« J’ai lu qu’on pouvait se servir chez Darty avant que ça brûle »
Les premières comparutions immédiates dressent le profil des personnes interpellées ces dix derniers jours. Franceinfo était dans la salle d’audience mardi.
« Tu veux dire quelque chose? » Silence. « Tu veux parler de barrages ? » Silence. Dans la loge, Jean-Paul N. et Zidane W. ont le même t-shirt beige et la même attitude hagarde. Ce n’est pourtant pas un hasard si les deux amis, âgés de 26 et 30 ans, se sont retrouvés, mardi 21 mai, à la barreau du tribunal correctionnel de Nouméa. Alors que des émeutes secouent la Nouvelle-Calédonie depuis une dizaine de jours, ils sont poursuivis notamment pour des violences sur deux policiers municipaux.
« Vous avez évidemment le droit de garder le silence » leur rappelle le président, Sylvie Morin. Tête baissée, et voilà la magistrate prête à retracer, avec ses mots, le déroulement de la fameuse nuit du 18 mai : un Ford Transit blanc volé chez un boulanger de Nouméa, une balade à 90 km/h dans les rues de la Calédonie capitale et une fin de voyage dans les herses installées à la hâte par la police pour les intercepter.
Jean-Paul N., au volant, aurait provoqué une embardée en direction d’un policier municipal. Zidane W., côté passager, est accusé d’avoir lancé une bouteille en verre sur un autre responsable. « Il pensait qu’il allait mourir ce soir-là ! La bouteille lui a été fracassée sur la cuisse, aujourd’hui il est arrêté, s’insurge leur avocat Philippe Reuter. Nous avons des gens dangereux devant nous. Mes clients sont des policiers municipaux, pas des punching-balls ! A la demande des prévenus, l’audience a été reportée au 11 juin, le temps de préparer leur défense. En attendant, ils dormiront en prison.
Dans une circulaire de quatre pages consultée par franceinfo, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, appelle à « une réponse pénale empreinte de la plus grande fermeté contre les auteurs des exactions perpétrées » A 17 000 kilomètres de la place Vendôme, siège du ministère de la Justice. Mardi, le parquet de Nouméa a dévoilé ses derniers chiffres : déjà 216 gardes à vue, dont 144 pour atteintes aux biens, 25 pour violences sur personne dépositaire de l’autorité publique, et 46 pour atteintes aux personnes.
Derrière les premières apparitions immédiates, se dessine le profil de certains émeutiers. Jean-Paul N. et Zidane W. ont déjà tous deux déjà un lourd casier judiciaire. Le premier compte huit condamnations, entre 2013 et 2021, pour des faits de vol et usage de stupéfiants. Il cultive et consomme du cannabis depuis quinze ans. Cinq à six joints par jour en moyenne. Il avoue d’ailleurs l’avoir fumé « plusieurs sur la plage » le soir des événements.
Zidane W. mélange également de l’alcool à sa consommation de cannabis, « quand il y a des anniversaires, des mariages ». Il habite avec ses parents, vivre des extras en tant que cuisinier dans les restaurants. Il gagne environ 100 000 francs Pacifique par mois (840 euros), « Eh bien… de temps en temps. » Jean-Paul N., célibataire, sans enfants, vit en tribu Kanak, dans la commune de Houaïlou. Il chasse, pêche, travaille aux champs, signe parfois des petits contrats de maçonnerie. Derrière eux, deux policiers assurent la sécurité du public. Vu le contexte, ils sont cagoulés.
Voilà comment il en est : avec l’état d’urgence et les blocus qui persistent dans l’archipel, la justice doit aussi s’adapter. Pour soulager les magistrats, les affaires courantes sont automatiquement reportées à plus tard. « La gendarmerie nous a indiqué qu’il n’était pas possible de récupérer collectivement huit prévenus dans le contexte actuel », intervient le représentant du procureur de la République, Nicolas Kerfridin, évoquant une affaire vieille de plusieurs années, qui aurait normalement dû être jugée ce jour-là. Les audiences se déroulent sans auditeurs citoyens. Il manque également des commis. « Comme beaucoup d’habitants, ils sont coincés chez eux. »
C’est d’ailleurs à bord d’un hélicoptère, un Puma de l’Air Force, que quatre prévenus sont arrivés un peu plus tôt dans la matinée au tribunal de Nouméa. Aux commandes, des hommes âgés de 22 à 25 ans, dont deux pères de famille. Ils sont poursuivis pour cambriolage, vol avec recel et vol en réunion. Le couvre-feu a commencé il y a moins d’une heure, le 18 mai, lorsque la bande a été contrôlée en voiture par les gendarmes à Bourail, à 160 kilomètres au nord de Nouméa.
Le conducteur n’a pas de permis. Mais surtout, à l’arrière du pick-up, sous une bâche, les gendarmes ont découvert des téléviseurs, des plaques à gaz, un micro-onde, une débroussailleuse, une tronçonneuse, des outils en tout genre, des packs de bière et de l’argent liquide. Sur l’un d’eux, les gendarmes ont retrouvé 103.500 francs Pacifique (880 euros). Dans les poches d’un autre, quatre fois plus, 400 000 francs Pacifique (3 340 euros).
Mathurin S. affirme avoir lu sur les réseaux sociaux qu’il pourrait « Servez-vous chez Darty, avant que l’entrepôt ne brûle ». « J’ai vu des vidéos où des enfants et des vieilles mamies se servaient, alors j’y suis allée. Mais nous n’avons pas relevé les stores, c’était déjà dehors, sur la route.
« Nous n’avons pas volé, nous avons profité de l’opportunité. »
Mathurin S., prévenuà la barre du tribunal correctionnel de Nouméa
Mathurin S., Steeven T., Mathieu M. et leur quatrième acolyte sont également connus des services de police. S’agit-il cependant des chiffres du « Première ligne », violent et agile, qui a plongé le « Caillou » dans le chaos ? Leur avocat, Stéphane Bonomo, décrit « lampes lampes », qui reconnaissent les faits. Autrement dit, des opportunistes qui assurent au président du tribunal qu’ils ont simplement tendu la main pour récupérer ces cartons.
« Nous n’avions pas l’intention de faire une émeute, c’était pour les tribus, nous voulions faire plaisir.
– Mais nous ne sommes pas dans un magasin libre-service !
– Nous vivons dans des familles pas très aisées.
– Désolé, mais tu n’as pas pris de produits de première nécessité ? Nous pouvons vivre sans grille-pain, nous pouvons vivre sans télévision, n’est-ce pas ?
Durant les trois heures de débat, jamais aucunLes prévenus n’abordent pas le dégel de l’électorat, la réforme constitutionnelle qui vise à ouvrir les élections provinciales ou le référendum aux résidents résidant en Nouvelle-Calédonie depuis au moins dix ans, point de départ de manifestations et de violences. Si les dirigeants du mouvement insurrectionnel n’ont pas été arrêtés, « Les quatre personnes devant vous ne sont pas des séparatistes radicaux. Nous ne leur reprochons pas d’avoir affronté la police », admet le procureur. Mais il y a ceux qui profitent des guerres, et il y a ceux qui profitent des troubles insurrectionnels, et c’est ce qu’ils ont fait ! Jusqu’à 18 mois de prison sont requis à leur encontre.
Le tribunal les a finalement condamnés à des peines allant de quatre à huit mois de prison. « Je suis désolé », Mathurin S. balbutie dans le micro, avant de quitter la salle d’audience. « Nous n’étions pas sur les barrages routiers, c’était juste pour avoir un micro-ondes. »