Jacques Audiard raconte « Emilia Perez », la sensation du week-end
LL’homme au chapeau débarque avec une quinzaine de minutes de retard sur la terrasse d’un hôtel cannois où il a rendez-vous avec des journalistes. Il est sollicité de toutes parts, nous dit son entourage : Jacques Audiard est sans conteste la personnalité de ce dimanche 19 mai sur la Croisette. Son nouveau film, l’éblouissant « Emilia Perez », a ravi les festivaliers lors de sa projection samedi soir (1).
Un projet extraordinaire. L’histoire épique d’un trafiquant de drogue qui a rêvé de…
LL’homme au chapeau débarque avec une quinzaine de minutes de retard sur la terrasse d’un hôtel cannois où il a rendez-vous avec des journalistes. Il est sollicité de toutes parts, nous dit son entourage : Jacques Audiard est sans conteste la personnalité de ce dimanche 19 mai sur la Croisette. Son nouveau film, l’éblouissant « Emilia Perez », a ravi les festivaliers lors de sa projection samedi soir (1).
Un projet extraordinaire. L’histoire épique d’une trafiquante de drogue qui rêve depuis son enfance de devenir une femme et décide de poursuivre cette aspiration jusqu’au bout. Comme son personnage principal, le long-métrage évite toute assignation de genre. C’est à la fois une comédie musicale (les chansons sont de Camille), un thriller et un mélodrame. Ajoutons qu’il s’agit d’une production française – mais les dialogues sont en espagnol – et que l’action se déroule à Mexique, Bangkok, Tel Aviv…
C’est le premier gros engouement pour cette édition 2024, qui positionne Jacques Audiard dans les rumeurs cannoises comme le favori, à ce stade, pour la Palme d’or (il l’avait déjà reçue en 2015 pour « Dheepan »). « Le match est terminé » titrait même nos confrères du « Parisien ». Mais il reste encore six jours de compétition.
Comment avez-vous imaginé ce film assez fou ?
L’idée m’est venue lors du premier confinement. Le point de départ est la lecture d’un roman de Boris Razon, « Écoutez ». Dans un chapitre apparaît un trafiquant de drogue qui souhaite devenir une femme, mais il disparaît plus tard dans le texte. J’ai eu envie d’explorer cette idée et de prolonger ce morceau, d’abord sous la forme d’un opéra. J’ai commencé à travailler avec le compositeur Clément Ducol. Et c’est lui qui m’a progressivement incité à m’orienter vers le cinéma et les comédies musicales.
Un registre qui a la réputation d’être, pour les réalisateurs, très compliqué…
C’est surtout le montage qui est long. Là, dans ce cas-ci, cela a duré un an. Il a fallu beaucoup de post-production, réenregistrer les chansons, ajuster les playbacks. Beaucoup de chansons ont été jetées et d’autres ont dû être écrites.
Le film aborde avec justesse un sujet, la transidentité, souvent controversé ou propice aux simplifications. Lors de la rédaction, avez-vous consulté des chercheurs et des associations ?
Non. Je trouve ces trajectoires fascinantes, et j’ai eu une consultante inarrêtable en la personne de Karla Sofía Gascón (l’actrice trans qui joue Emilia Perez, NDLR). Elle a vécu cette transition, nous avons beaucoup échangé.
« Un prix d’interprétation pour Karla Sofía Gascón serait très fort »
L’une des surprises d’« Emilia Perez » est la participation de Selena Gomez, star adolescente de la galaxie Disney. Elle semble loin de votre monde, que pensez-vous d’elle ?
Je l’avais vue dans le film « Spring Breakers » et dans « A Rainy Day in New York » de Woody Allen. Un agent américain m’a mis en contact avec elle, je l’ai rencontrée un matin, assez tôt, à New York, et très vite je l’ai trouvée tout simplement irrésistible. Je lui ai dit que nous travaillerions ensemble, elle ne m’a pas cru. Le tournage ayant été décalé d’un an en attendant que Zoé Saldana soit disponible, nous avons perdu le contact. Quand je l’ai rappelée, elle a pensé que je l’avais complètement oubliée.
Que pensez-vous de l’accueil très élogieux réservé à votre film dans la presse ce dimanche ?
Je n’ai pas encore eu le temps de lire les articles. Tout va si vite à Cannes ! Et, vous savez, je suis psychologiquement fragile (rires), donc d’habitude je lis peu la presse, je me fie aux résumés que fait l’attachée de presse. Mais tant mieux, évidemment ! Quand je sors un film, j’ai besoin d’être rassuré.
Si vous deviez choisir, préféreriez-vous, dans le palmarès, une deuxième Palme d’Or ou un prix d’interprétation pour Karla Sofía Gascón ?
J’ai la chance d’avoir gagné une Palme, c’est déjà bien. Un prix pour Karla serait très fort…
(1) Paru le 28 août.
Une actrice transgenre dans les charts ?
Le jury du Festival de Cannes décernera-t-il le prix de la meilleure actrice à une actrice transgenre pour la première fois de son histoire ? Réponse samedi soir, lors de la présentation du palmarès. L’émouvante star d’« Emilia Perez », l’actrice espagnole Karla Sofía Gascón, 52 ans, fait partie des nominées pour le prix. Elle a changé de genre à 46 ans. « Sur les réseaux, on tape le mot ‘trans’ et tout ce qui ressort, c’est du porno ou des insultes », a-t-elle déploré ce dimanche à Cannes. Nous sommes des gens normaux. Une personne trans est une personne qui traverse une transition. Une fois qu’elle l’a traversé, elle n’est plus en transition. Elle est ce qu’elle est. »