«Je ne veux pas qu'on me dise que je n'aurais pas dû boire»… La double peine des victimes
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«Je ne veux pas qu’on me dise que je n’aurais pas dû boire»… La double peine des victimes

«Je ne veux pas qu’on me dise que je n’aurais pas dû boire»… La double peine des victimes

L’affaire du viol de Mazan, dont le procès est en cours, a levé le voile sur la soumission chimique, le fait de droguer une personne à son insu afin de la maltraiter. Mais un autre mode de fonctionnement, plus fréquent, reste peu médiatisé : la vulnérabilité chimique. Il s’agit d’un agresseur qui profite de l’état d’une personne ayant volontairement consommé une drogue, souvent de l’alcool, pour l’agresser.

Caroline, une maman de 48 ans, en a été victime. Un homme qu’elle a rencontré sur une application de rencontres l’a invitée chez elle, puis l’a obligée à boire avant de la violer. Lorsqu’elle a fait des analyses toxicologiques quelques heures après l’incident, elle aurait aimé voir des traces de drogues retrouvées dans son sang ou ses urines. «Je voulais avoir des preuves matérielles de ce qui s’était passé, me rassurer en tant que victime et arrêter de culpabiliser», explique-t-elle au centre addictologie de Paris qui a recueilli son témoignage. Mais rien n’a été détecté.

Une culpabilité

Le quadragénaire n’est pas le seul victime de vulnérabilité chimique à réagir ainsi. « Les femmes avec qui je parle au téléphone m’expliquent souvent qu’elles souhaitent avoir leurs résultats d’analyses toxicologiques avant de porter plainte, laissant entendre que si l’agresseur les a droguées, ce serait de sa faute, mais que si elles ont elles-mêmes pris de la drogue ou de l’alcool, , ce serait de leur faute », affirme Leila Chaouchi, pharmacienne au centre d’addictovigilance de Paris et experte dans l’enquête nationale sur la soumission chimique de l’ANSM. « Il est alors de notre responsabilité de remettre l’agressivité au centre des discussions, et de rappeler que la soumission chimique et la vulnérabilité chimique sont toutes deux des facteurs aggravants pour l’agresseur. La loi le dit. »

Le médecin doit donc démystifier les idées reçues et faire preuve de pédagogie. « Il est extrêmement important de dire que nous ne sommes jamais responsables de notre agression, car cette croyance est encore très ancrée dans la société. » Solène*, 30 ans, victime d’un viol chimique lors d’une soirée étudiante, a toujours peur d’être mise en cause. C’est pourquoi elle n’en a parlé qu’à quelques proches. « Je ne veux pas qu’on me dise que je n’aurais pas dû boire, fumer ou dormir là-bas. » Marine, victime d’un viol collectif en 2021 après avoir consommé de l’alcool, a dû faire face à ce type de propos. « Mes parents l’ont très mal pris et m’ont culpabilisé. »

Trous noirs et état comateux

Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle peu de victimes de vulnérabilité chimique finissent par franchir la porte d’un commissariat de police. « Ils ne se sentent pas justifiés de porter plainte également parce qu’ils n’ont pas beaucoup de souvenirs », renchérit l’avocate Bénédicte Brigouleix, présidente de l’Association d’aide aux victimes (Aidovie). Même s’ils étaient conscients d’avoir subi quelque chose qu’ils n’auraient pas dû subir, ils étaient dans un état comateux. »

C’est le côté pernicieux de ce mode opératoire : la victime n’était pas dans un état lui permettant de consentir, et c’est cet état qui rendait floue ses souvenirs. « Mes clients me parlent souvent de trous noirs, ils ont du mal à reconstituer les faits avec précision et ont peur que les gens ne les croient pas », souligne l’avocate des victimes de violences sexuelles Carine Durrieu-Diebolt. C’est justement parce qu’elle ne voulait pas « avoir à se justifier » que Solène n’a pas porté plainte. « Et puis, aussi, il n’y avait aucune preuve. »

Prouver l’état de vulnérabilité de la victime

« Pour prouver un viol ou une agression sexuelle, il faut démontrer la vulnérabilité de la victime, qui illustre le fait qu’elle n’était ni en mesure de résister ni de consentir », explique l’avocat. Alcoolémie, visionnage de caméras de vidéosurveillance, témoignages, messages échangés, vidéos prises par l’agresseur… De nombreux indices peuvent permettre de prouver que la victime était dans le coma, amorphe, hors de son état normal.

« Il ne suffit pas de démontrer qu’il y a une vulnérabilité, il faut aussi démontrer que l’auteur en avait connaissance, que cette vulnérabilité était apparente », ajoute l’avocate Bénédicte Brigouleix. Pour ce faire, les éléments exposés ci-dessus « peuvent montrer qu’il ne pouvait pas ignorer cet état de détresse », poursuit-elle. « C’est notamment le cas si la victime ne marche pas droit, tient des propos incohérents, ou encore si elle est à moitié endormie. »

Formation policière

Mais le temps joue en faveur de l’agresseur, car les images des caméras de vidéosurveillance ne sont souvent disponibles que pendant une durée limitée et les substances présentes dans l’urine et le sang s’évacuent au bout de quelques heures. D’où l’importance de porter plainte peu après l’incident. C’est ce qu’a fait Marine. Quelques heures après son agression, une enquête en flagrant délit a été ouverte, un maximum de preuves ont été rassemblées et les agresseurs ont été placés en détention provisoire.

« Si la dénonciation est tardive, qu’il y a peu de preuves probantes et aucun témoignage, on peut se retrouver en liberté conditionnelle contre des procédures de libération conditionnelle. Et là, c’est plus compliqué», atteste le président d’Aidovie. Les femmes déplorent également l’accueil qui leur est réservé dans certains commissariats. « Un jeune gendarme a essayé de me démotiver en me disant que les avocats de la défense allaient tout faire pour me faire craquer », se souvient Caroline. Je me demandais si j’avais raison de porter plainte. Je me sentais coupable et non victime. » Trois gendarmes plus haut placés réprimandèrent leur collègue, et Caroline ne fut finalement pas entendue. « Les jeunes policiers reçoivent depuis plusieurs années une formation sur les psychotraumatismes des victimes, mais ce n’est pas le cas de tous », souligne Carine Durrieu-Diebolt. La transition prend du temps. »

Après une longue période de travail, Caroline s’est rendu compte que son agresseur avait profité de son état pour la violer. «Maintenant, je suis vraiment conscient que je suis une victime et non coupable. Il n’était pas question que je doive me retrouver dans ce lit avec cette personne parce que je n’étais pas moi-même ce jour-là. » La mère a fini par porter plainte contre son agresseur. Pour elle, mais aussi pour que toutes les autres femmes se sentent légitimes de le faire.

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