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« J’ai décidé d’exclure Ibrahim Maalouf du jury » (Aude Hesbert, directrice du Festival du Cinéma Américain de Deauville)

Le 1er septembre, Aude Hesbert prendra officiellement la tête du Festival du cinéma américain de Deauville, qui fête cette année ses 50 ans. Elle succède dans l’urgence à Bruno Barde, directeur de l’événement depuis 1995, visé en juin dernier par des accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles dans une enquête publiée par Mediapart. Mais à deux semaines du début du festival, le 6 septembre, une autre polémique éclate : la présence du trompettiste Ibrahim Maalouf au sein du jury. Condamné à quatre mois de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende en 2018 à la suite d’une plainte pour agression sexuelle en 2013 contre une mineure de 14 ans, l’artiste a été acquitté par la cour d’appel de Paris en 2020. Aude Hesbert explique pourquoi elle a décidé de l’exclure malgré tout du jury.

METOO AVANT METOO (1/3) – L’ange et le gros cochon

LA TRIBUNE DIMANCHE – Le festival de Deauville fête ses 50 ans cette année, comment allez-vous fêter cet anniversaire ?

AUDE HESBERT – Cela promet d’être flamboyant, avec une rétrospective de 50 ans de films américains qui ont changé notre regard sur le monde et des invités prestigieux du cinéma indépendant, classique et hollywoodien : Frederick Wiseman, James Gray, Francis Ford Coppola, Sean Baker (Palme d’or à Cannes cette année) et Michael Douglas. Par ailleurs, le cinéma américain traverse toujours une crise économique, industrielle et sociale majeure, et c’est aussi notre rôle d’accompagner ces mutations : après le Covid et un an de grèves des scénaristes et acteurs hollywoodiens, les Américains reviennent en force à Deauville. Nous souhaitons les accueillir dans les meilleures conditions possibles.

Justement, depuis le mouvement MeToo, la présence dans les festivals de personnalités accusées d’abus sexistes et sexuels est vivement critiquée. En juin dans Mediapart, des femmes ont accusé Bruno Barde, le directeur du festival de Deauville, qui a depuis été licencié. Comment avez-vous pris cette décision ?

Dans l’urgence : il fallait sauver le festival qui était en construction. L’idée n’était pas de faire une révolution ni de déconstruire toute la cinéphilie que Bruno Barde a apportée aux festivals Public Système Cinéma (Gérardmer, Reims, Marrakech, etc.). Mais l’équipe a été blessée par cet épisode ; je vais donc prolonger son travail sur la cinéphilie en y apportant mon ADN ainsi qu’une nouvelle forme de gouvernance. Au début du festival, nous publierons une charte contre les violences sexistes et sexuelles pour éviter tous les abus de pouvoir, même au-delà de MeToo. Nous serons extrêmement vigilants sur ces sujets à l’avenir.

Ibrahim Maalouf le 26 janvier. (Crédits : © LTD / CYRIL MOREAU/GUILLAUME GAFFIOT/BESTIMAGE)

N’avais-tu pas peur de pratiquer le culture de l’annulation en licenciant quelqu’un alors qu’aucune plainte n’a été déposée contre lui ?

Le groupe Hopscotch (qui gère le festival), très vigilant, n’a pas immédiatement écarté Bruno Barde : il y a toujours un doute quand les affaires n’ont pas été portées devant la justice. Les témoignages sont anonymes, il n’y a pas eu de plainte officielle ni de magistrat impliqué. La présomption d’innocence existe, nous ne voulons pas créer un « tribunal populaire » : nous avons lancé une enquête interne par un organisme indépendant et il n’y a eu aucun signalement aux RH contre lui. Nous avons cependant retiré Bruno Barde de toutes activités pour ne pas gêner les salariés du groupe qui le prenaient mal. Cette réserve devrait se transformer en retraite.

Cette réaction est-elle liée au fait que vous travaillez avec les États-Unis, un pays où ce sujet est très sensible ?

Le festival accueillera des personnalités comme Michelle Williams et Natalie Portman, des actrices majeures qui sont en première ligne dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, il est donc important d’être exemplaire en la matière. Hollywood a été à l’avant-garde de la réflexion sur ces violences et sur l’inclusion. Mais en France, on l’a quelque peu dédaignée, alors que le cinéma français est lui aussi secoué par une réelle prise de conscience des atteintes, des abus de pouvoir et de l’emprise qui s’exercent sur les racines mêmes du cinéma. Il faut se protéger au mieux de ces dérives, que ce soit sur le plateau ou dans l’organisation du festival.

Une autre polémique vient d’émerger : la présence au jury d’Ibrahim Maalouf, trompettiste de renom condamné puis acquitté suite à une plainte pour agression sexuelle sur mineur. Dans une tribune publiée jeudi dans L’Humanité, l’Association des acteurs (ADA) s’insurge contre sa présence… Que se passe-t-il ?

Lorsque j’ai accepté de reprendre la direction du festival suite au départ de Bruno Barde, cette édition du festival avait déjà commencé et quelques films avaient été sélectionnés. Ibrahim Maalouf était le seul membre du jury choisi par Bruno Barde. Ayant appris la décision de la cour d’appel qui l’avait innocenté de l’agression sexuelle sur cette jeune fille de 14 ans, il ne m’appartenait pas de remettre en cause une décision de justice. Pourtant, lorsque la composition du jury a été annoncée le 8 août, les réactions ont été nombreuses sur les réseaux sociaux et dans les médias, un malaise s’est installé au sein de l’équipe, déjà meurtrie par la précédente affaire. Compte tenu de mes engagements, je ne pouvais ignorer ce contexte, avec l’arrivée d’Américains très vigilants sur ces sujets. Ce n’est pas à moi de juger, de punir ou de condamner, mais la présence d’Ibrahim Maalouf devenait de plus en plus problématique pour le bon déroulement, serein, d’un festival qui fête ses 50 ans.et anniversaire, qui est aussi ma première édition et que je souhaite porter avec clarté et transparence. Je ne me suis pas senti à l’aise avec cette invitation, j’ai donc pris la décision difficile, que j’assumerai jusqu’au bout, d’exclure Ibrahim Maalouf du jury.

En avez-vous discuté avec lui, est-il au courant de votre décision et comment a-t-il réagi ?

Nous lui avons proposé à plusieurs reprises, d’abord oralement, puis dans une lettre écrite, de se retirer. Lettre à laquelle il n’a pas répondu. Nous n’allons pas le remplacer car le jury est déjà constitué. Ce qui est important pour moi, c’est qu’on parle des films, qu’on mette en avant les talents invités, et que le cinéma soit à l’honneur.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.

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