« Israël a involontairement scellé la gloire du martyre de Yahya Sinwar »
FIGAROVOX/TRIBUNE – En affichant la mort de Yahya Sinwar sur les réseaux sociaux, Israël a commis une erreur stratégique qui n’a fait que mythifier l’ancien leader du Hamas, estiment le spécialiste du Moyen-Orient Anthony Trad et docteur en sciences politiques, Sébastien Boussois.
Anthony Trad est un spécialiste du Moyen-Orient. Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, chercheur en monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense), à l’Institut d’études géopolitiques appliquées (IEGA Paris), et à l’Observatoire géostratégique de Genève (Suisse).
La récente diffusion d’images de la mort de Yahya Sinwar, chef du Hamas depuis le 6 août, filmées par un drone israélien, met certains mal à l’aise et fait jubiler d’autres. Depuis plusieurs années, les médias se nourrissent de ces images chocs, les font tourner en boucle et captent ainsi avidement notre attention comme hypnotisés. Mais que veut dire Israël en diffusant viralement l’image de son trophée, la tête explosée, le bras pendant et un doigt amputé ? Au-delà de rendre la pareille au Hamas, il s’agit de prouver définitivement la mort de l’ennemi numéro un. Le message de vengeance est clair : « Vous avez filmé nos victimes dans le kibboutz et lors de la rave party lors des atrocités du 7 octobre, nous allons faire de même et vous montrer le sort réservé à nos détracteurs. » Mais est-ce vraiment sage ?
Si pour Israël, il s’agit non seulement d’une démonstration de force, mais aussi d’une réponse symbolique aux actes perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023, pour des groupes comme le Hamas ou le Hezbollah, mourir en martyr est l’accomplissement ultime, une consécration de la vie. . En diffusant ces images de Sinwar mourant, Israël a peut-être en quelque sorte renforcé son statut de martyr, cristallisant la figure et inspirant les futures recrues prêtes à suivre son exemple.
Sinwar, comme Nasrallah, ne fait pas exception à la règle, ni plus ni moins qu’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de Daesh, éliminé par les forces spéciales américaines, à Barisha, en Syrie, ou Oussama Ben Laden, éliminé par les Américains. à Tora Bora en Afghanistan, rejoignant la longue liste de dirigeants islamistes dont la mort a été révélée par leurs ennemis. Ils sont morts en martyrs et sont bien vivants dans la mémoire des combattants d’aujourd’hui. Comme pour déjouer les théories du complot prêtes à surgir de nulle part pour se répandre sur toute la planète, les dirigeants politiques ou militaires nous en apportent désormais la preuve visuelle. Sauf Ben Laden bien sûr ou Ismaël Haniyeh, l’ancien chef du Hamas, tué à Téhéran le 31 juillet.
En se présentant assis dans un fauteuil, le keffieh sur le visage, tel un simple soldat de Dieu, dépourvu de toute protection, Sinwar a pris soin de façonner sa propre histoire posthume.
Sébastien Boussois et Anthony Trad
Israël, en filmant en direct la mort de Yahya Sinwar, signe sa revanche après des mois de traque. Netanyahu avait fait de son élimination une affaire personnelle, cherchant à compenser sa responsabilité politique flagrante dans les attentats du Hamas du 7 octobre 2023 orchestrés par le Hamas et son chef. Les réseaux sociaux se sont rapidement emparés des images montrant les derniers instants de Sinwar. Avant de rendre son dernier souffle, après avoir été amputé d’un bras, Sinwar, voyant la caméra du drone, lance un sabre vers l’objectif, dans un ultime geste. Ce mouvement, loin d’être perçu comme une faiblesse, renforce son image de combattant déterminé. Ce geste théâtral, presque calculé, apparaît comme une déclaration visuelle du « martyre », conscient que ces images feraient rapidement le tour du monde. En diffusant ces images, Israël a donné à Sinwar une aura de combattant, renforçant le mythe de la résistance, alimentant une dynamique de martyre que ses ennemis ont transformée en arme de recrutement.
Curieusement, depuis des mois, nous savions que le chef du Hamas était enfermé au plus profond des tunnels construits par les combattants du Hamas. De nombreuses rumeurs circulaient : notamment sur la difficulté pour Tsahal de le confondre et de l’éliminer sous prétexte qu’il dormait entouré d’otages avec un bébé sur le ventre – lui servant de bouclier humain. En réalité, il est fort probable que Sinwar ait sciemment choisi de se montrer, entouré de seulement deux gardes du corps, sans otages ni protection, non par imprudence, mais par stratégie. On sait même aujourd’hui qu’on lui a proposé une exfiltration vers l’Egypte mais qu’il a refusé, considérant Gaza comme sa terre qu’il ne quitterait jamais.
Conscient de la fin prochaine, il s’attendait sans doute à ce qu’Israël publie des images ou des preuves de sa mort, compte tenu de son rôle de leader du Hamas. En se présentant assis dans un fauteuil, le keffieh sur le visage, tel un simple soldat de Dieu, dépourvu de toute protection, Sinwar a pris soin de façonner sa propre histoire posthume. Il construit ainsi l’image d’un martyr tombé aux côtés de ses hommes, d’un combattant ordinaire tombant au champ d’honneur. Cette mise en scène probablement calculée lui offrait un avantage stratégique sur Netanyahou, en faisant résonner son image de héros de la résistance, alors qu’Israël pensait réaliser son propre triomphe. À long terme, c’est peut-être lui qui a finalement gagné la bataille idéologique et médiatique. Il est évident que sa mort a déjà déclenché de nouvelles vocations et que de jeunes combattants sont désormais armés mentalement pour le venger, mais aussi pour perpétuer sa mémoire, et continuer à combattre Israël coûte que coûte avec un souhait éternel : celui de voir enfin l’État hébreu. disparaître!