Israël accusé d’espionnage et d’intimidation de la CPI depuis des années
En demandant, le 20 mai, des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense Yoav Gallant (ainsi que trois dirigeants du Hamas), le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) Karim Khan avait assorti son message d’un intrigant avertissement : « J’insiste pour que toutes les tentatives visant à entraver, intimider ou influencer indûment les responsables de ce tribunal cessent immédiatement. »
Dix jours plus tard, une enquête conjointe du site d’investigation israélien +972 et du quotidien britannique Le gardien affirme que la Haute Cour de La Haye est la cible d’une « guerre secrète » menée depuis près de dix ans par Israël. Son objectif présumé ? Empêcher toute enquête et poursuite contre ses dirigeants pour d’éventuels crimes commis dans la bande de Gaza. Le bureau du Premier ministre a répondu au journal britannique que ces « allégations » étaient « faux et infondé ».
Mais à travers des entretiens menés avec une vingtaine de sources – au sein des services de renseignement israéliens, des autorités gouvernementales passées et actuelles, à la CPI – l’enquête décrit l’existence d’un « opération interinstitutionnelle », menée par le Mossad, le Shin Bet, l’armée, des avocats civils et militaires et des diplomates israéliens. Le tout coordonné par le Conseil national de sécurité, sous la houlette du Premier ministre, qualifié de « obsédé, obsédé, obsédé » en découvrant les éléments portés à la connaissance de la CPI.
« Comme si une guerre devait être menée »
Le point de départ de cette prétendue entreprise de surveillance et d’intimidation remonte à 2015, sous le mandat de Fatou Bensouda (2012-2021), le prédécesseur de Karim Khan. En janvier de la même année, la magistrate gambienne a ouvert une enquête préliminaire pour déterminer si elle disposait de suffisamment de preuves pour en ouvrir une sur des crimes de guerre présumés commis dans la bande de Gaza à l’été 2014. En avril 2015, la Palestine devient également, contrairement à Israël, un État. partie à la CPI, créée en 2002 pour juger les crimes les plus terribles commis sur la planète.
Depuis lors, « Tout le monde considérait la CPI comme quelque chose de très important, comme s’il fallait mener une guerre », explique une source du renseignement. La procureure, devenue la bête noire d’Israël, a annoncé en décembre 2019 vouloir ouvrir une enquête approfondie sur d’éventuels « crimes de guerre » – sans toutefois en nommer leurs auteurs – dans les territoires occupés par Israël. Qu’il lance effectivement en mars 2021.
Or, durant toutes ces années, Fatou Bensouda aurait été directement visée par cette opération secrète, menée notamment par le directeur du Mossad de l’époque (2016-2021), Yossi Cohen, dont le Gardien décrit comme le « messager non officiel » par Benjamin Netanyahou. « L’objectif du Mossad était de compromettre le procureur ou de l’enrôler comme quelqu’un qui coopérerait avec les demandes d’Israël », lit-on dans l’enquête, qui évoque des pressions directes exercées par Yossi Cohen. « Vous devriez nous aider et nous laisser prendre soin de vous. » Vous ne voulez pas vous engager dans des activités qui pourraient compromettre votre sécurité ou celle de votre famille. lui aurait-il dit lors d’une de leurs rencontres. Outre ces prétendues intimidations, l’enquête journalistique affirme que, « Entre 2019 et 2020, le Mossad recherchait activement des informations compromettantes sur la procureure et s’intéressait aux membres de sa famille ».
« Tentatives d’influence indue » sur le parquet
Selon les deux médias, cette surveillance visait également des ONG palestiniennes susceptibles d’apporter des éléments au dossier. « Là, le Shin Bet a pris le contrôle », affirme +972, qui dénonce une entreprise parallèle de délégitimation de ces organisations. En octobre 2021, six ONG de défense des droits humains en contact avec la CPI – dont Al-Haq et Addameer – avaient été déclarées « les terroristes » par le ministre de la Défense de l’époque, Benny Gantz.
La séquence ouverte par l’attentat meurtrier du 7 octobre n’a pas stoppé le recours à ces méthodes. Et pour cause, le cabinet de Karim Khan a annoncé en décembre 2023 que l’enquête ouverte en 2021 par Fatou Bensouda se prolongeait. « à l’escalade des hostilités et des violences depuis les attentats du 7 octobre ». Son bureau a également souffert « diverses formes de menaces et de communications pouvant être considérées comme des tentatives d’influencer indûment ses activités », affirme Le gardien. En vain : le 20 mai, Karim Khan a annoncé, outre la demande de mandats d’arrêt, qu’il se réservait le droit d’étendre sa demande à d’autres personnalités, du côté du Hamas, ainsi qu’à Israël.