Les témoignages pointant la multiplication des matches et la réduction des périodes de repos pour les meilleurs joueurs évoluant en Europe ont pris une toute autre dimension ces dernières semaines. Garants de leurs revendications et de la protection de leur santé physique et mentale, les syndicats de footballeurs professionnels ont décidé de monter au créneau, en premier lieu la FIFPro, instance regroupant les différents syndicats nationaux.
Pour franceinfo : sport, David Terrier, président de la FIFPro Europe, également vice-président de l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) en France, revient sur ce mouvement de contestation et les différents enjeux qui en découlent.
franceinfo : sport : Quelle est l’origine de la situation que nous vivons actuellement, où des footballeurs parlent publiquement de leur ras-le-bol d’un horaire allongé qui mettrait leur santé en danger ?
David Terrier : C’est assez simple. On va aux vestiaires six fois par an, on discute au moins une fois avec les joueurs de l’équipe de France, au niveau UNFP en France. C’est également le cas dans d’autres pays comme l’Angleterre avec le PFA (Association des footballeurs professionnels). Il y a un peu plus de six ans, les « joueurs de haut niveau », qui évoluent dans les grands clubs et en équipes nationales, nous ont fait remarquer, à cause d’une surcharge de calendriers, que cela commençait à devenir difficile pour eux avec l’intensité de la des matchs qui ont augmenté. Nous avons demandé des études, dans le cadre de Football Benchmark, une plateforme d’analyse de données qui nous fournit une analyse objective des temps de travail, mais pas seulement. Nous avons développé d’autres paramètres : déplacements et différents fuseaux horaires, temps passé à la maison, temps de récupération, vacances… C’est ce que nous transmettons aux autorités, qu’il s’agisse des ligues, des fédérations et des confédérations, pour les alerter.
Quels retours avez-vous eu ?
Jusque-là, on nous disait qu’il n’y avait pas un gros impact en termes de nombre de matches, que cela ne concernait que quelques joueurs. C’était vrai au début, mais nos arguments étaient de dire que ce sont aussi ces acteurs qui font vivre l’industrie, par leur talent, leur image, le spectacle qu’ils produisent… Mais en fait nous avons vu dans les analyses que cela est allé bien plus loin que cela. Certains joueurs m’ont dit : « Vous parlez de Messi, Neymar ou Mbappé, mais je suis un joueur africain et, en sélection, je ne voyage pas dans les mêmes conditions qu’eux. Je suis sur des vols commerciaux en classe économique et, quand on arrive dans le pays, nous prenons parfois des avions militaires. »
C’est l’exemple de Saliou Ciss, ancien arrière gauche et international sénégalais qui a joué à Nancy et remporté la Coupe d’Afrique des Nations en 2022. Il revient complètement épuisé physiquement et mentalement de la CAN, et son club descend en National. Derrière, il n’a pas trouvé de club. Il y a eu un vrai impact et il s’est senti responsable de ne pas pouvoir donner 100% de ses capacités à son club, même si c’est lui qui le paye.
Aujourd’hui, les meilleurs joueurs évoluant en Europe et impliqués dans leurs équipes nationales ne jouent plus dur à chaque match ?
Non, ils nous disent qu’ils ne peuvent plus concourir à 100 %, qu’ils se gèrent pendant les matchs. Nous détruisons le spectacle. Les coachs des équipes de très haut niveau mettent en œuvre des stratégies en disant : « On a mis beaucoup d’intensité en début de match pour faire la différence et puis, en seconde période, on garde le ballon et on gère l’intensité. »
« Les gens paient leurs abonnements TV, paient leurs billets de stade et voient des joueurs qui ne jouent plus à 100 %. La bulle a éclaté, nous tuons le football.
David Terrier, président de la FIFpro Europesur franceinfo : le sport
Au-delà de la protection des joueurs, notre position est de dire qu’il s’agit également de protéger l’industrie du football. On a l’impression que le système tourne en rond, qu’il y a toujours plus d’argent mais que c’est au détriment du spectacle et que ça n’est plus tenable.
La prochaine Coupe du monde des clubs l’été prochain, qui doit durer près d’un mois, ne risque pas d’aider les choses…
Cette compétition ne respecte plus rien. Il s’étend sur deux saisons, du 15 juin au 13 juillet. Sachant que les contrats de travail en Europe se terminent le 30 juin, que fait-on ? Cela veut-il dire que si elle avait eu lieu l’année dernière, Kylian Mbappé aurait débuté la Coupe du monde des clubs avec Paris et l’aurait terminée avec le Real Madrid ?
Je suis d’accord à 100% avec les clubs, qui sont les employeurs et qui doivent les avoir à disposition, mais les joueurs doivent aussi défendre leur pays. L’équipe de France, à travers ses performances, génère des revenus qui permettent de financer le football amateur et son développement. C’est tout ce qui est en danger. Nous ne voulons pas que les clubs soient perdants, ni les championnats nationaux, et évidemment pas les fédérations. Ou alors, il faut aller vers un système américain de ligue fermée, mais il y avait une opposition assez forte à l’époque de la Super League.
Combien de joueurs sont concernés par cette surcharge de calendrier ?
Nous parlons de 5 à 6 % des « meilleurs joueurs ». Mais c’est déjà énorme ! Ce sont eux qui nous font rêver, qui débloquent des matchs, créent de l’émotion, de la passion… Et ce n’est pas péjoratif pour les autres. Les meilleurs clubs et les meilleurs joueurs auront toujours plus d’argent, ce sont les autres qui en paieront le prix en jouant moins, en ayant moins de revenus car les droits sur leurs compétitions nationales perdront de la valeur au détriment des autres.
Par exemple, la Ligue 1 a été réduite à 18 équipes car il y avait trop de matches. Deux équipes en moins signifient moins de possibilités d’avoir des contrats de joueurs professionnels. Et lorsque les droits TV de la Ligue 1 ont chuté, les diffuseurs ont décidé de privilégier le produit premium des compétitions de l’UEFA au détriment du championnat national. Le problème est bien plus vaste et plus important que le fait que « les joueurs jouent trop de matchs ».
Quel poids le mouvement syndical peut-il avoir dans un environnement comme le football ?
Disons que notre rôle est très clair : ce sont les acteurs qui sont prioritaires. Lorsqu’ils nous signalent des problèmes, nous les étudions et les défendons, nous les crédibilisons avec des études de médecins et de spécialistes de la performance. Ensuite, si les autorités ne sont pas prêtes à écouter, il faut s’organiser, se mobiliser avec elles et d’autres organisations et créer un mouvement collectif pour montrer que les acteurs ne sont pas prêts à laisser cela se produire. Un footballeur est un salarié comme les autres, il a des droits comme les autres. Et quand il n’a même pas un jour de congé par semaine, on se pose des questions.
Vous avez décidé de porter ces questions devant les tribunaux…
Oui, nous avons déposé deux plaintes, la première devant le Tribunal de Grande Instance de Bruxelles auprès de l’UNFP, de la PFA, du syndicat italien et de la FIFPro Europe. L’objectif est que le juge renvoie la question du temps de travail et des droits des travailleurs (congés, repos, etc.) devant la Cour de justice de l’Union européenne. La deuxième plainte, qui sera lancée le 14 octobre, associe les ligues (Premier League, Bundesliga, Liga, Serie A) aux syndicats et à la FIFPro Europe. Nous allons contacter la Commission européenne sur le droit à la compétition, les différentes ligues européennes estimant que la multiplication des compétitions internationales nuit à l’attractivité des championnats nationaux.
À quoi doit-on s’attendre ?
L’heure de la justice n’est jamais celle du sportif malheureusement. Mais le mouvement s’amplifie, les acteurs nous suivent, cela peut susciter des inquiétudes et obliger les autorités à trouver des solutions.
Une grève des joueurs est-elle possible dans les semaines à venir ?
Oui, c’est une possibilité. Mais il existe aussi plusieurs manières de démontrer. Cela peut être un signal, comme rester quinze minutes aux vestiaires avant le début d’un match, et aller jusqu’à boycotter une compétition. Mais pour cela, il faut être ensemble et il n’y a rien de mieux qu’un syndicat et une organisation de joueurs comme la Fifpro pour le faire.