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Inoxtag, Everest et la résurrection du mythe du héros

C’est ça. Le petit adolescent qui faisait des vidéos dans sa chambre a quitté sa ville natale et vient de gravir la plus haute montagne du monde. En atteignant probablement le sommet de l’Everest, selon plusieurs sources, Inoxtag, 22 ans et près de 8 millions d’abonnés sur YouTube, a recomposé une mélodie bien connue : le mythe du héros.

L’appel à l’aventure, le guide avisé, la découverte d’un monde magique mais dangereux, le doute puis la réussite… Tout y est. Vous retrouverez les mêmes ingrédients dans Harry Potter quittant son placard à balais pour rejoindre l’école des sorciers et vaincre Voldemort, Luke Skywalker partant à travers les étoiles défier l’empire, Frodon abandonnant sa Comté bien-aimée pour aller détruire l’anneau… La recette éculée n’est plus la même. a vraiment des secrets. Elle fut théorisée dans de nombreuses surprises, notamment dans le célèbre Monomythe de Joseph Campbell en 1949.

La mort des héros au profit des gens ordinaires

«Mais la culture moderne s’est lassée du héros», estime Pierre-Louis Desprez, expert en imaginaire et en storytelling de marque. « A l’origine, ce dernier est un personnage de fiction : Hercule, littéralement demi-dieu et donc détaché des hommes. Les travaux actuels se concentrent de plus en plus sur des anti-héros, des gars ordinaires, un peu perdants et déprimés. Au lieu d’un James Bond séduisant et toujours gagnant, on préférera un perdant déprimé du quotidien qui n’arrive pas à bander. »

Dans la culture pop occidentale, quel nouveau héros de fiction a émergé au cours des 20 dernières années ? Personne. Les vieilles gloires sont simplement recyclées, de manière cynique et désillusionnée. Même Luke Skywalker a perdu espoir dans la post-logie de Star Wars. « Les utilisateurs de YouTube sont aussi issus de ce phénomène de banalisation et de déconstruction du héros », poursuit Alexandre Eyries, enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’Université catholique de l’Ouest de Niort. Nous voulons des stars du quotidien qui nous ressemblent. Il ne s’agit plus d’idéaliser, mais d’identifier. »

Soyez une star, devenez un héros

Au départ, Inoxtag est effectivement devenu célèbre en se filmant en train de jouer à Fortnite dans sa chambre, sans même avoir un niveau particulièrement élevé sur ce jeu vidéo. Un adolescent comme des millions d’autres, d’où l’identification. Aujourd’hui, bien sûr, de nombreux Youtubeurs ont, comme lui, quitté la normalité de leurs 3 m2 et de leur webcam en mauvaise résolution pour des productions bien plus ambitieuses, quasi télévisuelles. Mais là où la plupart des concepts restent sur l’amusement entre amis dans une version chaleureuse et riche, à l’image de « Loup-garou dans un manoir » ou du spécial Grand Prix de Formule 1 pour les Youtubeurs Squeezie, Inoxtag est l’un des seuls à avoir répondu à l’appel de l’aventure dans le monde extérieur.

Que lui est-il arrivé? Pierre-Louis Desprez a son idée : « La fin du héros de fiction répond à l’avènement du développement personnel, où chacun doit accomplir son propre exploit s’il ne parvient pas à admirer ceux de Superman. Si l’art ne nous donne plus d’exemple à suivre, c’est à chacun de créer son propre mythe, de devenir son propre héros. » Difficile de ne pas retrouver cette philosophie chez Inoxtag, dont la morale des vidéos de préparation à l’ascension tourne autour de la force de la volonté et autres « Quand tu veux, tu peux ».

Double identité et incarnation du bien

Le YouTubeur est d’autant plus facile dans cette tâche qu’il dispose de moyens financiers et de production conséquents pour assouvir ses rêves d’accomplissement, rappelle Alexandre Eyries, où le minimum de 50 000 euros pour gravir l’Everest suffit à rebuter la plupart des fans de être notre propre héros » vers un bon vieux marathon un peu plus dans leur budget.

Mais au-delà de l’argent, « Inoxtag peut incarner la figure héroïque bien plus facilement, développe l’enseignant-chercheur. Comme Spider-Man, il a une double identité, il porte un surnom, il choisit ce qu’il montre dans ses vidéos comme Inoxtag. Cela permet de construire une figure exemplaire, sans défauts ni défauts, ou juste avec ceux qu’il veut montrer. » Après des polémiques suite à plusieurs dérapages sexistes lors d’un événement caritatif en 2021, Inès, son vrai prénom, a promis de ne montrer que le bon en lui. « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », vous connaissez la chanson.

Shonen comme inspiration principale

Mais si vous voulez faire plaisir à Inès, ne lui dites pas qu’il est le nouveau Superman ou Spider-Man, comparez-le plutôt à Naruto. Contrairement à l’Occident, le Japon n’a pas encore démystifié ses figures héroïques et continue de produire des monomythes à la pelle. Margherita Balzerani, directrice du Louvre Lens Vallée et spécialiste du manga, décrypte. « Inoxtag est immergé dans cet univers, s’intéressant principalement aux shonens, travaille pour des jeunes garçons avec un héros de leur âge en quête d’aventure : Naruto, Luffy dans One Piece, Son Goku dans Dragon Ball Z. Il se décrit même dans son Bio TikTok en tant que shinobi – un ninja – de Konoha, le village fictif de Naruto. »

Alors, Inoxtag est-il vraiment un héros pour gravir l’Everest ? « Un héros est aussi un message », ajoute Margherita Balzerani. Pour être un héros, une fois au sommet, il doit apporter la sagesse au monde. Et pas seulement « Quand nous voulons, nous pouvons ». S’il s’agit d’une performance juste pour faire l’éloge de la performance, elle n’aura rien d’héroïque. »

Un héros, peut-être, mais pour quel message ?

«Cette héroïsation du quotidien forme une violence symbolique», poursuit Pierre-Louis Desprez. En voyant « tout le monde » gravir l’Everest, ou des personnes de 83 ans courir le marathon, on se dit forcément : « Qu’ai-je fait de ma vie ? ? ». La banalisation du héros interdit paradoxalement le fait d’être banal, il faut forcément se dépasser. » Sans parler des conséquences écologiques de la surmédiatisation et de la normalisation de l’ascension de l’Everest.

Dernière salve de Margherita Balzerani : « Taylor Swift par exemple porte tout un discours sur l’empowerment des femmes, et me semble, à travers son message, plus une héroïne qu’Inoxtag pour l’instant ». Le YouTubeur a promis de sortir un documentaire gratuit sur son ascension dans quelques mois. Encore un peu d’attente avant de découvrir la morale d’une quelconque histoire, et si l’univers a un nouveau héros. « La période est déprimante et peu enthousiaste, et le monde aurait bien besoin du retour d’une grande figure héroïque », estime Alexandre Eyries. Ne nous décevez pas Inès.

Cammile Bussière

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