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INTERVIEW. Guerre en Ukraine : « Les livraisons de F-16 ne changeront pas le rapport de force » estime l’ancien général Jérôme Pellistrandi

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Alors que les avions F-16 promis il y a un an par les Occidentaux à l’Ukraine arrivent au compte-gouttes à Kiev, l’ancien général et directeur de la Revue Défense Nationale Jérôme Pellistrandi analyse pour La Dépêche l’impact que pourraient avoir ces appareils sur le conflit russo-ukrainien.

Après plus d’un an d’attente, ils sont enfin là. Un premier lot d’avions de combat F-16 est arrivé en Ukraine, a annoncé dimanche le président Volodymyr Zelensky. « C’est désormais une réalité, une réalité dans notre ciel. Les F-16 sont en Ukraine. » Le dirigeant ukrainien, qui n’a pas révélé combien d’avions Kiev ont reçu, a néanmoins déclaré : « Je suis fier de nos gars qui ont déjà commencé à les utiliser pour notre pays. » Il a maintenant appelé les pays occidentaux à en livrer davantage.

Avec ces avions, l’armée ukrainienne espère tenir tête aux forces russes. Mais que valent réellement ces avions ? Jérôme Pellistrandi, ancien général et directeur de la Revue Défense Nationale analyse l’impact que pourraient avoir les livraisons de F-16 dans le conflit ukrainien.

La Dépêche : Que va changer la livraison d’avions F-16 à l’Ukraine dans le conflit avec la Russie ?

L’Occident a promis à l’Ukraine entre 80 et 90 F-16, mais les livraisons s’étaleront sur plusieurs années. Une chose est sûre : l’arrivée de ces F-16 pour l’armée de l’air ukrainienne – qui ne disposait jusqu’à présent que d’appareils de fabrication soviétique – constitue un apport non négligeable. Il faut toutefois être réaliste. Compte tenu du nombre d’appareils promis et des délais de livraison, cette opération ne modifiera pas le rapport de force d’ici quelques semaines ou quelques mois, qui reste en faveur de la Russie.

Les livraisons s’étaleront sur plusieurs années, voire jusqu’en 2028 pour la Belgique par exemple. N’est-ce pas trop tard ?

Cela pose plusieurs problèmes. Il y a d’abord le court terme, qui consiste à mieux protéger l’espace aérien ukrainien, qui en a un besoin urgent. Or cela peut effectivement prendre plusieurs mois, voire plusieurs années. Autre souci avec ces transferts d’avions : les Européens envoient des F-16 en Ukraine, eux-mêmes remplacés par des F-35 de fabrication américaine. La Belgique ne pourra donc achever l’envoi de ces F-16 en Ukraine qu’une fois qu’elle aura reçu tous ses F-35.

Donc c’est juste un jeu de chaises musicales ?

Exactement. D’autant que les Américains ne puisent pas dans leurs stocks. Les F-16 transférés sont certes de fabrication américaine, mais ils appartiennent aux forces aériennes des pays européens. De plus, le problème n’est pas tant de transférer les avions que de veiller à ce qu’ils soient utilisés de manière optimale. C’est pourquoi ils ont mis autant de temps à arriver à Kiev. Il a fallu former les pilotes ukrainiens et tout le personnel nécessaire à la maintenance de l’avion, et il y a au moins 20 personnes qui travaillent sur un seul F-16, du mécanicien aux pilotes.

Les soldats ukrainiens sont-ils prêts à gérer ces avions ?

Certains d’entre eux sont en cours de formation, d’autres l’ont déjà été. Il faut aussi transférer les pièces détachées utilisées pour la maintenance, avec un problème majeur : ces transferts doivent être effectués dans les meilleures conditions de sécurité possibles. Pas question que ces appareils soient à portée de tir des missiles russes. Il faudra donc les camoufler et les protéger en permanence. Tout ce travail a dû être préparé à l’avance.

Outre les F-16, l’Ukraine s’attend également à la livraison de Mirage 2000-5 pour compléter sa flotte aérienne. La combinaison de ces deux appareils au service de l’armée ukrainienne peut-elle constituer un point de bascule ?

Il est trop tôt pour le dire. Il faudrait avoir une masse critique. Pour l’instant, il n’y a qu’une dizaine de F-16 qui ont été transférés. Il en faudrait davantage. Mais l’arrivée ultérieure des Mirage 2000-5 contribue à la montée en puissance du système de défense aérienne ukrainien. Ces appareils ont pour mission de détruire les missiles de croisière tirés par la Russie et d’empêcher les avions russes de pénétrer sur le territoire ukrainien. Il y a donc une complémentarité entre les F-16 et les Mirage 2000-5. Mais tout cela prendra du temps et les soldats ukrainiens devront apprendre à travailler sur des modèles plus modernes que ceux qu’ils ont l’habitude de piloter jusqu’à présent.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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