels que soient ses succès, il continue de douter de lui-même. C’est ce qui m’a attiré vers le métier de militaire : le fait de se fixer l’ambition de se dépasser, parce qu’on n’est pas sûr de ce qu’on est. .
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