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« Je pardonne à la personne, mais pas à son acte » : Anaïs Gletty, celle qui a tendu la main à l’assassin de son père

Anaïs Gletty a décidé de rencontrer celle qui a tué son père il y a douze ans.
De ce face-à-face entre une victime et un accusé, elle a écrit un livre : « Pardonner ».
Une démarche singulière qu’elle raconte ce dimanche à Audrey Crespo-Mara dans Sept à Huit.

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Sept à huit

Colère. Anaïs Gletty en a fait le plein pendant des années. Mais cela ne nous fait pas avancer. Une évidence s’impose alors : Anaïs veut savoir qui se cache derrière l’acte odieux qu’elle a commis. Tout commence en février 2012. La jeune femme était enceinte de son premier enfant lorsqu’elle apprend le meurtre de son père Philippe Gletty, tué par trois balles tirées à bout portant. « Je me sens abasourdi, je ne pleure pas parce que je n’y crois pas »dit-elle à Audrey Crespo-Mara dans la vidéo ci-dessus.

Ce chef d’entreprise est à la tête d’une société de gestion, son « troisième bébé »souligne Anaïs, précisant qu’il considérait ses salariés « comme les membres de sa famille ». Parmi eux se trouve Bettina Beau. « C’est sa secrétaire de direction, elle est très importante au sein de l’entreprise et elle a de nombreuses responsabilités. Je la connais depuis l’âge de sept ans. Je faisais des dessins avec Bettina, je pouvais me promener avec elle dans les bureaux, donc c’était quelqu’un J’aimais beaucoup quand j’étais petite », explique la jeune femme.

Un « burn-out »

Cette très proche collaboratrice de son père sera d’ailleurs l’une des premières à consoler Anaïs en la prenant dans ses bras. « C’est une image qui m’a beaucoup hanté. Je l’imagine sans aucun soupçon, donc je prends ça pour de l’empathie. J’ai l’impression qu’elle a pitié de moi et de ma petite sœur », elle dit. Mais très vite, c’est l’étonnement lorsque Bettina se dénonce à la gendarmerie comme étant l’auteur de la fusillade. La jeune femme poursuit : « Elle dit qu’elle lui a tendu une sorte de guet-apens en lui offrant un rendez-vous sexuel puisque j’ai appris qu’ils entretenaient une relation plus que professionnelle depuis longtemps. Elle utilise ce motif pour l’entraîner sur un chemin. Elle lui tire dessus. le dos une première fois. On apprend qu’il hésite, il se retourne et la regarde une seconde fois, il tombe dans le fossé et là, elle s’approche et elle lui tire une balle dans la tête.elle explique.

Une exécution sommaire et préméditée, mais les raisons de l’acte restent encore assez floues. « Elle expliquera que sa vie professionnelle, personnelle et familiale était très compliquée à cette époque et qu’elle vivait un burn-out », raconte Anaïs. Bettina Beau est mise en examen pour « assassinat » et incarcéré. Anaïs est envahie par un « un immense sentiment de trahison ». « Elle me connaissait, elle savait que j’étais enceinte, comment a-t-elle fait pour aller jusqu’au bout et ne pas pouvoir s’arrêter avant ? » se demandait-elle à l’époque, avec « le désir qu’elle paie à la fin ».

Vient ensuite le temps de l’épreuve, une autre épreuve. « Je me sens en colère, parce que tout remonte à la surface, puis de la pitié. Elle nous demande pardon pour la première fois. C’est quelque chose d’important, et pourtant je ne suis pas prêt à l’entendre »explique la jeune femme qui ajoute : « Je lui demande d’être honnête et de dire pourquoi elle a tué mon père ». Mais aucune réponse ne l’apaisera. « Je pense qu’en fait, elle ne le sait pas. Il a payé pour tous ceux qui lui ont fait du mal. » avoue Anaïs.

Je me dis que je ne pourrai pas avancer si je ne peux pas la rencontrer.

Anaïs Gletty

Le 24 mai 2014, Bettina Beau a été condamnée à dix-huit ans de prison par la cour d’assises de la Loire. Une petite consolation pour Anaïs. « C’est une épreuve qui a été très éprouvante physiquement et moralement, qui a été très longue et puis finalement, on n’avait plus rien qu’à notre arrivée », elle dit. Sa seule certitude à ce moment-là : « J’ai besoin de la rencontrer, de la voir », dit-elle sans vraiment l’expliquer. « C’est quelque chose que je ressens vraiment au plus profond de moi. Je me dis que je ne pourrai pas avancer si je n’arrive pas à la rencontrer ». Deux demandes officielles ont alors été envoyées, mais la justice s’y est opposée. Alors, à défaut de pouvoir la rencontrer, Anaïs va lui écrire une première lettre, quatre ans après la mort de son père, et lui raconter, avec ses propres mots, son incompréhension, en espérant qu’un jour, elle lui réponde. « à ses pourquoi ».

La jeune femme n’obtient pas plus de réponses que lors du procès. Pourtant, tout au long de cette correspondance, Bettina Beau ne cesse de demander pardon. « J’arrive à la retrouver telle que je l’ai connue, les lettres deviennent de plus en plus personnelles et on parle un peu moins de l’affaire, m’explique-t-elle sa vie en détention. Cela me permet de la voir comme un être humain et d’éprouver un peu de compassion pour elle. J’ai essayé de comprendre ce qui avait pu la pousser à cela. », reconnaît Anaïs. Mais pourquoi vouloir à tout prix pardonner au meurtrier de son père ? « C’est arrivé naturellement. C’est une histoire d’empathie qui m’a poussé à essayer de voir au-delà de l’acte. Voir la personne derrière tout cela, ce qu’elle avait vécu et ce qui aurait pu la pousser à faire ça un jour », Elle répond.

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Après neuf ans de détention – la moitié de sa peine – Bettina Beau est libérée. Elle a obtenu une libération conditionnelle dès sa première demande, le risque de récidive étant jugé nul par quatre experts. L’occasion pour Anaïs de pouvoir enfin la rencontrer. « C’est vraiment vital. J’ai l’impression que sans cela, ma vie est bloquée là-dessus et je ne pourrais pas avancer. elle admet. Ce jour arrive enfin, onze ans après le drame. « J’étais stressée, tendue, mais heureuse parce que c’est un dénouement. Quand j’entre dans la salle, il y a une sorte de tension qui s’estompe assez vite car je retrouve Bettina telle que je l’ai connue quand j’étais petite et pas comme lors du procès. Les premiers mots sont un peu difficiles. Ils ont un peu de mal à passer d’un côté à l’autre et puis c’est elle qui se lance la première en me saisissant les mains. elle se souviens.

Au total, la réunion durera deux heures. Avec un choix qui peut paraître singulier : ne pas revenir aux faits. « Il arrive un moment où il faut se rendre à l’évidence et se dire que s’il n’y a pas de raison, alors il n’y a pas de raison. C’est difficile à accepter, mais c’est la seule façon d’avancer. Je lui explique simplement que je lui pardonne en tant que personne, mais pas l’acte qu’elle a commis. « Je me suis complètement désolidarisé car l’acte n’est pas pardonnable », explique la jeune femme. Aujourd’hui, elle fait un dernier vœu, tout aussi atypique, mais avec précaution « réfléchi » : laisser un peu de place dans sa vie à l’assassin de son père. « Elle faisait partie de notre histoire et je veux qu’elle y reste. Peut-être parce que c’est encore un peu ce qui me relie à mon père. », conclut-elle.


Virginie FAUROUX | Commentaires recueillis par Audrey Crespo-Mara

Eleon Lass

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