Divertissement

« J’ai été obligé d’adoucir la réalité pour rendre « Rabia » supportable », explique le réalisateur

Mareike Engelhardt plonge au cœur d’une maison très particulière à Rabia découvert à Angoulême puis à Deauville où il remporte le prix Ornano-Valenti. Elle envoie en Syrie une jeune Française de 19 ans, brillamment interprétée par Megan Northam, car cette dernière s’est portée volontaire pour servir Daesh et est devenue la femme d’un combattant. La « maison » ou « madafas » dans laquelle elle débarque est dirigée par l’implacable Madame (glaçante Lubna Azabal) qui prend en charge les nouvelles recrues.

Pour l’héroïne et l’ami parti avec elle, une descente aux enfers commence entre enrégimentation et désillusion. Le réalisateur allemand s’est entretenu avec 20 minutes de son approche de sujets aussi fascinants que sensibles.

Pourquoi avez-vous mis les femmes au centre de votre film ?

On parle peu de la violence féminine et pourtant, dans tous les systèmes totalitaires, on retrouve des femmes extrêmement puissantes. Comme les Khmers rouges, par exemple. C’étaient des communistes qui ont étudié à la Sorbonne en France puis sont retournés dans leur pays et ont tué un tiers de leur population. Le personnage de Madame en est représentatif. Elle n’est pas idiote. C’est une personne instruite et avide qui sait ce qu’il fait et aime le pouvoir.

A quelle période se déroule l’action ?

Entre 2014 et 2017. Entre la proclamation du califat, le moment où l’État islamique était au sommet, et le moment où le régime perd son hégémonie. J’ai commencé mon histoire au sommet de sa puissance et je l’ai terminée lorsque sa chute est survenue. Il suit la trajectoire de l’héroïne du ciel à l’enfer, commençant dans les nuages ​​et se terminant dans la terre brûlée.

Le film est-il réaliste ?

J’ai été obligé d’adoucir la réalité pour faire en sorte que Rabia supportable pour les spectateurs même si je me suis basé sur des faits avérés. Le personnage de Madame est inspiré de la marocaine Fatiha Mejjati (également connue sous le nom d’Oum Adam). Elle a dirigé un « madafas » en 2015 et Lubna Azabal a travaillé sur son rôle en apprenant à la connaître. Une rescapée de ses maisons était présente sur le plateau pour nous conseiller sur la manière de recréer l’ambiance entre colonie de vacances et auberge de « madafas » espagnoles. Tout comme les autres personnes que j’ai pu rencontrer, elle m’a confirmé que le pire que j’imaginais était bien en deçà de ce que vivaient ces filles.

Qui étaient ces jeunes filles parties en Syrie ?

Nous avions vraiment besoin de voir des jeunes filles venant de tous horizons différents. Ils sont si malheureux à la maison, pour diverses raisons, qu’ils se persuadent qu’ils trouveront une issue à leurs soucis. Je pense que cela en dit autant sur eux que sur les sociétés qu’ils fuient. Il faut se poser des questions lorsque des jeunes préfèrent partir dans un pays en guerre animé par une idéologie nébuleuse plutôt que de rester vivre parmi nous. Ce phénomène n’est pas aussi récent qu’on pourrait le penser : mes grands-parents n’avaient que 17 ans lorsqu’ils rejoignirent les Jeunesses hitlériennes…

Comment expliquez-vous cela ?

Les jeunes ont toujours eu besoin d’être rassurés et cela ne s’améliore pas. Je crois que nous sommes de plus en plus divisés et que les différentes communautés communiquent de moins en moins entre elles. Ce manque d’empathie, voire d’amour, laisse des traces et c’est dans l’espoir d’appartenir à une communauté que les jeunes s’engagent sans toujours comprendre ce que cela implique. Le clivage entre très pauvres et très riches nourrit aussi cette révolte alimentée par un besoin d’absolu.

Un engagement politique ne le permettrait-il pas ?

Beaucoup de jeunes n’y croient plus. Ils se sentent impuissants face à un désastre écologique majeur. Ça doit être dur d’être un adolescent aujourd’hui, de regarder le monde s’effondrer et de se dire qu’on ne peut rien y faire. Quand j’étais enfant, les adolescents devenaient des punks pour réagir contre le désespoir. Aujourd’hui, certains jeunes anxieux choisissent le jihad, qui semble leur apporter une certitude dans un monde instable.

Pourquoi avez-vous choisi que votre héroïne soit lesbienne ?

J’ai trouvé cela intéressant pour plusieurs raisons. Déjà parce que je pense que, dans ces maisons, il y en avait forcément. Mais aussi parce qu’après avoir découvert un livre de Leïla Slimani sur la jeunesse marocaine dans lequel elle interviewe une femme, elle a répondu à une question que je me posais sur les sociétés du Maghreb. Comment les jeunes découvrent-ils la sexualité ? Comment font-ils l’amour avant le mariage ? Dans ce livre, on apprend que beaucoup de filles dorment ensemble en amies et que ça se passe vraiment bien. Ce n’est qu’après le mariage que les choses tournent souvent mal. Une autre raison est que, quand j’étais plus jeune, je tombais parfois amoureux d’amis sans comprendre ce sentiment car nous étions formatés dans un modèle hétéro. J’admire cette nouvelle génération qui tente de briser cette carapace sociétale qui a si longtemps restreint notre sexualité.

Est-ce pour cela que vous insistez sur sa relation avec sa petite amie ?

La relation entre l’héroïne et sa petite amie et le fait qu’elles vont se séparer ont été cruciales pour l’évolution du personnage. Leur relation est la plus belle chose de sa vie. La perte de son amour est une étape décisive dans sa radicalisation car elle crée un vide affectif qui va la favoriser. Elle a dû perdre quelque chose de fondamental. C’est ainsi que fonctionnent les sectes. Ils vous éloignent de vos proches en coupant tous vos liens sociétaux pour pouvoir prendre entièrement soin de vous.

Mareike Engelhardt à Paris pour présenter « Rabia »-Caroline Vié

Comment ont réagi les premiers spectateurs ?

Je suis très touché par les réactions des musulmans. J’avais peur qu’ils m’accusent de mal les représenter. J’avais particulièrement peur d’être accusé de les montrer de manière négative. Heureusement, ils ne se reconnaissent pas dans le film. C’est important pour moi. Ce n’est pas des musulmans dont je parle Rabia mais de personnes recrutées dans une secte. Je n’ai volontairement pas centré mon film sur l’Islam, choisissant de raconter les choses de manière universelle. La religion est un prétexte, pas le sujet du film.

Vous ciblez un public particulier ?

C’est un film que j’ai aussi fait pour les jeunes, pour les avertir et leur donner matière à réflexion. Lors des avant-premières, de nombreux parents étaient également concernés, je suis heureuse de voir que chacun se pose toujours des questions passionnantes autour d’un sujet qui les touche vraiment. C’est ce que j’espérais provoquer avec Rabia. Une réflexion et des échanges entre générations.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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