Interdites de faire entendre leur voix, des femmes afghanes se filment en train de chanter en signe de protestation – Libération
Seules leurs mains sont visibles. Assises en tailleur, le corps et le visage entièrement recouverts par une burqa, deux femmes se filment en train de chanter. Comme elles, des dizaines de femmes afghanes à l’intérieur du pays ou à l’étranger participent depuis plusieurs heures à un mouvement de protestation en ligne, pour dénoncer une nouvelle loi leur interdisant de faire entendre leur voix en public. Seules, en groupe, le visage découvert ou les yeux floutés, elles chantent toutes ou récitent des poèmes, avant de poster leurs vidéos sur les réseaux sociaux. Le tout souvent accompagné du #MaVoixN’estPas’Awra, en référence au terme dans la loi islamique désignant les parties du corps humain à cacher.
Quelques jours plus tôt, le jeudi 22 août, le gouvernement taliban a promulgué une nouvelle loi visant à « promouvoir la vertu et prévenir le vice » Au sein de la population. Composée de 35 articles – tous conformes à la loi islamique ultra-rigoriste –, la législation prévoit une série d’obligations, notamment vestimentaires, et d’interdictions pour les femmes. Parmi elles : l’interdiction de chanter, de réciter des poèmes en public et même de laisser passer sa voix à travers les murs de sa maison.
En réaction, les vidéos se multiplient. Et ce malgré le danger que courent les femmes qui les publient depuis l’intérieur du pays. « Les talibans ont souvent répondu à ces manifestations par la violence, rappelle de Libérer Fereshta Abbasi, chercheuse sur l’Afghanistan pour Human Rights Watch. Si les talibans les trouvent, eux ou les membres de leur famille pourraient être détenus, torturés, voire tués.Face au danger, plusieurs femmes vivant encore dans le pays ne prennent pas le risque de révéler leur identité. Mais elles refusent de censurer leurs propos. « Tu m’as fait taire pour les années à venir. » l’une d’elles chante, vêtue de noir de la tête aux pieds, un long voile couvrant son visage. « Vous m’avez emprisonnée dans ma propre maison pour le seul crime d’être une femme. »
« La voix d’une femme est son identité »
La cible est claire : le régime fondamentaliste. Dans d’autres publications, des groupes de militantes se sont filmées en train de déchirer des photos du chef suprême des talibans, l’émir Hibatullah Akhundzada, qui dirige le pays par décret depuis son fief de Kandahar (sud). Dans une autre vidéo, déjà vue plus de 40 000 fois sur X mercredi 28 août, Taiba Sulaimani chante en ajustant son voile devant un miroir. « La voix d’une femme est son identité, pas quelque chose qui doit être caché »elle entonne, accompagnant sa vidéo de quelques lignes : « Tu dis que ma voix est nue. Mais je chanterai l’hymne de la liberté ! »
« Je pense que c’est extrêmement puissant. Cela me donne beaucoup d’espoir de voir des femmes qui luttent encore courageusement contre l’oppression », « , dit Fereshta Abbasi, la voix tremblante. En plus de l’interdiction de chanter à voix haute en public, le nouveau décret stipule que « les femmes doivent couvrir complètement leur corps en présence d’hommes qui ne sont pas membres de leur famille », ainsi que leur visage « par peur de la tentation ». Les femmes afghanes ne sont également plus autorisées à porter du maquillage ou du parfum.
Une loi « totalement intolérable »
« Les femmes afghanes n’ont plus d’identité, plus d’autonomie, plus d’individualité. Tout a disparu, Fereshta Abbasi s’emporte. Ce qui m’agace le plus, c’est à quel point la loi est humiliante pour les femmes, et à quel point il est facile pour les talibans de restreindre leur accès à tous les droits fondamentaux. Mardi, l’ONU – qui a parlé d’une situation « apartheid de genre » – a rejoint plusieurs organisations de défense des droits de l’homme et a appelé à l’abrogation de la loi, la qualifiant « totalement intolérable. » Celui-ci « renforce les politiques qui effacent complètement la présence des femmes dans l’espace public (…) tentant ainsi de les réduire à l’état d’ombres sans visage et sans voix », a dénoncé la porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Ravina Shamdasani.
Fereshta Abbasi a pour sa part exhorté la communauté internationale à réagir mercredi. « De nombreuses déclarations ont été faites, mais ce n’est pas suffisant. Des actes sont nécessaires à ce stade. Il est temps que la communauté internationale mette un terme aux abus. »insiste le chercheur. Lundi 26 août, les autorités talibanes ont tenté de rassurer, affirmant que la nouvelle loi serait appliquée « avec précaution ». Tout en dénonçant en même temps la« arrogance » Les occidentaux.