Jawad, de Kaboul à Paris : un voyage de seize mois à la recherche de l’humanité

Silhouette élancée, cheveux noirs de jais avec une mèche couvrant une partie du front : c’est lui ! L’homme qui est, ce mardi 14 mars, l’invité de la rédaction de Humanité a une histoire particulière avec notre journal.
Il y a quelques semaines ce message nous est parvenu via les réseaux sociaux : « Bonjour, je m’appelle Jawad Khan (1), c’est moi sur la couverture de votre journal avec ma fille. Je suis maintenant en France et j’aimerais vous rencontrer. » Attachée au message, la première page de Humanité du 18 août 2021, sur laquelle on le voit, à la frontière afghano-pakistanaise, portant un enfant dans ses bras.
Rendez-vous est pris. Lors de la conférence de rédaction, le jeune Afghan explique que c’est un cousin installé en France depuis longtemps qui lui a envoyé la photo quelques jours après sa publication. Jawad n’était qu’au début d’un voyage qui devait durer seize mois. « J’y ai vu un panneau et je me suis alors promis que si j’arrivais vivant en France, je contacterais Humanité . »
L’un des épisodes les plus difficiles de l’existence de ce père de famille de 31 ans
Le moment où la photo a été prise correspond à l’un des épisodes les plus difficiles de l’existence de ce père de famille de 31 ans. « Avant que les talibans ne prennent le pouvoir, j’habitais à Lôgar, un peu au sud de la capitale, où j’étais chauffeur de taxi. J’habitais juste à côté d’une base militaire de l’OTAN, donc je transportais régulièrement des soldats et du personnel qui y vivaient. »
Une activité qui lui a valu des menaces insidieuses de la part des talibans. « Une partie de ma famille vivait dans un petit village où il y avait beaucoup d’islamistes. Ceux-ci m’ont envoyé des messages du type : « Dis à ton cousin d’arrêter de transporter des étrangers, il pourrait avoir des ennuis. »
Lorsqu’il apprend que Kaboul est tombée aux mains des talibans, Jawad décide de partir avec sa femme et ses quatre enfants. Le 15 août 2021, la famille a pris la route en voiture vers la capitale. Là, le temps de revendre le véhicule, ils empochent de quoi financer leur voyage et se rendent en taxi jusqu’à la frontière pakistanaise, puis ouvrent, et atterrissent chez un oncle.
« Au bout de quelques semaines, la situation est devenue tendue, nous avons compris que nous ne pouvions pas rester ici car les autorités n’accordaient plus l’asile aux Afghans. » Déchiré, Jawad accompagne alors ses quatre enfants, deux filles et deux garçons âgés de 3 à 9 ans, et sa femme jusqu’à la frontière.
Enceinte, sa femme ne peut se lancer dans un grand voyage. Il sait que s’il revient, la mort l’attend. « C’était une décision cruelle, mais nous n’avions pas d’autre choix. Ma femme et mes enfants sont retournés à Logar, où ils vivent actuellement avec ma belle-famille. » Leur ancienne maison reste inhabitée, puisque désormais une femme n’a plus le droit de vivre sans père, frère ou mari.
Tout au long de son parcours, des épisodes d’une extrême violence
Jawad énumère les pays traversés, parfois à pied, souvent sous les bâches de camions : Pakistan, Iran, Turquie, Bulgarie, Serbie… Un parcours d’exil marqué par des scènes d’une violence extrême, sur lesquelles il ne veut pas trop s’inquiéter. . étendre : « La mort, les combats, la boue, le froid, la saleté. » Un tel voyage fait parfois perdre la notion d’espace et de temps.
Caché dans le pick-up des passeurs, Jawad a du mal à se souvenir précisément d’avoir traversé tel ou tel pays, et du temps que cela a pu prendre. Ses seuls moments de joie sont alors les quelques minutes en vidéo avec sa femme et ses enfants, lorsqu’il parvient à les rejoindre. Un jour de février 2022, son téléphone sonne et il apprend qu’il est papa pour la cinquième fois. Adman, son plus jeune, a maintenant 1 an. Il ne l’a jamais prise dans ses bras auparavant.
Fin novembre 2022, Jawad Khan est descendu d’un camion dont le chauffeur lui a dit qu’il se trouvait en Allemagne. Près de la gare où il espère prendre un billet pour la France, il est contrôlé par la police : « J’étais tellement sale qu’ils m’ont tout de suite repéré » il a souri. Au commissariat, nous prenons ses empreintes digitales avant de le laisser poursuivre sa route. « La police m’a dit que ce n’était qu’une formalité et que cela ne changerait rien pour moi. Je me rends compte aujourd’hui que c’est faux. se lamente le jeune homme. Début décembre, il arrive enfin à la gare de l’Est à Paris, où l’attendait son neveu.
Un nouveau parcours du combattant : celui de la demande d’asile
Après à peine quelques jours de repos, il doit entamer un nouveau parcours du combattant : celui de demander l’asile, compliqué par le fait qu’ayant été enregistré en Allemagne, il est soumis à une procédure Dublin.
Théoriquement, il devrait revenir demander l’asile outre-Rhin, dans le premier pays européen où il s’est déclaré. « Mais ce n’est pas ce que je veux, j’ai de la famille à Paris, ce sera plus facile de trouver un travail ici », il proteste.
L’examen de sa candidature est fixé au 31 mars. « S’ils refusent, je ferai appel, prévient-il. J’ai des problèmes de santé et je viens de pouvoir être pris en charge (après un délai de carence de trois mois, applicable depuis 2019 aux demandeurs d’asile – NDLR) pour traiter mon hépatite B. Je ne dois absolument pas interrompre mon traitement. »
Conscient que la procédure sera longue et difficile, Jawad reste animé par le désir que sa femme et ses enfants le rejoignent. « dans pas trop longtemps ».
« Ici, mes filles pouvaient aller à la même école que leurs frères. Moi, je n’ai pas pu faire de grandes études, j’aimerais qu’ils aient cette chance », espère le père de famille. » En ce qui me concerne, j’ai très envie de prendre des cours de français. Je parle déjà quatre langues : l’arabe, le pashto, le farsi et l’anglais. Un de plus, ça ne me semble pas si compliqué. affirme celui qui, en plus de celle de taxi, a une formation de menuisier dont il aimerait pouvoir mettre à profit en France.
Mais tout cela est encore trop lointain et surtout incertain. La terreur d’être expulsé après tous les efforts qu’il a faits pour rejoindre notre pays semble envahir Jawad, dont le regard se brouille.
« Chez moi, les journaux avec couleur et photos sont désormais interdits »
Il est donc temps de faire un tour dans les locaux de Humanité et de lui expliquer les étapes de la conception du journal. Nous nous arrêtons dans le bureau d’Abdel, le directeur de production, qui nous explique avec enthousiasme les secrets de la quadrichromie.
Voyant une pile de magazines colorés, Jawad laisse échapper : « Maintenant, dans mon pays, les journaux avec des couleurs et des photos sont interdits. » « Nous avons tous les deux la même histoire, Abdel répond au jeune Afghan.Moi aussi j’ai dû fuir mon pays parce que des intégristes avaient mis mon nom sur une liste de personnes à éliminer. Je suis arrivé d’Algérie en France en 1995, pour sauver ma peau. » Une confiance qui allume dans les yeux de Jawad l’espoir de construire, lui aussi, un avenir en France.
Grb2