«Je ne sais pas pourquoi je suis allé appuyer si haut», s’amuse Jérémy Morel, buteur improbable en 2017
Le héros improbable d’une soirée cauchemardesque. Tous les supporters lyonnais associent encore le nom de Jérémy Morel au précédent choc contre Besiktas au Parc OL (2-1). Avant ce nouveau choc de Ligue Europa, ce jeudi (21 heures), que redoutent tant les autorités et la direction du club, l’ancien latéral gauche revient pour 20 minutes sur son unique but en quatre saisons à l’OL, le 13 avril 2017, lors du quart de finale aller de la Ligue Europa, et sur les rixes, qui l’ont précédé, entre supporters turcs et lyonnais.
A 40 ans, Jérémy Morel vit désormais à Lorient, où il a terminé sa carrière professionnelle en Ligue 2 en 2022, et où il a débuté sa nouvelle vie d’entraîneur dans les catégories jeunes la saison dernière. L’ancien international malgache évoque également cette intense campagne européenne de 2017, son attachement à la direction de Bruno Genesio et les questions qui accompagnent la célèbre bande lyonnaise dans le vestiaire de l’OL depuis une dizaine d’années.
Comment êtes-vous arrivé comme entraîneur principal des U18 au FC Lorient, et désormais entraîneur adjoint des U19 au Merlus ?
A la fin de ma carrière professionnelle, je pensais obtenir mes diplômes d’entraîneur. Et puis j’ai pu passer trois semaines aux côtés de Bruno Genesio à Rennes et Paulo Fonseca à Lille pour voir comment ils fonctionnent, et comprendre si ce métier pouvait me séduire. J’ai vécu deux superbes expériences qui ont conforté mon choix. Je me demandais simplement si je serais assez patient pour travailler avec des jeunes. Je me découvre à leurs côtés, même si j’aimerais à un moment me lancer dans le monde professionnel.
Vous connaissez ce monde du football professionnel en tant que joueur depuis près de vingt ans. Quelle place occupe le chaotique OL-Besiktas du 13 avril 2017 dans tous vos souvenirs ?
Aujourd’hui encore, je me souviens surtout de l’agacement qui régnait parmi nous, les joueurs, à cause de tous les incidents qui éclataient en dehors du terrain. C’était vraiment dommage, nous sommes devenus des spectateurs en colère à cause de tout cela. Nous nous sommes posés 10 000 questions sur les personnes que nous connaissions dans les tribunes à ce moment-là. Mon petit frère était au match avec son fils de 5 ans, alors j’espérais qu’ils n’auraient pas de problèmes. La situation est encore bien différente dès que les enfants sont là… Et quand le match arrive, ça donne un supplément d’âme, l’envie de se battre.
Compte tenu des multiples débordements entre supporters ayant retardé le coup d’envoi de 45 minutes, avez-vous été rassuré pour vos proches au début du match ?
Oui, nous avons pris le temps de récupérer toutes les informations. Il y a eu un moment de hésitation et on a pu échanger des messages avant de se recentrer sur le match. Les résultats auraient pu être bien pires. Après, il y avait plus que de la volonté en nous, c’était de la rage vu que le spectacle était un peu gâché par tous ces problèmes. On s’est dit : « Tu as voulu faire un con, et bien, on va essayer de le faire sur le terrain. »
L’OL a rapidement pris du retard (0-1, 15e), puis Corentin Tolisso a égalisé (1-1, 83e). Dans quel monde se retrouve-t-on au milieu de la surface turque à mettre la pression sur le défenseur puis sur le gardien pour marquer le but décisif ?
Il fallait la victoire pour voyager « plus sereinement » à Istanbul, et je me suis dit qu’il me restait encore du jus. Alors si jamais je pouvais mettre un peu de pression sur… Là, je suis l’action. Pourquoi vais-je appuyer si haut ? Franchement, je n’y connais rien (sourire). J’ai l’impression que l’action me demande d’y aller, que c’est le moment de surprendre l’adversaire, et c’était salvateur. Les trois quarts du temps, ce sont les joueurs offensifs qui surprennent, et là c’était un défenseur.
Ce soir-là, vous avez inscrit votre seul but en 139 matches sous le maillot de l’OL. Vous avez bien choisi votre moment, dans un quart de finale européen houleux…
Oui, c’est drôle, et encore aujourd’hui, quand je rencontre des supporters de l’OL, c’est souvent ce match qui revient dans la discussion. Je me souviens globalement de mon expérience de quatre belles années à Lyon, et je me rends compte qu’au final, les gens ne pensent qu’à cette action.
Comment avez-vous vécu cette qualification épique aux tirs au but lors du match retour à Istanbul ?
Je me souviens qu’à la fin du match, j’avais vraiment mal à la tête. Il y a eu un bruit assourdissant pendant presque toute la réunion. Même si nous criions à un mètre d’un partenaire, nous ne pouvions pas nous entendre. C’était le match le plus « bruyant » de toute ma carrière, et cela donnait une saveur particulière aux qualifications. Sortir d’un match comme celui-là nous a donné beaucoup de force.
La direction de l’OL a choisi de fermer jeudi la dernière enceinte du stade, pour contrôler davantage la sécurité, avec une configuration de 30 000 spectateurs et principalement des abonnés. Aurions-nous dû faire la même chose en 2017 ?
C’est toujours très facile de juger après coup. Lorsque les émeutes ont éclaté au stade en 2017, on pouvait se dire que ça n’avait pas été malin de vendre toutes ces places au grand public. Mais je considère que quand on entre dans un stade, c’est pour soutenir son équipe, pour un spectacle. C’est donc dommage de devoir se poser ces questions, de penser à fermer une partie du stade car il y aurait des risques. Le spectacle va en souffrir. C’est dommage d’en arriver là, mais avec ce qui s’est passé il y a sept ans, c’est peut-être la meilleure solution.
Vous n’avez quasiment connu que Bruno Genesio lors de vos quatre saisons à Lyon. Quel bilan faites-vous de son long passage qui n’a pas fait l’unanimité aux yeux des supporters ?
Je ne comprenais pas vraiment pourquoi il était autant critiqué à Lyon. Si on avait mis un nom à d’autres coachs, ça n’aurait peut-être pas eu cet impact… Bruno a une très bonne relation humaine avec ses joueurs et c’est quelque chose qu’il a en lui, il n’a pas eu à travailler dessus. Quand il te demande si tu vas bien, ce n’est pas pour te faire plaisir, il espère vraiment que tu vas bien. J’ai beaucoup aimé sa gestion de groupe. S’il faut avoir des remords sur une saison, c’est cette Ligue Europa 2017 où nous avons été éliminés en mi-temps par l’Ajax Amsterdam. Je pense qu’on avait l’équipe pour au moins aller en finale, avec un groupe au top et une année exceptionnelle sur le plan humain. Mais les titres manquaient.
Depuis une dizaine d’années, autour de Lacazette, Tolisso, Lopes et autres, cette idée de « gang lyonnais » est récurrente. Est-ce si difficile de s’intégrer à l’OL quand on n’a pas été formé à Lyon, comme le soulignait Claudio Beauvue à votre époque ?
Je pense que c’est exagéré par l’opinion générale mais il ne faut pas non plus le cacher. Personnellement, j’ai eu en quelque sorte la chance d’avoir mon permis de conduire suspendu à mon arrivée à Lyon (sourire). Alors Jordan Ferri, qui habitait près de chez moi, m’a emmené à l’entraînement la première année. J’ai connu Christophe Jallet depuis mes années Lorientaises, et comme il côtoyait beaucoup Clément Grenier et Maxime Gonalons, cela a facilité mon intégration. J’ai demandé à ce soi-disant « gang des Lyonnais » si les gars s’en rendaient compte. Ils m’ont dit non, ils ne comprenaient pas cet acharnement. Je leur ai conseillé de s’ouvrir davantage.
Mais comment expliquez-vous ce phénomène qui semble aujourd’hui encore fragiliser la vie du vestiaire lyonnais ?
J’ai un peu vécu ça lors de mes premières années à Lorient : quand on est jeune, on a tendance à rester avec les joueurs avec lesquels on a été formé, on ne va pas s’ouvrir aux autres. On ne va pas leur reprocher ça : ils se connaissent depuis qu’ils sont petits, ils ont fait tous leurs cours ensemble et ils ont la chance d’arriver ensemble dans le monde professionnel, ce sont donc évidemment des liens d’amitié forts. . Pour moi, ce n’était pas intentionnel de leur part. C’était tellement ancré en eux d’être regroupés qu’ils ne se rendaient pas du tout compte qu’ils pouvaient blesser tel ou tel coéquipier. Et au-delà des joueurs, « Coco » Tolisso, « Alex » Lacazette, « Antho » Lopes et Maxence Caqueret sont autant de belles personnes avec qui je suis toujours en contact.
Notre dossier sur l’OL
Cinq ans après avoir quitté l’OL, continuez-vous à suivre assidûment leurs matchs ?
Je n’ai pas trop le choix car mon petit dernier, huit ans, est né à Lyon et est supporter de l’OL. Il y a une bagarre car son frère aîné, né à Marseille, est à l’OM et ne peut pas voir Lyon. C’est assez épique à la maison (rires). Avec John Textor, l’OL a pris une toute autre trajectoire par rapport à ce que j’ai connu sous Jean-Michel Aulas. J’étais dégoûté de voir où en était Lyon lors de la première phase en 2023-2024. Je n’arrêtais pas de me dire que ce n’était pas possible, que ce n’était pas un club qui pouvait s’effondrer. Et puis la deuxième partie de saison m’a fait adorer.