"J'ai toujours su que je serais emprisonné à vie"
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« J’ai toujours su que je serais emprisonné à vie »

« J’ai toujours su que je serais emprisonné à vie »
Alexeï Navalny sur un écran installé dans la salle d'audience du tribunal municipal de Moscou depuis sa colonie pénitentiaire lors d'une audience en appel contre sa peine de neuf ans de prison prononcée en mars après avoir été reconnu coupable de détournement de fonds et d'outrage au tribunal, à Moscou, le 24 mai. 2022.

(L’opposant russe est mort en détention à l’âge de 47 ans, le 16 février 2024, dans la colonie pénitentiaire de Kharp, dans l’Extrême-Nord russe. Alexeï Navalny y purgeait alors une peine de dix-neuf ans de prison pour « extrémisme ». Les passages du livre. Patriote (Robert Laffont, 528 pages, 25 euros) correspondant à sa période d’internement ont été rassemblés par son épouse, Ioulia Navalnaïa, sur la base de ses carnets et messages envoyés par ses avocats et postés sur Instagram.)

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Après tout, j’ai décidé de tenir un journal. Premièrement, parce qu’Oleg (frère d’Alexeï Navalny) m’a donné des cahiers. Deuxièmement, parce qu’il serait dommage de gâcher une date aussi précieuse, aussi magique que le 21/01/21. Et troisièmement, parce que si je ne le fais pas, nous oublierons des événements plutôt amusants. Il y en avait un aujourd’hui. J’ai été emmené chez un psychologue et je me trouve actuellement dans son bureau : une pièce de quatre mètres sur huit, meublée d’une table et de trois chaises (toutes vissées au sol) avec un miroir de bonne taille dans une niche murale. (…)

J’ai commencé par faire les cent pas avec impatience, puis je me suis assis pour écrire ce journal. Ce qui m’a obligé à utiliser ce cahier qui est celui que j’utilise habituellement pour mes entretiens avec mes avocats. Lorsqu’on m’a conduit dans cette salle, je me suis dit : Super, je vais enfin pouvoir voir mes avocats dans un endroit presque décent. Au bout de cinq minutes, un commandant en treillis militaire est arrivé. Il a posé une webcam sur la table (il y en a déjà deux au plafond).

 » Bonjourdit-il. Asseyez-vous.

– Merci, mais pour le moment, je préférerais me promener dans le bureau, répondis-je, persuadé qu’il n’était là que pour voir comment se déroulait mon entretien avec mes avocats.

– Asseyez-vousrépéta-t-il. Je suis psychologue. J’aimerais avoir une petite conversation avec vous. »

Il m’a remis un formulaire à remplir. J’ai demandé au psychologue quel était son nom, déplorant que personne ne se présente jamais ici. C’est toujours « camarade commandant » ou « camarade lieutenant-colonel ». Je n’allais pas l’appeler « Camarade Commandant » pendant toute la durée de notre entretien psychologique. Ma demande l’a évidemment embarrassé mais après un instant d’hésitation, il a réussi à ne pas me divulguer ce secret militaire. «Appelez-moi camarade psychologue»il m’a conseillé.

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J’ai eu très peu de temps pour écrire. Vous n’êtes autorisé à prendre un stylo et un cahier qu’entre 19h et 20h, créneau qui figure sur l’horaire sous la désignation « temps libre ». C’est un véritable camp de concentration. Dans mon for intérieur, j’appelle cela « un camp de concentration cool ». Les gars sont très polis, voire agréables. Enfin, sauf qu’ils enregistrent tout sur leurs caméras portées sur le corps, ce qui leur enlève un peu de bonne volonté. (…)

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