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« JD Vance, un Zemmour américain ? Les parcours contradictoires de deux écrivains en politique »

FIGAROVOX/TRIBUNE – Éric Zemmour et JD Vance ont en commun d’avoir accédé à la célébrité en racontant leur histoire dans des livres mêlant analyse politique et autobiographie, puis de s’être lancés en politique en sautant toutes les étapes, analyse Pierre Azou, doctorant à l’université de Princeton.

Pierre Azou est doctorant en études françaises à l’Université de Princeton aux États-Unis. Il prépare une thèse sur la figure du terroriste dans le roman et l’essai contemporains.


Ils sont tous deux nés et ont grandi parmi les petites gens de ce monde, loin des beaux quartiers : l’un à Montreuil, la banlieue parisienne pauvre, issu d’une famille ouvrière émigrée d’Algérie ; l’autre à Middletown, dans l’Ohio, au fin fond du cœur américain, issu d’une famille de ceux qu’on appelle là-bas les « rednecks », ou, moins charitablement encore, les « white trash ». Mais ils ont fini par rejoindre les grands de ce monde, les beaux quartiers, en les intégrant, en intégrant les universités qui symbolisent leur domination : Sciences Po, pour l’une, Yale Law School pour l’autre. Ainsi, ils incarnent chacun un récit que l’on aime tenir dans leurs pays respectifs : la « méritocratie républicaine » pour l’un, le « rêve américain » pour l’autre. Ou du moins c’est ainsi qu’ils se présentent. Car leur point commun le plus significatif est d’avoir atteint la célébrité précisément en racontant cette histoire dans des livres mêlant analyse politique et autobiographie ; et, grâce à cette célébrité, de s’être lancés d’un coup dans la politique en sautant toutes les étapes.

On aura reconnu le premier : Éric Zemmour qui, fort du succès en librairie et de la médiatisation de l’ Suicide français en 2014, se présente à l’élection présidentielle de 2022, alors qu’il n’a jamais occupé de mandat électif ni de fonction politique. Le second, JD Vance, était totalement inconnu jusqu’à la parution de son best-seller en 2016 Élégie des Hillbillyvient d’être désigné par Donald Trump comme son « colistier », donc comme candidat à la vice-présidence, seulement deux ans après sa première élection surprise au Sénat.

Si Vance défend effectivement un populisme conservateur proche de celui de Zemmour, l’essor de ce mouvement politique ne serait-il pas dû, comme leur parcours commun le suggère, à la conjonction d’une certaine fracture sociale et territoriale, et à l’imbrication des sphères médiatique et politique ? C’est une question qui intéresse les sociologues et les politologues comparatistes.

Mais, pour l’explorer, il y a une autre similitude entre Vance et Zemmour, qui invite au secours d’une perspective littéraire : ce sont leurs contradictions, ce qu’il y a de paradoxal dans leur parcours. Car, eux qui se présentaient dans leurs écrits comme l’incarnation du récit national ou républicain, en adoptant la posture de l’écrivain réfléchi, non partisan – ils se disent tous deux inspirés par le général de Gaulle –, finissent par défendre les positions les plus extrêmes en politique, attisant tous les antagonismes ; adulés par les uns, ils sont détestés par les autres.

Pour échapper à leur environnement, ils ont dû faire preuve de critique envers eux-mêmes en tant que membres de cet environnement.

Pierre Azou

Aux États-Unis, les gens sont surpris (le New York Times parle de la « Le revirement le plus étonnant de l’histoire« ): Comment Vance est-il devenu le plus fidèle partisan de Trump, alors qu’en 2016 il l’a publiquement appelé « Connard« , de « Hitler d’Amérique« , de « désastre moral » et D' »héroïne des masses » La question, à mon sens, est liée à celle qu’on n’a pas assez posée à propos de Zemmour en 2022, et qui met en lumière son échec désormais indéniable : comment quelqu’un qui, interrogé en 2014 sur les mesures politiques à prendre pour résoudre les problèmes évoqués dans son livre, pourrait-il se dérober à la responsabilité en disant « qu’il n’était pas président de la République, mais qu’il faisait simplement une analyse » – comment celui qui en 2015 a déclaré que « sa vie c’est lire et écrire » – a-t-il pu entrer en politique ?

En posant ces deux questions ensemble, la même réponse se présente, la même explication aux revirements de Vance et de Zemmour. Elle tient au genre littéraire qui leur a valu leur notoriété : l’essai personnel. Car il est aussi contradictoire et paradoxal qu’eux, mais cette fois, au sens étymologique du terme : avec l’essai, il s’agit de « dire contre » (contra-dictio) pour déployer un discours singulier, personnel, justement, « à côté de l’opinion commune » (para-doxa). Que cet effort lui-même aboutisse à un paradoxe, nous sommes bien placés en France pour le savoir, puisque le premier à l’avoir « tenté », le père reconnu du genre, n’est autre que Montaigne. Avec son célèbre « Que sais-je », Montaigne remet tout en question. Mais avec son non moins célèbre « Que sais-je »,Je suis moi-même le sujet de mon livre.« , il s’affirme aussi comme un guide et un aboutissement singulier de sa recherche. Si l’essai est « la forme critique par excellence« , comme le dit canoniquement le théoricien Theodor Adorno, reste à voir : qui critique quoi, et de qui/quoi. La réponse de Montaigne : « Je ne peins pas l’être, je peins le passage » – c’est-à-dire qu’il n’y a pas de réponse définitive, que l’essai est le lieu d’un jeu infini de tourniquets. Parfois Montaigne se critique lui-même à partir de ce qu’il observe autour de lui. Parfois il critique les autres, la société qui l’entoure, le monde, à partir de sa propre expérience.

L’histoire personnelle, le « passage » de Vance et Zemmour est le produit de cette double critique. Pour s’extraire de leur milieu, ils ont dû faire preuve d’un esprit critique envers eux-mêmes en tant que membres de ce milieu. Mais c’est cet esprit critique même qui les a conduits dans un second temps à critiquer ce milieu à partir de leur nouvelle position. Ainsi, né dans une famille d’immigrés, Zemmour critique d’autant plus ceux qui selon lui refusent de « s’intégrer » qu’il a lui-même dû faire cet effort de transformation. De même, Vance écrit dans Élégie des Hillbilly que « La mobilité sociale n’est pas seulement une question d’argent, c’est un changement complet de style de vie » ; ayant effectué ce changement, il critique d’autant plus ceux qui n’y sont pas parvenus à cause, dit-il, de leur « paresse » : « Ce qui sépare ceux qui réussissent de ceux qui échouent, c’est ce que chacun de nous attend de sa propre vie, et le message que nous recevons est de plus en plus : ce n’est pas de votre faute si vous êtes un perdant, c’est la faute du gouvernement.« .

Ces positions sur l’intégration et la réussite sociale rapprochaient déjà Zemmour et Vance d’une certaine droite dure, et les conduiraient naturellement au « populisme ».

Pierre Azou

Certes, ces positions sur l’intégration et la réussite sociale rapprochaient déjà Zemmour et Vance d’une certaine droite dure, et devaient les conduire naturellement au « populisme » comme suite logique de leur parcours critique : le rejet de ces élites dont ils font désormais partie. Mais, tant qu’ils n’étaient que des écrivains, l’esprit de l’essai, le « jeu du tourniquet », leur interdisait d’y adhérer pleinement. Si Vance rejette fermement Trump en 2016, si Zemmour depuis de nombreuses années ne s’engage pas en politique aux côtés de ceux qui semblent pourtant partager ses vues sur l’immigration et son rejet du « système », c’est justement parce qu’ils se reconnaissent en eux ! Car, après avoir critiqué les autres, il faut bien qu’ils se critiquent à nouveau eux-mêmes.

Dans Élégie des HillbillyVance dénonce les travers de son milieu d’origine, mais il entend aussi le défendre et le faire comprendre contre les préjugés de son nouveau milieu élitiste : c’est pourquoi il fut d’abord encensé par le Parti démocrate. Dans ses livres, Zemmour se fait aussi — on l’oublie souvent — le défenseur de la « démocratie ».complexité« , de « doute méthodique » contre la « dogmes » (Je le cite dans Le suicide français): c’est pourquoi il est invité depuis si longtemps par tous les grands médias. Ils sont prêts à être aux côtés de Trump et du Rassemblement National pour critiquer « le système », mais ils ne veulent pas les rejoindre dans un nouveau système dont ils feraient eux-mêmes partie.

Se demander pourquoi Vance a fini par se rallier à Trump, et Zemmour à s’engager directement en politique, c’est donc se demander pourquoi, un beau jour, ils ont trahi l’esprit de l’essai, pourquoi ils ont quitté le « jeu des portes tournantes ». Mais là encore, l’explication est paradoxale précisément dans la mesure où elle découle de la logique même de l’essai, dans ses deux aspects. D’abord l’aspect « critique », qui conduit finalement l’écrivain à se retourner contre ce qui le définit au plus haut point, à savoir l’écriture — et donc à entrer dans l’action. « Ce n’est plus l’écrivain qui vous parle », dit Zemmour candidat — et Vance, dans ses discours de campagne : «Ce dont Washington a besoin, ce sont des dirigeants qui ne se contentent pas de parler de ce qu’ils font.« (comme lui jusqu’à présent) »mais qui les a vraiment fait et continuera à les faire » Mais encore faut-il savoir pourquoi on  » fait  » les choses. C’est là que Vance et Zemmour redécouvrent le côté  » personnel  » de l’essai. Si Montaigne revient finalement toujours à lui-même, c’est, dit-il, parce que « malgré toutes les contradictions« , dans ce « balançoire pérenne« Qu’est-ce que le monde, »il y a quelque chose de certain qui reste » : C’est « lame » Il voulait dire : la sienne. Mais l’avantage de l’âme, qui ouvre la voie aux déviations, c’est qu’on peut la définir à loisir.

Vance et Zemmour, qui ne semblent plus satisfaits des leurs, s’accrochent à deux autres « âmes » — dans une confusion où, pour l’observateur non partisan, il est bien difficile de distinguer la sincérité du cynisme, le souci du bien commun de la simple quête du pouvoir. C’est, disent-ils, celle de leur pays, de leur nation, de leur peuple. Mais c’est aussi, on peut s’en douter, celle de la figure politique qui les a précédés, et par rapport à laquelle ils se sont toujours définis. Des hommes politiques dans lesquels ils se reconnaissent parce que, comme eux, ils ont fait irruption sur la scène politique d’un coup, et pris le pouvoir contre le « système » : Donald Trump, et Emmanuel Macron. À la différence que Zemmour s’est positionné contre cette figure — et a perdu — alors que Vance en a fait son mentor. On verra en novembre si cela lui réussit mieux, ou si un nouveau tour de tourniquet se prépare : contre lui.

Eleon Lass

Eleanor - 28 years I have 5 years experience in journalism, and I care about news, celebrity news, technical news, as well as fashion, and was published in many international electronic magazines, and I live in Paris - France, and you can write to me: eleanor@newstoday.fr

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