L’histoire de la Villa Alice 1/2 – Petite-fille de poète, graphiste de profession, Maële Vincensini est tombée amoureuse d’une maison abandonnée. Lorsqu’elle visite sa future propriété avec son mari Renaud, c’est le début d’une incroyable aventure, pleine de rencontres qui vont changer leur vie.
L’aventure de La Villa Alice commence comme un banal changement de vie post-covid, mais il ne faut jamais se fier aux apparences. Maële Vincensini, graphiste, et son mari Renaud, professeur d’histoire reconverti dans l’événementiel, envisagent de quitter l’Île-de-France pour s’installer en Bretagne pendant le confinement. « Nous vivions à Étampes mais à cette période nous étions dans le Finistère et l’idée d’y séjourner est venue même si nous ne connaissions pas particulièrement la région. Dès notre libération nous avons pris rendez-vous pour visiter une maison du village breton de Cast. Nous étions en avance et en attendant l’agent immobilier, Renaud est allé fumer une cigarette. Il est revenu bouleversé. Il m’a dit : « Oublie cette visite, j’ai trouvé la maison de ma vie », se souvient Maële. Il est juste derrière, abandonné, délabré. Mais je l’aime !’ » Poussés par la curiosité et le désir, le couple entre par une vitre brisée. Force est de constater que le lieu n’est pas habité, qu’il a été squatté. La visite relève alors de « l’urbex », ou « exploration urbaine ».
Il pleuvait sans cesse à Brest
« Nous avons parlé à l’agent de ce coup de cœur, poursuit Maële. Le soir même, il nous a envoyé un message. Il avait fait le tour des voisins qui lui avaient dit que le lieu appartenait à une dame nommée Alice, probablement décédée. Puis, retournement de situation. Il nous a recontacté, nous a dit qu’elle était enfin en vie et nous a donné son numéro. Maële décroche aussitôt son téléphone. Il est 20 heures, nous sommes en mai 2020. « Je me suis présentée et je lui ai dit que mon mari et moi étions tombés amoureux de sa maison et que si elle voulait la vendre, nous étions intéressés. Alice m’a répondu d’une manière très gentille. J’ai tout de suite trouvé ça merveilleux. Elle nous propose de nous rencontrer en nous invitant dans son appartement à Brest. Elle a posé une condition : il fallait attendre l’été, plus propice à un rendez-vous agréable. Les pluies sont trop fréquentes au printemps à Brest. » Lorsqu’elle raccroche, Maële a les larmes aux yeux : le rêve va sans doute se réaliser.
Un lieu de naissance mystérieux
La vie continue dans l’appartement familial à Étampes. Jusqu’en juillet où Maële et Renaud se rendent au Cast pour rencontrer Alice. « C’est une dame de 97 ans, vivant seule depuis trente ans, sans assistance, et visiblement incapable physiquement de cuisiner elle-même, de faire le ménage, ou de laver son linge, qui nous a reçus. L’aspirateur n’avait probablement pas été aspiré depuis quinze ans. Sa serrure était cassée et aucun voisin n’avait pensé à l’aider à la réparer. Nous avons beaucoup parlé. Elle nous a parlé de ses parents, nous a raconté qu’elle avait été enseignante alors qu’elle se voyait physicienne. Elle lisait les journaux, nous parlait du Covid. Elle semblait saine d’esprit et nous abordâmes donc le sujet de la maison. Elle nous a confirmé vouloir le vendre à une famille pour qu’il y ait des rires d’enfants entre les murs. Elle nous a expliqué que le bâtiment avait été construit par son père et qu’il s’agissait de la maison de vacances dont elle avait hérité. Nous lui avons demandé si nous pouvions consulter un notaire avec elle le lendemain pour obtenir des conseils et tout faire dans les règles. Elle a accepté.
Nous avions rencontré cette femme exceptionnelle et il n’était plus question pour nous de l’abandonner.
Maële et Renaud Vincensini
Le rendez-vous avec le notaire a été très sympa. Il a confirmé que les lieux lui appartenaient. Alice a cependant précisé qu’elle souhaitait conserver son lieu de naissance et y retourner vivre. Ce n’était visiblement pas la propriété qui nous intéressait et nous ne comprenions pas bien de quoi Alice parlait. Nous avons profité de cet entretien pour informer le notaire qu’Alice avait besoin de soutien et qu’elle avait sans aucun doute droit à une aide. Nous avions rencontré cette femme exceptionnelle et il n’était plus question pour nous de l’abandonner. Il était évident qu’il fallait prendre soin d’elle. De ce fait, nous avons également écrit un courrier au juge des tutelles pour lui faire part de sa situation. » Sur le chemin du retour, Alice est toujours aussi agréable. Elle invite Maële et Renaud à prendre un verre dans un bar puis à trinquer au Martini chez elle. Ça y est, Alice fait partie de leur famille.
Des rebondissements en série
Maële, touchée, investie dans cette relation, appelle régulièrement Alice. Elle veut être sûre que tout va bien pour elle. Au fil des conversations, elle remarque qu’Alice n’est pas saine d’esprit. Elle divague, n’est pas claire, ne la reconnaît pas. Maële est inquiète. D’autant qu’elle n’a pas eu de nouvelles du juge des tutelles. En octobre, un représentant la contacte finalement pour lui dire que depuis fin juillet, Alice est sous sa protection. Il lui explique qu’il vient de la faire hospitaliser pour un contrôle de santé, qu’il a fait nettoyer l’appartement mais que alors qu’elle allait y retourner, elle a demandé à se rendre dans une maison de retraite, ayant apprécié, lors de son séjour en l’hôpital, pour discuter avec une dame de son âge. Cette situation a cependant un impact : la vente n’est plus possible, c’est une mesure de protection pour Alice. Le rêve s’effondre mais c’est comme ça.
Twist quelques semaines plus tard : l’agent rappelle Maële : il est en train de faire expertiser la maison car un mur s’effondre et il faut entreprendre des travaux urgents qu’Alice ne peut pas financer. « Ce type de procédure est très encadré », explique Maële. Un prix est fixé après expertise, le juge doit reconnaître les acheteurs et c’est le plus offrant qui remporte le procès. » Maële et Renaud ont donc déposé une offre en décembre 2020 : elle concerne l’ensemble des biens d’Alice dans le village. Ils ne savent pas si cela sera accepté. Mais tant pis. Sans nouvelles, en février 2021, ils mettent toujours en vente leur maison à Étampes. Ils verront. Elle a été vendue en mars 2021 et ils ont déménagé à Douarnenez en septembre 2021. « Un changement de vie qui a fait qu’on était un peu « nues » », s’amuse Maële qui, étant indépendante, peut travailler à distance. Renaud, à la recherche d’un nouveau poste. Ils attendent, vivant de peu. Silence radio. Jusqu’à une après-midi d’octobre 2021. C’est l’agent : ils sont nommés acheteurs. Maële décide de ne pas aller voir Alice pendant un moment de peur d’être accusée de la manipuler. Cependant, elle est très inquiète pour elle. Finalement, en janvier 2022, le compromis est signé. La relation avec Alice pourra reprendre et sera alors régulière et affectueuse.
La salle secrète
Lorsqu’ils franchissent pour la première fois la porte de la maison de leurs rêves en janvier 2022, Renaud a pour projet de vider les lieux en quatre heures, en commençant par le grenier. Pour lui, il s’agit de tout mettre dans des cartons et de trier plus tard. Il faudra cependant des semaines pour mener à bien cette mission. Puis est venue l’idée de documenter cette phase de leur vie, de prendre des photos, de réaliser des vidéos, dans un esprit avant/après. Maële filme leurs premiers pas dans la maison. Elle poste la vidéo sur TikTok et est surprise de recevoir des réactions : des inconnus lui demandent à qui appartiennent toutes ces choses. Elle raconte ensuite la genèse de son histoire dans une vidéo. Les compteurs explosent. Elle est passée de 30 abonnés – amis – à 60 000 en deux jours. « Les gens devenaient fous ; ils voulaient avoir des nouvelles tous les jours ! »
Quand j’ai ouvert la porte, bizarrement, je suis immédiatement allé au fond et j’ai dit à Renaud qu’il y avait là quelque chose d’étrange.
Maële
La vie de Maële est alors rythmée par les box le jour et les vidéos TikTok le soir. Cependant, les résultats n’ont pas été à la hauteur de ses attentes. Grenier, chambres, cuisine… Avec Renaud, ils ont tout exploré et n’ont par exemple trouvé aucune lettre témoignant de la vie d’Alice et de sa famille. «Je m’attendais à tomber sur des mots d’amour», explique Maële, car Alice m’avait dit qu’elle était fiancée à un homme fusillé par les Allemands. Je cherchais sa trace. Rien sous la cheminée qui ne cache que des milliers de brindilles laissées par les choucas. Dans les tiroirs quelques factures, des amendes, des billets de train pour la Bulgarie et une seule lettre de l’amie d’Alice. Il faut aussi vider la maison de la tante d’Alice qui faisait partie des acquisitions pour y ranger les cartons qui s’entassent. « Nous n’avions vu ce bâtiment que de l’extérieur, à travers une petite fenêtre sale. Il y avait un vieux lit, une commode et des pommes de pin au milieu de la pièce. Mais quand j’ai ouvert la porte, bizarrement, je suis immédiatement allé au fond et j’ai dit à Renaud qu’il y avait là quelque chose d’étrange. Comme une clôture en bois. » Maële a du nez, ou peut-être que cette personnalité sensible a su capter quelque chose : la clôture cache une porte scellée dans la dalle de béton du sol. Impossible de l’ouvrir.
Poussière et trésor
C’est sans compter sur la force de Renaud qui parvient à casser la porte et balaie l’espace avec sa lampe torche. Là, caché derrière cette cloison, il y a un lit, une armoire avec des vêtements pour hommes, une horloge au mur. Bref, une petite pièce condamnée et murée. Le couple est sous le choc. En explorant la pièce, dans la pénombre, Renaud donne un coup de pied dans une valise. Il est visiblement en carton, un modèle comme on pouvait en fabriquer dans les années 1930 ou 1940 ; et c’est lourd. Renaud le rend. Une odeur pestilentielle s’en échappe. La valise est rongée par les champignons. Il tombe en poussière avec son contenu. Un portefeuille fêlé a pourtant résisté à l’épreuve du temps : il appartenait sans doute à un homme, propriétaire de cette valise dont il ne reste presque plus rien. Un petit journal mentionne la gare d’Auray à une heure et demie de Cast. La curiosité du couple est à son comble.
Parmi les trésors de la valise, on trouve également un ensemble de cartes postales. Et, par miracle, l’un d’eux est signé par Alice.
Maële et Renaud recommencent à fouiller la pièce. Et là, sur le lit, cachée dans l’obscurité, il découvre une seconde valise qui semble intacte. A l’intérieur, des actes notariés avec toutes sortes de noms. L’excitation est à son comble. Qui sont ces gens ? Maëlle a immédiatement réalisé une vidéo pour TikTok lançant un appel à témoignages. Puis, en se lançant dans les travaux de rénovation, le couple a entamé une véritable enquête, notant les noms de famille, les croisant, créant un arbre généalogique sous forme de post-it. Parmi les trésors de la valise, on trouve également un ensemble de cartes postales. Et, miraculeusement, l’un d’eux est signé par Alice, adressé à sa tante et son oncle par alliance, M. Page.
Elle y raconte qu’elle a quitté Brest pour Quimperlé et qu’elle prépare l’école normale. M. Page, enfin un nom ! Alors que Maëlle se réjouit de cette découverte, une abonnée de TikTok lui envoie des liens sur la vie militaire et professionnelle de M. Page. Maëlle réalise alors qu’elle réveille l’histoire d’une famille complètement oubliée.
À suivre…
Location de la loge du musée : greengo.voyage
« L’Histoire extraordinaire de la Villa Alice » de Maële Vincensini, éditions Locus Solus, 35 €.
@villaalice.29