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INTERVIEW. La guerre en Ukraine : elle est devenue « un nouveau mur de Berlin »… pourquoi le Donbass « est perdu pour tout le monde »

l’essentiel
Dans un reportage diffusé mercredi, Le monde raconte comment les habitants du Donbass restés dans les zones de combat sur le front ukrainien sont plutôt « pro-russes » et certains espionnent les forces de Kiev au profit de Moscou. Spécialiste de l’Ukraine et de la Russie, le politologue Olivier Védrine, membre d’Europe-IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale) analyse la situation et l’avenir de cette frontière à double identité.

90% des civils restés dans la partie du Donbass encore contrôlée par Kiev sont « pro-russes », a déclaré un officier ukrainien à l’agence de presse ukrainienne News Agency. MondeCeux qui attendent les Russes ont désormais un surnom, les « djounis ». Mais ils ne seraient qu’un tiers de la population, selon un habitant qui affirme que le reste se répartit à parts égales entre « apolitiques » et « patriotes » ukrainiens. Qui faut-il croire ?

La majorité de ceux qui vivent encore dans le Donbass sont ceux qui n’ont pas pu partir. Selon le HCR, en 2016, avant même l’invasion russe, plus de 1,7 million de personnes avaient quitté la Crimée et le Donbass. Et depuis le 24 février 2022, 10 millions d’Ukrainiens auraient quitté leur domicile. Cela donne une idée du nombre de départs, comparé aux six millions d’habitants du Donbass en 2021. Cela dit, je pense que l’analyse de cet habitant est juste. Ce qui reste, ce sont essentiellement ceux qui n’ont pas d’argent et qui ne trouveront pas de travail plus à l’ouest, mais aussi une population vieillissante, en Russie comme en Ukraine, avec environ 30 % de retraités. C’est celle qui est la plus nostalgique de l’URSS, prête à écouter les mirages de Moscou promettant de meilleures retraites.

Olivier Védrine
DR

Et parfois, indépendamment du fait d’être russe ou ukrainien ?

On peut le penser puisqu’avant la guerre, si 70 à 75% de la population parlait russe, les Russes, en tant que tels, n’étaient qu’environ 30%. Pour le reste, un tiers de « djounis » face à des patriotes qui soutiennent l’armée ukrainienne mais surtout beaucoup de gens apolitiques, c’est ce qui me paraît réaliste. L’héritage de la répression soviétique puis russe, les exactions, la peur des arrestations, des exécutions, de la torture, des viols et le rouleau compresseur de la propagande sont tels qu’aujourd’hui, la majorité préfère se tenir à l’écart de tout poste par peur des représailles.

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Cette nostalgie des anciens pro-russes est-elle également liée à l’ancien statut du Donbass ?

En particulier. Le Donbass avec ses mines de charbon glorifiées par la figure du mineur Stakhanov, héros du travail sous Staline, ses industries sidérurgiques et pétrochimiques étaient l’un des piliers de l’empire soviétique. Ceux qui ont connu la déclassification depuis sont donc beaucoup plus enclins à écouter la propagande russe qui leur promet le retour de la sécurité et de la splendeur.

De part et d’autre du front, les populations locales sont accusées d’espionner pour le compte des Russes ou des Ukrainiens. Le front s’enlise, le fossé se creuse… Le Donbass est-il déjà perdu pour l’Ukraine ?

Je pense que le Donbass est perdu pour tout le monde. Parce que vous avez, des deux côtés, des gens qui ne pourront pas vivre longtemps ensemble et parce que la nouvelle guerre froide s’y cristallise avec un nouveau rideau de fer, parce que j’ai peur que l’Ukraine soit bientôt divisée avec une Ukraine de l’Est soumise à Moscou et une Ukraine de l’Ouest. D’après des fuites dans les médias, Volodymyr Zelensky serait aussi bien conscient qu’il sera très, très difficile de reprendre ce territoire et que si ce poumon industriel est une grosse perte, la question de sa reconstruction et de sa cohabitation serait colossale à gérer. Mon sentiment est donc que nous avons déplacé un nouveau mur de Berlin vers le Donbass. L’Ukraine restera un pays qu’il faut défendre dans l’intégrité de ses frontières, mais factuellement, elle est désormais divisée et il faudra probablement attendre que Poutine disparaisse ou que son régime s’effondre pour une réunification.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides

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