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Ivanka Trump veut transformer cette île albanaise en un paradis pour millionnaires

Benito Mussolini l’a voulu et y a fait construire une maison, Enver Hoxha en a fait une base militaire coupée du monde. Aujourd’hui, Ivanka Trump veut transformer l’île albanaise de Sazan en bunker pour millionnaires, villas de luxe et vues à couper le souffle. C’est un morceau d’histoire que la fille de Donald Trump s’apprête à transformer – avec la bénédiction du gouvernement albanais, qui a fait du tourisme la pierre angulaire du développement du pays. S’il voit le jour, le projet sera constitué de quelques dizaines de villas fondues dans les rochers de Sazan. Plusieurs permis sont encore nécessaires, mais sur la côte, on parle d’un deal déjà signé.

« Nous avons hâte que cela commence car cela déclenche des réactions en chaîne pour l’économie de la ville. »« C’est un endroit très calme, mais très agréable », explique le maire de Vlora, Ermal Dredha, le long d’une promenade où poussent les hôtels depuis que l’Albanie est devenue la nouvelle destination touristique à la mode de ce côté-ci de la Méditerranée – un million de touristes ont débarqué à Tirana en juillet dernier. A Sazan, pas de boutiques de plage ni de restaurants aux menus multilingues. Pour l’instant, il n’y a… rien. Des figuiers sauvages, des mûriers à perte de vue, des pins d’un vert éclatant et une eau turquoise. Au milieu de ce jardin d’Eden sans eau ni électricité, des milliers de bunkers, des vestiges d’immeubles mangés par les plantes et le chant assourdissant des cigales.

L’île comptait près de 3 000 bunkers. Crédit photo : ADNAN BECI/AFP
Vue de bâtiments abandonnés sur les hauteurs de l’île. Crédit photo : ADNAN BECI/AFP

Des milliers de soldats

Ces ruines sont tout ce qui reste des maisons des milliers de soldats qui étaient stationnés ici pendant la dictature socialiste d’Enver Hoxha, l’une des plus dures, fermées et paranoïaques du monde. Sur ces 5,7 kilomètres carrés, ils étaient plus de 2 000, avec femmes et enfants, un cinéma, une école, un hôpital, et de quoi les couper du monde pendant six mois, alors que le reste de l’Albanie manquait de tout.

Ylli Mecaj, 78 ans, était l’un des soldats de Sazan. Il a passé 18 ans sur l’île, ses enfants y sont nés, sa femme y a enseigné. Il est parti quelques mois avant la chute d’un régime dont il est l’un des derniers nostalgiques. L’immense majorité de la population albanaise garde surtout des souvenirs de privations, d’émigration illégale au péril de sa vie et de surveillance. « L’île était parsemée de 2 840 bunkers équipés de mitrailleuses lourdes et d’autres armes automatiques. Il y avait également des kilomètres de tunnels et d’installations souterraines, des abris antiatomiques et des entrepôts de munitions et de vivres. »se souvient cet officier de marine.

Vue des ruines d’un bâtiment de commandement militaire. Crédit photo : ADNAN BECI/AFP
Les vestiges d’une école abandonnée. Crédit photo : ADNAN BECI/AFP

« Après la chute du régime, au début des années 90, je suis retourné à Sazan. J’ai eu le cœur brisé, j’ai commencé à pleurer en le voyant si détruit, abandonné, humilié. » se souvient l’ancien marin, coiffé d’une casquette d’époque, avant de gravir les marches menant à son ancien appartement dont le balcon donne sur le bleu à perte de vue. « Sazan n’est plus Sazan », a-t-il déclaré. « Il n’y a plus d’armes, plus de canons, plus de mitrailleuses antiaériennes, plus de navires, les bunkers sont en ruine. C’est ouvert à quiconque veut l’occuper ».

Un seul habitant

Après la chute du régime, l’île a échappé à la destruction, mais lors de l’effondrement de l’économie albanaise en 1997 – lorsque l’énorme système de Ponzi sur lequel elle reposait s’est effondré – toutes les réserves et les dépôts militaires ont été pillés. Elle n’a été rouverte au public qu’en 2015. Stratégiquement située à l’entrée du canal d’Otrante qui relie la mer Adriatique à la mer Ionienne, l’île a servi d’avant-poste à tous ceux qui l’ont conquise : Byzantins, Vénitiens, Allemands, Italiens…

Toujours considérée administrativement comme une zone militaire, elle est visitée chaque jour en haute saison par des touristes qui viennent en bateau explorer les sentiers sinueux et admirer l’unique habitant de l’île : un petit âne gris. Aucun détail n’a été dévoilé sur la construction de l’hôtel de luxe de la famille Trump – seulement quelques plans postés sur Instagram et des allusions lors d’une interview en juillet. Dans celle-ci, la femme d’affaires explique que l’isolement de l’île en fait un joyau – et un casse-tête logistique.

« Le simple fait d’amener les matériaux sur l’île n’est pas une mince affaire, mais nous y parviendrons. »promet la fille de l’ancien président américain et nouveau candidat, le tout avec « les meilleurs architectes »Si les plans d’Ivanka Trump et de son mari se concrétisent, nul ne sait si les touristes seront toujours autorisés à y faire escale. Ni si les bunkers prendront un autre visage, celui de villas de luxe à l’abri des curieux.

L’isolement de l’île pourrait devenir un atout pour une clientèle aisée. Crédit photo : ADNAN BECI/AFP

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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